Le festival des Étonnants Voyageurs s’est déroulé du 18 au 20 mai 2013 à Saint-Malo. La manifestation qui réunit des écrivains du monde entier a aussi été l’occasion pour une poignée de Malouins de s’initier au slam. Alors le 18 mai, plutôt qu’une lecture par Ryad Assani-Razaki ou encore des tables rondes en présence de Teju Cole (article à venir) ou Pinar Selek, Africultures vous emmène à la restitution de cet atelier animé par Insa Sané.
Ils ont de 9 à 81 ans et s’apprêtent à prendre le micro pour la première fois. Ces poètes malouins, qui jusque peu s’ignoraient encore, sont assis sur des chaises placées en arrière de la scène. Bien avant d’avoir pris la parole, le langage du corps les trahit et l’on comprend le trac qui les traverse. Leurs mots résonneront bientôt à une centaine de pairs d’oreilles d’un public composé lui aussi de néophytes des scènes slam.
Alors pour leur baptême du feu, l’écrivain et slameur Insa Sané commence par chauffer la salle avec ces mots :
« Le slam c’est un truc de jeune [
]
À 20 ans on ne s’imagine pas vingt ans plus tard
On a 20 ans et on est bête et méchant
On sait pas ce que c’est que le bonheur
On est juste vivant. »
David, la quarantaine, sera le premier à se jeter à l’eau pour faire mentir les clichés. Parce que pour lui : « La procrastination c’est l’art de remettre à demain ce qui peut être fait le jour même. En fait, la procrastination c’est ne pas réaliser ses rêves ». Quand il ne travaille pas son élocution et ne s’adonne pas à la procrastination, David est le référent de la Maison de la découverte. Centre social où les 29 et 30 avril 2013, Insa Sané est venu révéler aux Malouins leur talent de slameurs dans le cadre d’un atelier organisé par le festival Étonnants Voyageurs. Afin de recruter les adolescents pour cet atelier qui se déroulait en période de vacances scolaires, Insa Sané a arpenté les classes de collèges de Saint-Malo. Au final, une trentaine de participants, toutes générations comprises, se sont embarqués dans l’aventure. Tous n’auront pas osé venir sur scène. « C’était un atelier transgénérationnel, le défi étant d’utiliser des mots que tout le monde pouvait comprendre », explique Insa Sané. L’écrivain les a fait travailler sur un mot de leur choix, à partir duquel il s’agissait d’écrire une phrase. Petit à petit, jusqu’à obtenir un texte. Ou plutôt un poème. Comme celui de Marie-Annick :
Je suis la mère couleur émeraude
Et vous êtes la prunelle de mes yeux.
J’ai connu des récifs
Vous êtes les marins
Je dois être l’astre qui vous guide.
Tant pis pour ma jeunesse,
Tans pis pour mes rides.
Je suis la mère fleur bleue.
Ne plus vous revoir me fait une peur bleue
Je suis les vacances au bord de mer
Je serai avec vous et nulle part ailleurs
Lorsque je me retirerai
Coefficient 117
Je garderai vos sourires heureux
Dans un coin de ma tête
Je suis la mer et votre mère
Marie-Annick, la cinquantaine, a été séduite tant par le slam que par la personnalité de son mentor. « Insa nous a appris des techniques de respirations et il nous a tout de suite mis à l’aise ». La bienveillance était de mise en atelier, et lors de la représentation, la salle Sainte-Anne en a fait sa devise. Lorsque l’émotion fait trébucher une dame sur un mot et l’oblige à reprendre son flow, le public l’encourage par ses applaudissements.
Une fois que les participants à l’atelier sont passés un à un au micro, l’auteur de Tu seras partout chez toi (Cf. [article n° 11217]) appelle le public à monter sur scène, dans l’esprit d’un « open mic ». « Vous avez les pétoches ou quoi ? », lance-t-il à la salle qui tente de disparaître dans les fauteuils. Les slameurs parisiens Rouda (cf. [article n° 11500]) et Rim, le Néo-Calédonien Paul Wamo (cf. [article n° 11473]) et notre chroniqueur Capitaine Alexandre présents dans la salle vont tour à tour se partager la scène aux côtés d’Insa Sané pendant plus d’une heure. Invitant régulièrement le public à les rejoindre. Le pouvoir des mots, l’amour de l’écriture, le racisme, comptine pour enfants, le tumulte de la ville, textes participatifs, etc.
(en écoute) Les spectateurs conquis ne cessent d’en redemander, jusqu’à ce qu’en régie, on fasse signe qu’il est l’heure de libérer le théâtre.
En plus d’avoir prouvé que la poésie n’est pas l’apanage d’un petit nombre, cette scène slam aura montré que l’amour des mots et l’envie de le partager peuvent, le temps d’une soirée, faire tomber bien des barrières. Le lendemain, ce n’est autre que Saul Williams qui invitera le public à partager la scène qu’il occupe.
///Article N° : 11513