Cela a commencé en 1915 par Naissance d’une nation de Griffith, film fondateur du cinéma américain, où le personnage de Buck est un nègre primitif et violent. Cela a continué en 1939 avec Autant en emporte le vent où la servante est une grosse mama noire fidèle et dévouée. Dans les années 60, Sydney Poitier incarnait un Noir trop parfait, héros intégrationiste : policier vertueux dans Dans la chaleur de la nuit ou beau-fils modèle dans Devine qui vient dîner ? Et dans les années 70, les films dits de Blackploitation mettaient en scène des super héros black, super flic et super caïds des ghettos. Le livre de Régis Dubois part de cette base pour montrer qu’aujourd’hui encore, si les stéréotypes ont évolué, au fond ils ne s’améliorent pas. Il a le mérite de sérier les clichés et leur histoire. Il insiste sur la persistance des stéréotypes négatifs paternalistes ou méprisants comme dans la Couleur pourpre (Spielberg, 1985) et Mississipi Burning (Parker, 1988) où les Noirs sont des victimes soumis, passifs et dociles, en bons descendants de l’Oncle Tom. Il cite ces films où les Noirs ne sont là que pour légitimer un héros blanc comme dans Cry Freedom (Attenborough, 1987) ou Glory (Zwick, 1989). Il évoque les représentations ancrées dans la haine et la peur où les Noirs sont des brutes épaisses, menaces pour la société ou pour la femme blanche, comme le personnage de Clubber dans Rocky III (Stallone, 1982).
Puis, il analyse la sortie des stéréotypes dégradants qu’orchestre un Hollywood soucieux de rentabilité face à 25 % de spectateurs noirs. On voit apparaître des héros intégrés économiquement et socialement incarnant l’amour de la loi et de la justice : Denzel Washington symbolise par exemple l’idéal blanc du Noir américain dans Ricochet (Mulcahy, 1991), Philadelphia (Demme, 1993) ou l’Affaire Pélican (Pakula, 1993). A côté de ces personnages immaculés et insipides, socialement et sexuellement neutralisés, les années 80 voient la résurgence des super héros black offrant une image rassurante à l’encontre des brute noires précédentes. Avec Eddie Murphy et Whoopi Goldberg apparaissent aussi les comiques insolents qui fixent l’image du Noir comme un être bruyant et grossier, bouffon évoluant dans un univers blanc et peu au fait des problèmes de sa propre communauté.
Dubois termine son texte sur une ambiguïté, relevant une absence d’évolution tout en notant une amélioration dans les années 90, sous la pression du New black cinema : autant le cinéma hollywoodien continue d’être hanté par la peur du métissage, autant la pression se fait plus forte pour permettre aux acteurs noirs d’accéder à des statuts moins dévalorisants.
Cette ambiguïté traverse en fait tout le livre : s’il est utile pour sérier les clichés et leur histoire, ce texte reste beaucoup trop superficiel. Seul ouvrage paru sur un thème aussi important, il va servir automatiquement de référence. Il est dommage qu’il en reste à des jugements mal fondés et à un vocabulaire approximatif alors qu’il pourrait s’appuyer sur les théories actuellement développées sur l’image de l’Autre. Démarche ambivalente d’un auteur qui prétend à l’objectivité sur un thème éminemment subjectif, alors que son sujet devrait être l’évolution de son propre regard, non pour en faire un pamphlet mais pour s’impliquer et s’exposer davantage. Ce manque d’analyse est grave car il concourt à renforcer des idées reçues sur une pseudo-évolution superficielle des choses alors que la société américaine conserve une structure foncièrement raciste. S’il est clair que l’évolution ne peut venir que de Noirs prenant en main leur propre expression cinématographique, il serait important de souligner l’ambiguïté du New black cinema rapidement enfermé en une sorte de nouvelle blackploitation dans le genre du film à problème qui s’épuise déjà. Un grand nombre de films instrumentalisent une esthétique du ghetto en un discours néo-conservateur qui rend finalement les Afro-américains les seuls responsables de leur situation sociale. La publicité de films comme Menace II Society (Hughes, 1992) ou Boyz’n the Hood (Singleton, 1991) est basée sur » l’authenticité » du regard de réalisateurs ayant grandi dans le ghetto. Mais Hollywood limite bien les choses en restreignant les cinémas noirs à un cinéma de divertissement s’abreuvant de la vie des adolescents noirs des ghettos : il ne s’agit pas de franchir la barrière raciale en place qui permettrait à des réalisateurs noirs d’aborder d’autres thèmes de la société blanche, alors même que les Blancs ne se gênent pas pour cela comme Spielberg avec la Couleur pourpre.
En définitive, rien ne change profondément au cinéma si la société n’évolue pas. La reformulation des normes dominantes ne peut se faire que dans un cinéma indépendant, aux marges de l’industrie hollywoodienne, dont les plus forts exemples restent non les films de Spike Lee mais plutôt Daughters of the Dust de Julie Dash (1991) ou To Sleep with Anger de Charles Burnett (1991). Un certain nombre de films mal distribués explorent le vécu des Noirs américains pour poser sans cesse la même question : qui sommes-nous ? C’est dans ce type de cinéma, et non dans le cinéma hollywoodien, que se joue véritablement l’évolution des représentations.
Images du Noir dans le cinéma américain blanc (1980-1995), de Régis Dubois, L’Harmattan, 1997, 152 p., 85 F.///Article N° : 204