entretien d’Olivier Barlet avec Orlando Fortunato

Au Fespaco, Ouagadougou, février 1997
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Quelle est la situation du cinéma en Angola ?
Le cinéma pour nous est extrêmement important : c’est la façon la plus simple de communiquer entre nous ! J’ai participé aux tout-débuts de ce cinéma, en 1975 : nous avions bien étudié les potentialités, l’importance du cinéma pour le développement national, mais nous avons vite été confronté à la difficulté de financer nos films. Pourtant, nous avons un fond de développement, l’Institut national du Cinéma, comme le CNC français, afin de définir un cinéma national, nous avons une cinémathèque nationale, et nous avons une maison de production.
Mais les difficultés propres au cinéma africain et le problème d’unité nationale spécifique à l’Angola nous ont empêché de profiter de ces atouts. Les politiques interviennent trop, la gestion s’est faite négative, le laboratoire de cinéma est fermé, l’Institut national du Cinéma n’a aucune expression, et la maison de distribution a été privatisée… Le pouvoir politique a compris l’importance du cinéma, a voulu l’utiliser, mais comme le développement de la télévision était plus rapide, il s’est concentré sur la télévision, et désintéressé du cinéma. Aujourd’hui, la télévision en Angola ne montre que des discours politiques, dans une vision pédagogique : ce n’est pas un instrument d’unité, ce n’est qu’un instrument politique !
Qu’est-ce qui vous pousse à faire du cinéma ?
Je fais du cinéma parce que je pense que c’est un devoir, un devoir moral : c’est la façon la plus facile de communiquer avec les gens, et d’exprimer tout ce qui serait à dire et qui ne peut être dit !
Est-il encore possible aujourd’hui de faire du cinéma en Angola ?
Oui, c’est très difficile, mais c’est possible. Mais le cinéma n’est jamais une priorité, même quand le gouvernement fait du cinéma une arme de première ligne pour sa propagande. Cela crée des distractions mais rien d’autre. Le Portugal n’a pas de politique culturelle, et ne soutient donc pas les films comme la France. Pourtant, la production francophone montre que la participation de l’Afrique à la culture universelle devient sa réalité. J’essaie de faire un film depuis dix ans, mais sans financement…. Avec la guerre, personne ne veut investir en Angola, et moi, il me faut le courage moral de rencontrer moi-même les gens susceptibles de m’aider.
Si nous sommes capables de construire la paix, je pense que le cinéma ne sera pas une priorité mais aura sa place dans la politique de développement culturel. La télévision ne nous appartient pas : ce qu’on y voit n’est pas angolais mais portugais, français…
Le doute domine : personne ne sait ce qui va arriver. Il y a beaucoup de vide, et le vide crée tant de problèmes… Cela affecte notre personnalité nationale culturelle, car durant les quinze dernières années, nous avons été sujets à de réels bombardements : si vous allumez la télévision le matin, ce sont les nouvelles brésiliennes ! Ils n’ont rien d’autre à montrer… Il y a tant de problèmes à résoudre… Cette vision étrangère a affecté notre être, nos habitudes, notre langage, nos habits, notre conception des choses… Mais tout le monde comprend le pouvoir du cinéma pour une réappropriation culturelle et une éducation…
C’est le rôle que vous lui voyez aujourd’hui ?
Les films ont à relater nos identités nationales. Pour avoir l’adhésion populaire, un film doit être enraciné dans la culture du peuple. Nos films doivent signifier quelque chose pour nous. Ce ne doit pas être un cinéma de divertissement pur et simple : nos problèmes doivent être pris en compte, analysés. Notre source de réflexion doit être celle du peuple. Tous les films que j’ai faits jusqu’ici correspondent à cette ligne, de même que beaucoup de films en Afrique sont en phase avec les préoccupations des Africains.
Où puis-je voir vos films ?
Vous pouvez les voir en Angola ! J’ai tourné tout ce qui s’est passé en Angola. Et j’ai utilisé les archives nationales du film, des archives portugaises, militaires… Le matériel est sélectionné mais je ne peux pas l’utiliser parce que l’Angola a une dette avec le laboratoire établi au Portugal, environ 20.000 dollars, et nous ne les avons pas ! Au ministère portugais de la Coopération, on me répond que l’Institut national ne sait comment résoudre le problème.
Y a-t-il des perspectives de collaboration avec les pays d’Afrique australe ?
Oui, le Mozambique bouge et nous avons le SADEC, une sorte de Commonwealth, qui a un programme culturel bien défini pour l’audiovisuel. Il nous faut nous regrouper, nous ne pouvons pas faire cavalier seul. Indépendamment du problème de langue, c’est un vrai marché potentiel, la partie la plus riche du continent, avec de bonnes technologies, les structures, l’argent…
Pour faire des films hollywoodiens…
Oui, mais cela doit être ajusté. On ne va pas les étouffer avec nos problèmes, mais ils ont par exemple une cinématographie très pauvre au niveau éducatif.
Quelle est votre situation professionnelle ?
Je suis fonctionnaire de l’Institut du cinéma, en tant que réalisateur.
Vous disposez d’un budget ?
Non. L’ancienne structure avait fait promis une aide au cinéma mais aucun film n’a été tourné. Les deux films que j’ai fait en Angola ont été totalement faits en Angola : nous n’avions pas d’aide extérieure, nous avions un laboratoire, on débordait de matériel, du bon… Tout cela est foutu aujourd’hui : il faut tout repenser, tout recommencer, mais j’ai aujourd’hui le même état d’esprit que j’avais avant ! Je ne peux pas faire mes films, mais je pense que je ne peux pas me mettre à la retraite ! Les collègues sont découragés mais je pense que je dois me battre, parce que le cinéma ne peut pas mourir ! Malgré tous les problèmes, il faut relancer le cinéma en Angola !
Il se fait des films sur l’Angola, produits par d’autres pays ou initiatives de réalisateurs étrangers.
Nous ne sommes souvent même pas contactés… L’Angola n’est pas ma propriété, mais je crois que nous sommes capables d’analyser nos propres problèmes avec une vision qui sera plus intérieure. Les professionnels existent !

PS : Orlando Fortunato préparait à l’époque de cet entretien un film à tourner au Zimbabwe.///Article N° : 1267

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