Géographies intimes de quartiers

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Photographe, Bruno Boudjelal interroge l’ailleurs des habitants à partir de leurs albums de famille. Un projet tissé entre Marseille, Nanterre et Montreuil. Sa propre histoire avec l’Algérie en fil d’Ariane.

Quartier de la Noue. Bruno Boudjelal surplombe le parc Jean Moulin, qui semble séparer les deux villes de Montreuil et de Bagnolet (93). L’été, les enfants de la cité jouent en haut, les enfants des pavillons, en contrebas du parc, se croisant à peine. Habitant depuis huit ans ce territoire perché dans les hauteurs de Montreuil, le photographe récolte les histoires de ses habitants, à travers leurs albums photo, pour donner à voir une géographie intime de la cité. Embryonnaire, la collecte devrait se concrétiser d’ici l’automne 2016, en un parcours de six murs recouverts de photographies de deux mètres sur trois représentant la mosaïque des habitants.
L’idée est née il y a quatre ans, à Marseille, où l’artiste interroge ses propres émotions :« Si je me sens au bled ici, est-ce un fantasme ? ». Dans la communauté algérienne, il demande aux plus âgés de puiser dans leurs albums de famille quelques images qui sont, pour eux, une évocation de l’Algérie. Soixante clichés sont alors exposés dans le quartier de Noailles. L’artiste poursuit le projet en Ile-de-France, à Nanterre, auprès des habitants des Provinces Françaises. Cette cité est parmi les premières construites autour du grand bidonville où son propre père a vécu dans les années 1950, débarqué d’Algérie. Comment l' »ailleurs » est-il imaginé, vécu par les habitants de ce quartier chargé d’histoire ? s’interroge encore Bruno. « Chacun peut avoir sa géographie intime, son idée de l’ailleurs, qui peut être lointain mais aussi très proche ».
S’approprier la ville
Riche d’histoires et d’images du Congo, d’Algérie, de Chine, d’Haïti ou d’Auvergne, il s’entoure d’un poète sonore qui enregistre les voix, les langues, les chants de ces personnes rencontrées en périphérie de la capitale. Deux immeubles de dix étages sont alors recouverts de fragments d’albums de famille et d’histoires récoltées qui dessine la géographie intime de toute une cité à travers l’exposition « Paysages du départ ». Une petite fille, dans les années 1970 à Constantine, est affichée sur une des façades. Sa sœur ne se lasse pas de ce souvenir : « De voir ma sœur comme ça sur le mur, me parle de ma place dans la ville ». L’exposition devait durer deux mois et se clore le 20 novembre. Elle reste pourtant toujours présente, pour une durée incertaine, les habitants refusant de voir leurs images disparaître.
« En tant qu’artiste, venir dans un quartier, prendre en photo les gens et faire un petit entretien, c’est fini. Si vous ne faites pas en sorte qu’ils soient acteurs et se réapproprient leur histoire, oubliez votre projet ».
Conviction forgée par quatre années de voyage à travers la banlieue parisienne, à pieds. Et par l’écho de sa propre histoire, une quête intime de l’Algérie paternelle. Dans les années 1960 à Montfermeil (93), Bruno grandit sans la transmission de ses racines. Son père, que tous croyait italien, avait banni l’arabe et son histoire « d’ailleurs ». Fils d’une génération à qui on a proposé d’omettre son héritage, Bruno s’interroge ainsi, après vingt années d’allers venues en Algérie : « Et si au contraire le fait de bien comprendre ce passé qui nous habite, de bien l’assimiler et le comprendre, permettrait de se sentir bien, ici ? ». Au jour où les injonctions à la citoyenneté sont assourdissantes, le projet de Bruno Boudjelal fait sens dans la conscience d’appartenir à une ville, à travers le dialogue des souvenirs.

///Article N° : 13376

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