Luttes de clans, règlement de comptes, guerres de succession. Dans son deuxième roman écrit comme un scénario de polar, au phrasé court et au rythme soutenu, Mamadou Mahmoud Ndongo plonge le lecteur dans les milieux du grand banditisme. Dans les cités abandonnées par l’État, laissées pour compte depuis longtemps, la criminalité est souvent la seule façon de faire carrière et de se construire un nom, quitte à s’enfermer dans un cercle vicieux où les rêves d’un ailleurs moins chargé d’histoire sont vite étouffés. Malgré sa violence extrême, El Hadj dévoile des héros capables du meilleur comme du pire, touchants d’humanité même dans leurs gestes les plus macabres. Déjà remarqué lors de la parution de son premier roman, Bridge Road (1), Ndongo affirme avec El Hadj ses talents d' »écrivain d’images ».
Votre écriture est très cinématographique : beaucoup de dialogues, de courtes séquences, des phrases concentrées. Quel est votre rapport à l’image ?
Il est important pour moi que le lecteur puisse « voir » les scènes. J’aime cette écriture visuelle, et je me reconnais dans l’écriture par fragments de Bruno Gay-Lussac. Cette fragmentation en courtes séquences aère le texte. J’ai fait des études de cinéma parallèlement à des études littéraires, et je continue à faire de la photo et des films. Cela a certainement influencé mon écriture mais en même temps une image écrite est très différente d’une image filmée. Ce n’est pas le même travail, c’est plus difficile d’écrire une image que de la filmer.
Pourquoi avoir choisi la littérature plutôt que le cinéma pour vous exprimer ?
Très tôt, vers 16 ans, j’ai su que la littérature serait mon rempart. Dans cette période trouble de l’adolescence, la littérature m’a permis de mieux me comprendre, d’aller à l’intérieur de moi-même. J’ai beaucoup lu, de la philosophie, des tragédies grecques
J’ai beaucoup écrit aussi. J’ai fini par faire des études de littérature, d’histoire de l’art et de cinéma, pour connaître et comprendre ce qui avait été fait avant moi. La littérature ne m’a jamais quitté, même lors de mes études de cinéma : je faisais des adaptations d’uvres littéraires !
El Hadj se déroule dans un lieu chargé de mémoire, Drancy. Pourquoi ce choix ?
C’est un lieu conflictuel, où le passé ne passe pas, un lieu qui pose la question de la vie en communauté. Comment vit-on ensemble ? Comment accepte-t-on l’autre ? Drancy est depuis 60 ans un lieu de relégation, d’abord pour les juifs en attente de déportation, puis pour les immigrés. Je suis moi-même arrivé à Drancy en 1975 et je continue d’y vivre. J’ai pris progressivement conscience de l’histoire de ce lieu. Une histoire qui me paraissait tellement irréelle, tellement lointaine et inconcevable
et pourtant si proche. Je réalisais que les vieux que je croisais dans la rue avaient vécu cette période.
Soixante ans plus tard, on continue à se demander où est la place de l’autre. Drancy est une ville communiste mais très raciste. Je suis abasourdi de voir que c’est sous l’influence de Sarkozy qu’on abolit la double peine, qu’on a des ministres issus de l’immigration, un conseil du culte musulman
Ceux de ma génération qui ont naguère milité à gauche finissent par s’investir au centre ou à droite.
Les émeutes de 2005 ont été salutaires pour les banlieues. Les gens ont pris conscience que la meilleure façon de changer les choses, c’est de s’engager soi-même. Il faut dire que dans nos collèges, dans nos lycées, on ne nous encourage pas dans cette voie. Être journaliste ou avocat, c’était inconcevable, il fallait suivre les pas de nos pères ouvriers dans des usines. C’est une démission de l’État, une politique délibérée.
El Hadj fait penser aux héros des tragédies grecques. Il est prisonnier d’un milieu dont il ne parvient pas à sortir. N’est-ce pas là l’image assez clichée des banlieues : des impasses sans issue ?
J’avais envie depuis longtemps d’écrire un livre sur la vie dans les cités, sur la généalogie de la violence et de la haine qu’on y trouve, mais aussi sur la solidarité, qui était notre seule richesse. J’ai connu la violence que je raconte mais je m’en suis sorti. Ce n’est pas le cas de tous, d’autant qu’on nous pousse dans cette direction-là. Pour El Hadj, la criminalité est une transmission, un legs qu’il a reçu de son père. Il n’a jamais pris position et a accepté les compromis jusqu’à se compromettre. Mais il a envie de devenir quelqu’un d’autre, de casser le cercle, de s’opposer. Il a envie de partir, tout comme sa copine Julia. Seulement, pour pouvoir partir, il faudra qu’il commette un crime de plus.
Il y a la dimension tragique du héros mais aussi des éléments de conte, avec la sur d’El Hadj, « la petite fille aux allumettes » qui finit par brûler l’appartement familial
Les contes m’ont toujours fasciné. La Petite fille aux allumettes est certainement celui qui m’a le plus marqué ! J’ai aussi grandi avec l’histoire du grand banditisme et de la mafia qui nous était racontée par un copain italien. C’était extraordinaire, ça prenait des dimensions totalement mythiques pour nous ! Quelque part, ça se rapprochait du conte. J’avais envie d’utiliser ces éléments dans l’écrit.
Que pensez-vous de l’étiquette d' »écrivain de banlieue » qui a tendance à coller aux écrivains issus des cités ?
Ça ne me gène pas, ça m’amuse. On me dit parfois que contrairement aux autres écrivains des cités, je fais de la littérature. Dans les librairies, je suis classé dans des rubriques différentes : littérature française, africaine, antillaise, francophone
J’ai l’impression que c’est plus un avantage qu’un inconvénient.
1. Ed. Le Serpent à plumes, 2006El Hadj, de Mamadou Mahmoud Ndongo, Ed. Le Serpent à plumes, 2008.///Article N° : 8190