Le succès du dessin animé Kirikou ne s’est pas démenti en dix ans. Le premier film, Kirikou et la sorcière, sorti en décembre 1998, draina 1,5 million de spectateurs, ce qui représentait l’un des plus gros scores pour un film d’animation depuis Le Roi et l’oiseau de Paul Grimault (1980). La suite, Kirikou et les bêtes sauvages, sortie sept ans plus tard, frappa encore plus fort, franchissant la barre des 2 millions, soit un nouveau record historique. La réussite de ces deux films fut prolongée par plusieurs albums pour enfants (1) et surtout la comédie musicale Kirikou et Karaba, en octobre 2007.
Ce succès est une bonne nouvelle pour le cinéma d’animation « à la française » (2) qui démontre un réel savoir faire dans ce domaine, savoir faire que l’on ne croyait destiné qu’aux Américains.
Elle peut également être une très bonne chose pour la perception de l’Afrique que le cinéma offre aux enfants de l’hexagone. L’image du continent noir en sort valorisée, en particulier dans le second volet qui fait sortir Kirikou de son village et montre les splendeurs du continent. Rien de superficiel là-dedans, l’auteur, Michel Ocelot, parle en partie de ses souvenirs d’enfance et de ce qu’il connaît : « Je n’ai connu que du bonheur en Afrique. J’allais à l’école à Conakry. J’étais entouré de gens bienveillants, détendus. Il y avait des catholiques, des protestants, des animistes et des musulmans. C’était naturel, et j’ai assimilé cette décontraction. J’ai aussi appris les couleurs, j’ai des souvenirs de jubilation à regarder les passants dans la rue. J’étais conscient de la beauté des gens, des vêtements, des paysages
(3) ».
Si Kirikou n’est pas une production africaine, il a démontré que le public européen peut s’intéresser à des films d’animation se déroulant en Afrique.
C’est de bon augure pour le cinéma d’animation africain qui est en pleine évolution. Le premier festival de cinéma d’animation africain de Ouagadougou (25 – 31 octobre 2007) a permis de faire le point et de diffuser auprès d’un public africain certaines de ces productions absentes des grilles des télévisions nationales. Comme l’écrit le critique burkinabé Emmanuel Sama : « Une grande rétrospective du cinéma d’animation africain tenue au festival d’Annecy en 1993 avait permis d’évaluer à une centaine le nombre de réalisateurs, à 163 le nombre de films et à 7 celui des séries réalisées sur le continent. En 2003, plus de 1000 films ont été recensés
» (4). Le phénomène date de l’époque coloniale, en 1955, par exemple, au Congo belge, des Africains tournaient déjà la série Les Palabres de Mboloko sous la direction de prêtres belges.
L’un des pionniers du film d’animation africain est le Nigérien Moustapha Alassane (5) qui a commencé dans les années 70 avec des marionnettes. D’autres suivront par la suite tel le Congolais Jean Michel Kibushi Ndjate Wooto (6) qui, depuis 1991, a produit neuf films d’animation en Belgique avec son studio Malembe maa dont Le Crapaud chez ses beaux-parents en 1991 (7), Muana mboka (1999), Prince Loseno (2004)
. On peut citer également la burkinabée Cilia Sawadogo, l’Ivoirien Vincent Glès
Mais tous ces auteurs sont isolés et expatriés et restent tributaires des subventions dans leurs pays d’accueil et du soutien d’entités comme L’atelier Graphoui (http://www.graphoui.org/), à Bruxelles. Formidable outil pour les cinéastes africains spécialisés dans l’animation, il a produit certains films de Jean Michel Kibushi ainsi que Train-Train Medina (2001), film d’animation du plasticien sénégalais Mohamadou Ndoye Douts, présenté dans de nombreux festivals et expositions – notamment Africa Remix (2005) au Centre Georges Pompidou.
Malgré des soutiens limités, les productions africaines se développent peu à peu.
En 1998, le Studio Pictoon, premier studio de production et de fabrication de dessins animés était créé à Dakar par la franco-sénégalaise Aïda N’diaye et le franco-camerounais Pierre Sauvalle. Cinquante dessinateurs y travaillent réalisant entièrement leurs dessins animés, de l’écriture du scénario à l’animation (hormis la postproduction faite en France). Le premier dessin animé sorti du studio Pictoon s’appelait Kabongo le griot, série en 13 épisodes, réalisée en 2002 (8).
S’il est porteur de beaucoup d’espoirs, le bon fonctionnement du studio est freiné par divers problèmes conjoncturels du continent, comme les fréquentes coupures de courant et d’Internet.
Dans l’espace anglophone, le plasticien sud-africain William Kentridge mène un travail remarqué depuis sa première uvre en 1989 en utilisant une technique qui est devenue une caractéristique de son travail : des dessins au charbon ou fusain successifs, toujours sur la même feuille de papier, contrairement à la technique traditionnelle d’animation dans laquelle chaque mouvement est dessiné sur une feuille séparée.
Mais le premier long-métrage d’animation, The Legend of the Sky Kingdom, date de 2003. Il a été entièrement réalisé par de jeunes artistes zimbabwéens en Stop Motion avec des marionnettes fabriquées à partir de matériaux de récupération. La même année, en Côte d’Ivoire, un partenariat entre l’Ivoirien RIS (Regia Image & Son) pour les dessins, l’animation, le son et l’idée originale et le français Dedalusprod a permis l’adaptation en dessins animés d’une dizaine de contes africains (9). L’objectif affiché par le DG de la RIS était clair : « Nous voulons, à partir d’Abidjan, créer une industrie africaine du film d’animation aux fins d’apporter la touche ivoirienne au village planétaire par l’audiovisuel et les NTIC. » (10).
Studio Pictoon a donné des idées. Un autre studio s’est créé au Sénégal en 2002 : Waaw studio qui, lui aussi, a été créé par des anciens expatriés africains revenus d’Europe avec leur expérience et un réel savoir faire. Plusieurs projets sont en cours : un long-métrage (Kuumba) et des séries d’animation (Contes et légendes d’Afrique, Spid l’araignée, Vieux Sékou, le perroquet). Le Sénégal serait-il la future plaque tournante de la production de dessins animés africains ? Rien n’est moins sûr. Un rapport datant de 2001 pointait du doigt certaines faiblesses : « La production de dessins animés, malgré l’initiative remarquable de la société de formation et de production Pictoon n’a pas été soutenue. La RTS (Radio Télévision Sénégalaise), dernier écran où l’on pouvait espérer voir des productions nationales et africaines, s’est, depuis des années, spécialisée dans la diffusion de séries étrangères ou de programmes gracieusement offerts par la coopération internationale en général et française en particulier. » (11)
Au Cameroun, un autre studio est en train d’émerger : Psaume 23 (12), finaliste du prix RFI net Afrique en 2005.
Dans l’Océan Indien, les éditions mauriciennes Vizavi préparent une série de dessins animés intitulée Tikoulou au pays du dodo adaptés de la collection d’albums illustrés Tikoulou lancée en 1998 par cette maison d’édition. La série devrait contenir 13 épisodes de 13 minutes. Mais, signe que le tropisme africain ne joue pas encore, l’intégralité de la série sera tournée en Chine après un premier essai en Inde, peu concluant. La bande-annonce, réalisée à Maurice est prête et a été présentée le 27 mars 2008 au Musée du Quai Branly, dans le cadre d’une journée d’études sur la littérature de jeunesse dans l’Océan Indien*.
Le premier long-métrage d’animation arabo – africain francophone, a été réalisé en 2007 par le Malien Mambaye Coulibaly et le Tunisien Abdelkader Belhadi, qui fait suite à la série Viva Carthago produite en 2004 par Tunis Animation Studio dont ce dernier a encadré la création à Tunis. Les studios maghrébins comme Cinétéléfilms (Tunisie) auprès desquels sous traitent certaines sociétés européennes ont pris une avance considérable sur le reste du continent que seule l’Afrique du Sud (avec le studio Triggerfish) peut revendiquer. La sous-traitance est d’ailleurs une des voies de développement possible pour les studios de dessins animés africains (13).
La situation évolue donc plutôt favorablement, malgré des difficultés matérielles et techniques propres à toute industrie émergente. Elle pourrait être une opportunité d’emploi et de débouchés pour les dessinateurs du continent qui semblent cependant peu concernés par cette nouvelle industrie, les deux univers restant séparés.
Cette situation n’est pas propre à l’Afrique et touche aussi l’Europe. Pourtant, il y a une cinquantaine d’années, Morris, Peyo, Franquin commençaient leurs carrières dans le dessin animé. Au milieu des années 50, la société Belvision était créée et réalisait la plupart des adaptations issues des grandes séries du 9ème art (14). Mais la piètre qualité des uvres produites entraîne le divorce entre ces deux disciplines. Il faudra attendre une nouvelle génération pour que les liens se recréent avec, par exemple, le succès l’an dernier de Persépolis, la sortie en mars de Peur (s) du noir réalisé entre autres par Lorenzo Mattotti et Blutch et la préparation d’un Chat du rabbin par Joan Sfar.
La situation en Afrique, qui n’a évidemment ni la même histoire ni le même passif, peut s’expliquer par l’abondance de ses talents graphiques, l’absence de débouchés dans les autres disciplines du dessin et la concurrence qui en découle. Comme le précise Lassane Zohoré au sujet de Contes et légendes d’Afrique : « Nous sommes prêts à collaborer avec tous ceux qui évoluent dans ce domaine. Mais, pour ce projet, nous n’avons pas été approchés. Ils n’étaient pas non plus obligés de nous approcher parce qu’ils ont des techniciens pour réaliser leurs films. » (15).
Il existe cependant quelques points de jonction entre ces deux mondes. Quelques bédéistes ont travaillé pour des sociétés d’animation. Au Bénin, le premier dessin animé national, Le Livre magique, a été présenté à la presse en juin 2007. Le film est le résultat de huit stages professionnels échelonnés sur trois ans, encadrés par la coopération belge et suivis par un groupe de dessinateurs. Parmi les bédéistes, on compte Hector Sonon, Claudio Lenfant, Constant Tonakpa
(16). L’ensemble de ces artistes s’est regroupé au sein d’un studio dénommé Afrique arts Toons. (17).
Hallain Paluku et Al’Mata, deux bédéistes congolais, travaillent en ce début d’année 2008 sur un dessin animé intitulé Bana Boul (enfants espiègles). Le film met en scène l’espièglerie de deux enfants kinois et se veut le reflet de l’humour populaire kinois. Adé Mpiaza le producteur congolais, sortira le DVD au mois de mai pour le public congolais et songe déjà à en faire une adaptation pour certains pays africains. Une partie de la réalisation a déjà commencé. Techniquement, le dessin animé est basique avec peu de mouvements, (un peu dans l’esprit restrictif des mangas) mais il n’en manque pour autant pas de vie (18). Paluku et Mata ne sont d’ailleurs pas les premiers congolais à travailler dans le dessin animé, Leur aîné, Bernard Mayo avait déjà réalisé un dessin animé il y a quelques années.
Enfin, une recherche sur Internet reste un support privilégié parce qu’aisément accessible pour faire émerger de nouveaux talents. Des recherches affinées – notamment sur Youtube – permettraient sans doute de détecter d’autres réalisations faites par des bédéistes africains (19). Le thème du 10ème Festival de la caricature et d’humour de Yaoundé (Fescarhy) en juillet 2008) intitulé De la caricature à l’audio visuel se veut une réflexion sur la création d’un dessin animé africain par les Africains pour les Africains et les autres enfants aussi (20). Il y a manifestement une prise de conscience en faveur d’un développement du 8ème art sur le continent appuyé sur les talents émergents.
Ces quelques exemples récents sont-ils le démarrage d’une nouvelle alliance entre la BD et le dessin animé africain ? Rien n’est moins sûr : les deux métiers sont contraignants et les studios africains, s’ils perdurent, risquent bien de faire diminuer le nombre de dessinateurs de BD, déjà fortement démoralisés par la faiblesse éditoriale actuelle (21).
Entre ces deux pôles, le chemin est étroit pour les bédéistes africains, lassés de ne pouvoir s’exprimer dans des conditions correctes.
(1) Kirikou et les bêtes sauvages, Kirikou et le fétiche égaré, Kirikou et la hyène noire, Kirikou et le buffle aux cornes d’or, Kirikou et la girafe, Kirikou et la sorcière, écrits et illustrés par Michel Ocelot, tous édités chez Milan.
(2) Les deux Kirikou sont des films complètement français.
(3) Interview de Michel Ocelot in http://www.milanpresse.com/telechargement/kirikou/actu.html
(4) http://www.africine.org:?menu=art&no=7153
(5) Cf. son interview sur Africultures : //africultures.com/index.asp?menu=revue_affiche_article&no=1447 ainsi que le carnet qui lui est consacré aux éditions de l’il.
(6) Cf. Kibushi Njate Wooto de Jean Pierre Jacquemin, Ed. de l’il, 2003. ISBN 2912415527
(7) Le DVD et le texte de ce conte ont été édités par les éditions de l’il en 2003. ISBN 2-912415-78-0. Dans la même collection, on trouve également L’Enfant et le caïman de Moustapha Dao, Jean Louis Cordebard et Philippe Davaine.
(8) Cf. Le dessin animé s’installe en Afrique. Interview de Pierre Sauvalle sur Afrik.com le 25 avril 2002 : http://afrik.com/article4341.html ainsi qu’une vidéo tournée sur le studio visible sur : http://www.senegalaisement.com/senegal/videos_senegal.php?video=86
(9) Ils avaient été précédés par la cinquantaine d’épisodes diffusés à partir de 1989 à la télévision ivoirienne. Mais cette série était produite par le CNC, l’UGC et quasi entièrement réalisée en France.
(10) Interview de Junior G. Anongba, Fraternité matin, 01/12/2003.
(11) Étude pour l’élaboration d’une stratégie nationale et d’un plan d’actions visant l’insertion du Sénégal dans la Société de l’Information, ministère de la Communication et des Nouvelles technologies, mars 2001.
(12) http://www.psaume23.org/
(13) Kirikou et les bêtes sauvages a, par exemple, été réalisé en grande partie par un studio vietnamien.
(14) L’exposition De la case à l’écran, présentée à la 4ème fête de l’animation de Lille (6 – 9 mars 2008) revient sur les rapports entre BD et animation.
(15) Interview, Le Patriote (Abidjan), 6 novembre 2003.
(16) Je renvoie le lecteur qui souhaite faire davantage connaissance avec le milieu de la BD béninoise à mon article Le vivier méconnu de la bande dessinée béninoise sur Africultures.
(17) Le pilote ainsi que toute l’aventure sont visibles sur http://www.youtube.com/watch?v=ROvgCGXFvpE ou http://www.youtube.com/watch?v=RN9DvPfMEcU&feature=related
(18) On peut voir quelques extraits du projet (alors qu’il était encore à son état embryonnaire) sur les liens suivants : http://www.youtube.com/watch?v=ROvgCGXFvpE ou http://www.youtube.com/watch?v=RN9DvPfMEcU&feature=related
(19) Comme par exemple sur le site de BD helysoa où l’on peut visionner Un chapeau, quelques sous (aventures de Ikotofetsy et Imahaka) ou Soa, le reporter : http://bd-helysoa.oldiblog.com/?page=articles&rub=480813, sur youtube avec par exemple Comédie congolaise (en lari) : http://www.youtube.com/watch?v=04ptduqL5kA&feature=related ou le formidable détournement du Roi lion en lingala : http://www.youtube.com/watch?v=zwxc0y-CudQ&feature=related
(20) Extrait du message circulaire de Léontine Babeni, directrice du Fescarhy.
(21) Témoins, les diplômés de la filière Bande dessinée de Tétouan qui se tournent quasiment tous vers les studios d’animation à la sortie de leur formation.Remerciements à Hallain Paluku et Hector Sonon.
Bande annonce de Bana Boul à découvrir sur : http://www.youtube.com/user/hallainpaluku
* Bande annonce présentée par Christophe Cassiau-Haurie
Information complémentaire : le dessinateur gabonais Pahé, dont le tome 2 de la vie de Pahé, Paname, va sortir en avril chez Paquet, a signé avec France 3, pour une série de dessins animés portant sur la vie de son petit personnage albinos, Dipoula.///Article N° : 7475