Territoire inconnu. Quelques personnes avancent à toute allure vers une colline déboisée. La lune éclaire timidement ces voleurs d’espaces, les orientant vers un baraquement mystérieux. Un homme les interpelle, un soldat au beau milieu de nulle part les invitant à le suivre vers un bungalow sinistre. On découvre une famille, les Benamar, se tenant immobile au centre d’une pièce mal éclairée et sous le regard critique d’un colonel acariâtre. Ces gens du voyage ont simplement quitté leur pays, affolé par les conséquences de leur choix politique, puis ont résidé dans une dizaine de camps militaires pour finalement se retrouver dans cet endroit lugubre. Ce ne sont ni des assassins ni des voleurs en fuite. Juste des Harkis !
Constat évident d’une France qui porte un intérêt grandissant sur son passé colonial. Entre Les Enfants du Pays (Pierre Javaux) et Indigènes (Rachid Bouchareb), c’est toute une conscience sociale qui se dresse contre l’amnésie volontaire qui régna près d’un demi-siècle. Nouvelle surprise avec cette production audiovisuelle destinée à un large public dont la programmation en début de soirée ne fut pas fortuite (diffusée mardi 10 octobre 2006 sur France 2 à 20h50). Reflet d’une véritable politique de sensibilisation prônée par le service public dont le mot d’ordre est devenu : émouvoir avec plus de subtilité. De ce point de vue, Alain Tasma n’a pas dérogé à la règle. Auteur du très remarqué Nuit noire sur les sanglantes répressions françaises du 17 octobre 1961 (manifestation pro-FLN qui tourna au massacre), Tasma poursuit inlassablement son travail de mémoire en tordant le cou aux sujets laxistes. Avec Harkis, cet ancien assistant de Truffaut lève définitivement le voile sur un pan douteux de notre histoire qui vit des milliers d’algériens se réfugier dans une France, contrainte de les accepter. Mère Patrie chimérique par excellence.
D’emblée, on est happé par le scénario, par cette histoire écrite à deux mains (co-scénarisée avec une journaliste et fille d’Harki, Dalila Kerchouche), par cette réalisation sobre et complètement épurée et surtout par l’interprétation exquise de tous ces comédiens (Smaïn et Leïla Bekhti en tête). Authentique travail de fond qui permit au film d’avancer dans une direction pertinente. Il est rare de nos jours de tomber sur des téléfilms d’une telle profondeur où la recherche formelle n’a d’égale que la valeur du sujet. Alain Tasma s’interroge continuellement sur la mise en scène idéale à adopter. Refusant de se plier aux exigences des travers de L’Histoire, Tasma brouille les conventions narratives en réfutant toute émotion facile, tout misérabilisme qui pourrait dénaturer ses propos. Impossible par exemple de s’apitoyer facilement sur le triste sort des Harkis car le film ne l’admet pas. L’objectif n’étant pas de tisser des fils didactiques, Tasma refuse d’élever ses personnages au rang de martyr, de leur allouer un élan patriotique, de les retrancher dans un camp de privilège. Sa caméra, partiale et discrète, fouille les désillusions intérieures, les cris d’agonie de ces hommes qui ont perdu leur dignité dans leur propre patrie et les intolérances qu’ils subissent au quotidien. Juste entreprise de réhabilitation de la condition humaine sans pour autant passer par le cahier des charges académique des films à thèse.
Harkis Avec Smaïn, Leïla Bekhti, Frédéric Pierrot Durée : 1h45///Article N° : 4593