Tout d’abord le lieu. Une immense bâtisse qui semble surgie de la terre au beau milieu de la campagne poitevine. Il s’agit du lycée agricole Xavier Bernard où étudient chaque année plus de 400 élèves. Au cur du lycée, une salle d’exposition, véritable espace d’art contemporain qui, depuis 1995, accueille sous l’égide de Rur’Art réseau régional d’établissement agricoles associés pour le développement d’actions culturelles et artistiques – des expositions d’art contemporain. Monique Stupar, responsable du lieu, fait pour la troisième fois le pari de monter une exposition de » haut niveau » dans cet endroit qui peut sembler insolite aux habitués des lieux d’expositions plus classiques.
En 1997, elle y avait réuni les sculptures monumentales du Sénégalais Ousmane Sow et les architectures de briques miniatures de l’Américain Charles Simonds. Aujourd’hui, elle rassemble autour du thème un peu général de la représentation humaine, 25 artistes issus des cinq continents dont les uvres vont converser durant toute cette année. Aux côtés des uvres contemporaines, sont judicieusement exposées des uvres anciennes empruntées aux musées de la région Poitou-Charentes. Louable initiative qui confronte le passé au présent sans que l’un ne dénote par rapport à l’autre. C’est ainsi qu’une sculpture du célèbre artiste français Gaston Chaissac est présentée au milieu de statuettes et masques anciens originaires d’Asie et d’Afrique dans la plus parfaite harmonie. C’est dans ce dialogue intemporel entre les cultures, remarquablement mis en valeur par le travail scénographique, que réside l’intérêt essentiel de l’exposition. Et même si certaines uvres sont plus fortes que d’autres, la richesse du métissage l’emporte et les Messagers de la Terre nous invitent avant tout à un étonnant voyage.
Derrière un grand rideau s’ébroue le spectacle d’un monde au premier abord inconnu, déconcertant, que l’on reconnaît peu à peu comme étant la représentation du notre, au fur et à mesure que les yeux s’habituent à l’étrange obscurité d’un espace entièrement recouvert de bleu nuit. Dans cette nuit ainsi installée, évocation sensible du globe terrestre et du cosmos, se détachent les uvres séparément éclairées des » Messagers de la Terre « . Les africains sont venus en force, avec à leur tête un des artistes du continent noir les plus exposés au niveau international : Le Nigérian El Anatsui. La foule de personnages de bois récupérés sur une plage danoise qui compose son uvre » Akua’s surviving children » semble nous inviter à la rejoindre tout en nous prenant à témoin, tandis que le » Messager du désert » de l’Ivoirienne d’adoption Monique Le Houelleur, nous délivre par bride une partie de son secret. Il abrite en son sein, un morceau de semelle de tongue – ramassé dans le désert à proximité de Tombouctou qui, percé par un miroir, semble renvoyer chacun à ses propres mystères. Quand au Sénégalais Serigne Mbaye Camara, il nous convie à ses étonnants » Dialogues et rêveries I et II » ramifications de joncs et de branches incrustés ça et là de petites figurines de fer. Etranges gri-gri à la structure d’apparence fragile, mais au regard perçant, presque envoûtant.
Dans cette exposition au cur du monde, beaucoup ont créé à partir de leur environnement, lui empruntant qui de la terre, qui du bois, qui du sang de mouton matière de peinture de la brésilienne Karin Lambrecht – qui de la ferraille ou encore des radiographies – base de travail du plasticien martiniquais Ernest Breleur. Chacun a puisé dans sa nature comme le charismatique artiste noir américain Mister Imagination – étiqueté » art brut » – dont le » trône » est recouvert de capsules de bouteilles, un de ses matériaux de prédilection. Ces uvres, fruits de cultures, d’expériences et de sensibilités diverses, confrontées les unes aux autres composent une symphonie cacophonique dont n’émerge pourtant aucune fausse note. Elle nous pousse à l’instar du sociologue Jacques Leenhardt, à » enrichir les registres de notre perception « . Contribution essentielle qui nous libère de nos illères. » Car si la diversité culturelle n’est pas un moyen d’ouvrir plus largement nos yeux et nos esprits, ce sera alors que nous avons choisi le repli sur soi et l’aveuglement consenti « .
Messagers de la Terre
4 février 2000 10 février 2001
Espace d’Art Contemporain Centre de Ressources
Lycée Agricole Xavier Bernard 86480 Rouillé///Article N° : 1349