Comment a-t-on vécu la disparition soudaine du « Mzee » à Kinshasa ? Réponse sans fard de la correspondante d’Africultures en RDC.
C’est vrai que quand on cesse d’inventer la réalité, on finit par voir les choses telles qu’elles sont. Et l’une des réalités congolaises visibles, concrètes et vécues est la mort du président de la République, Laurent-Désiré, le Mzee (« le sage » en swahili).
17 Mai 1997. La rue hurle de joie. Une longue rumeur enfle et explose comme un cri à la vue de ces enfants-soldats. Sur toutes les lèvres un seul nom : Laurent-Désiré ! Scandé comme un glas, le nom résonne et emplit toute Kinshasa qui à son tour devient « libérée »… Dans une maison déserte, tous mes cousins étant sortis applaudir les « libérateurs », mon grand oncle ferme les volets de la maison. Sans un mot ,il se sert une Primus (bière locale). Je l’entends murmurer « les petits cons ! »
Trois ans et huit mois plus tard, jour pour jour, dans la ‘cité’ de Bandal, un des quartiers chauds et populaires de Kin, je suis bercée par ‘Kilimanjaro’ sur Africa n°1. Je somnole presque lorsqu’aux infos de 19h, le journaliste ‘le’ dit mort, assassiné : »le Président congolais aurait été tué… » La suite ? Connais pas. Je n’ai plus suivie tellement je suis hébétée. Si la maladie ne l’avait pas tué, la perte de son pouvoir aurait fini par achever Joseph-Désiré ou vice-versa. Avec lui au moins quelque part, on était préparé. Avec l’autre, non ! Laurent-Désiré est donc mort. Vous vous souvenez de mon grand oncle ? Zéro-zéro ! J’observe Kin illuminée. Le tonnerre gronde. Dehors, durant cette folle soirée du 16 janvier, veille de la fête du héros national Lumumba, la pluie commence à tomber.
Lumumba nous aura ainsi donné à tous un jour de répit ! C’était le prétexte idéal pour rester chacun chez soi à se poser des questions du style « à qui profite le crime ? assiste-t-on à une espèce de tragédie ‘César-Brutus’ ou plutôt est-ce une histoire de trahison dans le genre ‘Judas’ ? » Mais ce sont des questions qu’on préfère se poser entre ses quatre murs… Et à bien étudier cet acharnement à garder Laurent-Désiré en vie 48 h de plus malgré toutes les confirmations possibles de son décès, on est tenté de penser que les autorités du pays nous considèrent un peu comme mon grand oncle…
De toutes manières, mardi ou jeudi, officiellement comme officieusement, personne n’était dupe et le fait est que Laurent-Désiré n’est plus ! Nous vivons un deuil national de 30 jours. Télévisions et radios ont reçu l’ordre de ne balancer que films, documents et musique religieux. Mais après l’enterrement les chaînes ont quelque peu repris leur programme habituel, sauf pour ce qui est de la ‘world music’ et du théâtre. C’est pourquoi dans les boîtes, les Kinois dansent le « ndombolo » sur rythme de musique religieuse… Parce que sans musique, Kinshasa n’est plus Kinshasa, la ville des Wemba, Rochereau et Koffi ! N’empêche qu’en Afrique, la mort laisse toujours les gens interdits et ce fut le cas. La mort d’un chef, celle d’un gosse, d’un ami comme d’un ennemi reste avant tout perte, disparition !
Des rameaux (signe de fête mais aussi de deuil) ont, avant l’enterrement du Mzee, orné les grandes artères de la capitale ainsi que quelques voitures. Les Kinois étaient dans les rues pour rendre un dernier hommage à Laurent-Désiré et voir son cortège funèbre. Certes, il ne faut pas confondre le peuple avec la foule. Il y avait ceux qui l’ont plaint : un tel 17 Mai 1997 pour une telle fin ! D’autres étaient curieux de savoir s’il était réellement mort après toutes ces contradictions médiatiques. Les autres ont vraiment regretté cette brusque disparition.
Sinon, il règne au pays un calme précaire. Junior a pris les rennes du pouvoir en lieu et place de son père. On ne lui a pas encore trouvé de petits noms mais cela ne saurait tarder. Il y a toujours des gens trop zélés qui ne savent pas profiter du repos et répit que nous offre naturellement le sommeil… Dans nos pays, les présidentialités héréditaires ou à vie on tpour refrain propagande et culte de la personnalité. Il y a des choses qui disparaisse, certaines valeurs, comme de croire aux gouvernements ou espérer en des lendemains meilleurs
Parce qu’on cesse d’y penser, qu’on cesse de vivre avec elles de manière vitale !
Beaucoup de gens ne croient plus en l’Etat, en la démocratie, parce qu’ils ont cessé de jouir de certaines libertés et certains droits comme celui d’avoir un salaire ! Ce fut le cas avec Joseph-Désiré et Laurent-Désiré n’a pas non plus changé grand chose… Mais le Kinois quel qu’il soit a sans cesse besoin de sauver sa vie. C’est vrai qu’en lui on retrouve tant de ferveur et si peu d’issues ! Pourtant, la débrouillardise et la volonté supplantent les moyens financiers grâce à une sacrée dose de feeling pour trouver et vivre l’existence qui lui convient. Et dire qu’il a quand même vécu la disparition du tombeur de l’autre dans une certaine indifférence ne serait pas loin du réel. Quand on n’a plus envie d’être pris pour des cons, ben c’est une forme de lutte. Nous sommes dans un pays rigoureux et chacun y vit sans illusion !
Et de l’avis général, Junior a fait un bon speech pour son âge. Mais ce n’est ni plus ni moins qu’un discours ! On attend de le juger dans les faits. Résistera-t-il par exemple à cette catégorie de gens qui ont appris dès les « sixties » à applaudir ? Faut avouer que c’est une méchante habitude qui depuis le temps refuse de partir… Mais pour d’autres, 32 ans de dictature, assaisonnés d’un peu plus de 3 ans de guerre et couronnés de flou pour le reste, ne donnent pas très envie ni d’applaudir ni de rire ni même de pleurer. Et puis faut pas se fier au Kinois comme ça, il passe du chaud au froid sans transition tiède. Joseph-Désiré l’a réalisé avec amertume en pleine diminution physique. Laurent-Désiré l’a compris à ses dépends, passant de libérateur à tout le contraire !
Heureusement d’ailleurs que dans nos tableaux de chasse, les Lokua ou Wenge Musica BCBG arrivent à eux seuls à mieux faire l’unanimité, l’adhésion totale que tous les sommets de Lusaka et Yaoundé réunis ! C’est leur façon à ces artistes d’arrêter de pleurer sur notre sort et de réfléchir sur notre histoire. Papa Wemba va fêter ce 26 février au CCF de Kin, Halla de la Gombe, les 24 ans de son Viva La Musica, tandis que l’Ecurie Maloba va organiser du 21 au 30 juin la 6è édition de son Festival international de l’Acteur (FIA). C’est cela l’histoire avec un grand ‘H’. Notre histoire. Ce n’est pas avec des armes ni des rébellions que nous la construirons. Ce n’est pas sur des calculatrices et ordinateurs qu’elle se construit. Mais c’est sur ces instants échappés de tout ordre et de tout mesure.
///Article N° : 1834