En sortie le 18 janvier 2017 dans les salles françaises, le nouveau film de Lucien Jean-Baptiste est une comédie réussie, sensible et drolatique. Il est aussi révélateur.
De film en film, Lucien Jean-Baptiste réussit son pari sur la corde raide : faire rire tout en éveillant les consciences. Il évite toute leçon de morale et tout discours de pancarte à travers des histoires simples, linéaires, proches du vaudeville avec des personnages hauts en couleurs. Présent à l’écran dans le rôle socle, entouré de bons acteurs, il tresse une douce musique faite de pointes d’humour sans mépris, de clichés détournés pour en démonter l’inanité, d’une bonne dose de tendresse et d’humanité pour rendre familière la petite communauté noire qui s’agite en tous sens. C’était vrai de La Première étoile (2009, cf.[critique n°8584]) où il emmène en vacances de neige une famille désopilante mais fauchée gérée par Firmine Richard. Vrai également de 30° couleur (2012), où il revient en Martinique au bout de 30 ans
en plein carnaval. Et encore plus vrai de Dieumerci ! (2015, cf. [critique n°13489]) où, sortant de prison, il finit par réaliser son rêve d’être un comédien de théâtre en duo avec Baptiste Lecaplain. Généreux et sincères, ses films vibrent d’une sensibilité qui passe dans ses hésitations, sa façon de camper un antihéros bon enfant mais aussi fonceur, un peu naïf mais loin d’être dupe, qui se dépatouille de situations critiques à force d’écoute et de détermination.
Les situations critiques sont ici celles de la comédie à suspenses. On ne va pas voir Il a déjà tes yeux sans savoir qu’un enfant blanc va être proposé à un jeune couple noir en attente d’adoption. Mais dans le film, cela prend dix excellentes minutes où l’on sait sans qu’ils sachent : exactement la définition du suspense, contrairement à la surprise où l’on ne sait pas ce qui va arriver. Ce sont eux qui sont surpris et nous nous esclaffons ! Cela recommence avec les parents de Sali (Aïssa Maïga, toujours aussi convaincante) dont on comprend vite qu’ils vont faire une crise à la vue de la petite tête blonde, dans la droite ligne d’Agatha, la chanson de Francis Bebey du générique de fin. Même l’arrivée du copain Manu (impeccable Vincent Elbaz) pour aider aux travaux dans une maison en chantier joue sur l’attente de ses gaffes à répétition. Le final sera une pétillante poursuite dont l’issue attendue fait encore l’objet d’un inénarrable suspense.
Alors que les couples blancs adoptent des enfants noirs selon la bonne vieille formule du fardeau de l’homme blanc qui prend en charge le développement et l’éducation du monde, on ne voit ni n’imagine un couple noir avec un enfant blanc. L’inversion est savoureuse, tant elle est révélatrice. C’est un peu comme lorsque la femme d’affaires raciste incarnée par Valérie Lemercier devenait noire dans Agathe Cléry d’Etienne Chatiliez (2008, cf. [critique n°8225]) : la parodie est au sommet. Chatiliez déjà, comme dans tant d’autres films qui ensuite chercheront à répéter le succès d’Intouchables (2011, cf. [article n°10507]), nous livrait la peinture d’un monde rêvé où les discriminations seraient gommées dès lors qu’on en montre la bêtise. Lucien Jean-Baptiste, lui, ne dérive pas vers un nouvel avatar de la suffisance d’une société qui, en faisant semblant de prendre le problème des tares coloniales à bras-le-corps, croit pouvoir s’affranchir des remises en causes de son Histoire.
Bien au contraire. Sans jargon ni discours, il place quelques piques. Interrogée sur son origine, Sali répond qu’elle vient de Créteil et précise : Val-de-Marne ! Et Manu ne se prive pas non plus de quelques saillies bien fléchées. C’est cependant la situation, et surtout elle, qui démonte l’ineptie d’une vision politique qui s’oppose à toute humanité dans l’univers du repli sur soi. Cette vision, c’est Mme Mallet (Zabou Breitman, au top) qui l’incarne. Elle s’était opposée à cette adoption et, en charge de son suivi, essaye de la faire capoter. Plutôt qu’une malfaisante sorcière, elle est troublée, déstabilisée, perdue. A l’image d’une société qui s’interroge sur ses capacités à intégrer la différence, jusqu’à constater comme Alvina, la sur de Sali (Manda Touré), que l’ordre des choses est bouleversé et « qu’il va falloir qu’on y passe tous parce que maintenant c’est irréversible ».
Si l’appel à la tolérance et à la normalisation des rapports au-delà des couleurs de peau traverse tous les films de Lucien Jean-Baptiste, la double appartenance culturelle n’est pas ici une évidence. Sali est tiraillée entre le respect de sa famille d’origine et sa fusion dans le tissu social français. Quelle sera la marque, la trace culturelle pour cet enfant blanc issu d’une adoption noire ? Comment l’éduquer ? Quelle perte accepter et que revendiquer ? Comme l’indique le final, ces questions très pratiques vont se poser à chaque étape de l’éducation. Il a déjà tes yeux, mais a-t-il ta culture ? Laquelle varie déjà entre Sali et Paul (Lucien Jean-Baptiste). A n’en pas douter, le film aura une suite !
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