» Je voulais que la peau parle ! « 

Entretien de Olivier Barlet avec Zeka Laplaine à propos du Jardin de Papa

26 septembre 2003
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Pourquoi ce titre,  » Le Jardin de Papa  » ?
C’est l’Afrique, dans la tête de certaines personnes : les colons ou les fils de colons qui considèrent l’Afrique comme un jardin privé où ils peuvent tout faire mais aussi certains de nos dirigeants qui gèrent leur pays comme un jardin privé. Mon personnage principal revient au pays où il a grandi avec cet esprit et le film est traversé par la proximité de la farce électorale.
On sent dans le film une volonté de poser cette vision. Son point de départ était-il davantage idéologique ou intuitif ?
J’écris intuitivement mais toujours avec un point de départ. Qui peut être flou d’ailleurs. Il faut ensuite maîtriser ce qu’on dit car on touche à l’image et qu’on propose cette image au monde, surtout lorsqu’on parle de relations entre Blancs et Noirs. Pour ce film, le départ était un fait divers où un ambassadeur congolais avait renversé un enfant en allant rejoindre Mobutu dans le sud de la France. La médiatisation de cet accident et du scandale qu’il avait déclenché me donnait le sentiment qu’au-delà des faits eux-mêmes, on touchait un peuple qui n’avait rien à voir avec l’accident. De là, j’ai eu envie de lier des Blancs et des Noirs autour d’un accident transposé en Afrique, de les mettre dans une situation d’extrême contradiction face à eux même, à leurs histoires et à leurs rancunes non résolues.
Les réactions sont terriblement violentes.
Comme souvent lorsque le passé ressurgit, ou lorsque l’autorité n’est plus crédible. Le film se passe dans un pays où les institutions ne fonctionnent pas bien : il y a apparemment une crise, on veut annuler les élections, le chômage est important, les gens sont désoeuvrés etc. Les gens tendent alors à se substituer à la justice qu’ils ne respectent plus et à chercher des boucs émissaires à leurs problèmes.
Un psychodrame se construit alors, qui ne se dénouera que grâce à un personnage féminin, Kapinga, incarné par Princess Erika. Les personnages sont enfermés dans une cage !
Oui, et de nuit. Je voulais les enfermer et voir comment, Blancs et Noirs, méchants et gentils, se comportaient. Kapinga parle peu mais observe : je la voulais avec une présence forte, un regard fort, fière, digne et que je filmerais aussi désirable. Elle qui est la seule à être en dehors du conflit qui advient, elle va prendre une position, presqu’un jugement. On m’a dit qu’elle représentait l’Afrique et cela me convient : une femme fière qui se tient droit !
On trouvait déjà dans  » Paris : xy  » une femme dont la lucidité lui fait poser des actes, au risque de mettre l’homme en crise jusqu’à ce qu’il comprenne que la voie est dans le dialogue et le rapport affectif plutôt que dans le machisme.
Il y a effectivement cette permanence, mais je n’y pense jamais quand j’écris. Je me retrouve souvent à dire que les femmes sont peut-être la solution au conflit. Les mâles créent les conflits car ils dominent le monde et la paix vient de celles qui mettent au monde et ont une autre conscience. Dans le film, une complicité naît entre une Blanche et une Noire face à la bêtise des hommes.
Je glisse en passant que le logo d’Africultures, ce peigne surmonté d’un œil qui est pour nous à la fois le regard et les racines, est à l’origine un symbole acra ghanéen qui signifie la sensibilité féminine, la patience et la tendresse ! Mais parlons de la violence : une violence qui vire à l’absurde chez les Noirs répond à une violence terrible du côté blanc dans le mépris et le préjugé.
Oui, mais c’est dans le film une violence accidentelle. Sans l’accident, elle n’aurait pas lieu. On a tous une violence inouïe en nous : celui qui découpe son voisin à la machette n’est à la base pas plus violent que toi ! (rires) Ce n’est pas un film sur la violence mais je suis terriblement intrigué par elle : j’essaye peut-être de la justifier. Elle vient d’un vécu de l’Histoire de chacun, de ce qu’on traîne. Et la violence qu’ont les Africains dans le film vient peut-être du viol permanent que vit l’Afrique. Les peuples les plus pacifistes sont capables d’exprimer une violence terrible. Ceux qui sont violents dans le film sont des personnages normaux. Deux d’entre eux auront la lucidité de s’arrêter mais on stoppe difficilement la violence. Elle dépasse les êtres : c’est là que les fantômes rentrent en jeu, là où l’être humain n’agit plus en pleine conscience. Dans la scène de l’attaque, ceux qui se font justice ne sont pas des guerriers, mais des fantômes. Peut-être ceux de l’Afrique.
Voilà pourquoi tu peins les visages des protagonistes ?
Oui, je les ai peints pour suggérer qu’on sort de la réalité. Cela devient surréaliste. C’est peut-être l’âme, l’Histoire qui parle à ce moment-là et rien ne peut plus les arrêter. Ce ne sont plus des hommes. Entre Blancs et Noirs, une haine est là car un déficit de dialogue persiste, si bien que la violence couve.
Le Blanc est violent par ses mots comme par ses préjugés et par ses gestes. On est loin du film hollywoodien style  » Cry Freedom  » où le bon Blanc permet à un Noir de se révéler. Cette inversion est clairement volontaire.
Nous sommes, chez les réalisateurs africains de plus en plus nombreux à mettre des blancs en scène. Parce qu’ils font partie de notre vie. Nous en profitons forcément pour donner une lecture de nos rapports qui correspond à notre vécu. Il y a une volonté manifestée non pas d’inverser forcément les choses, mais de montrer une autre réalité. Mon personnage, fils de colon, aime l’Afrique. Mais il fait ce qu’il peut, avec son éducation de dominant.
Qu’il exprime très bien en disant :  » Je suis déçu  » !
Exactement. Il est enfermé dans une cage avec les limites de son éducation, face à un continent qui change, où il ne jouit plus des mêmes privilèges. Grâce à sa femme et aux évènements qu’ils vont traverser cette nuit là, j’espère qu’il trouvera un autre regard, un autre rapport à l’Afrique. Quand je rencontre des Occidentaux qui me disent aimer l’Afrique, je les crois sincères mais tout est dans la manière et dans les raisons…
Les flous, les jeux sur les lumières, l’ambiance d’un nuit où tous les chats sont gris… Ce choix de l’incertitude répond-il à une volonté de sortir du message didactique ?
On a beaucoup discuté avec le chef opérateur sur l’ambiance que devait dégager un film presqu’entièrement tourné de nuit. Il était important que tout se tienne dans cette unité de temps, pour montrer que la vie d’hommes et de femmes pouvait basculer en une nuit. C’est encore plus violent si on accepte qu’on est pas maîtres de ce qui se passe : cette Histoire qui plane sur les personnages. Plus on avance dans la nuit, moins on entend de bruit et plus on est face à son destin. Les personnages sont de plus en plus isolés, face à eux-mêmes. On ne pouvait éclairer cela de façon réaliste. On a cherché une image sombre, des contrastes forts, des lumières très colorées. Je ne peux parler rationnellement de la nuit car j’ai peur d’elle : c’est comme si une autre présence poussait les personnages vers un destin qu’ils ne peuvent maîtriser.
C’est effectivement là que le film trouve une dimension spirituelle : cette nuit du destin, on la retrouve aussi dans l’islam. C’est une façon de parler du destin humain.
Oui, mais je ne l’ai pas formulé dans le scénario. Je l’ai senti sur place : on tournait toutes les nuits dans ce quartier très populaire, bondé en plein jour et qui se vidait entièrement après deux heures du matin. On se sentait ailleurs. Ces fantômes n’étaient pas dans le scénario, mais je ne pouvais pas ne pas me servir de ce que je ressentais. Cela me ramenait aux peurs de mon enfance. Même si on était une vingtaine de personnes, le fait de déambuler dans les ruelles du quartier ou de grimper sur les poteaux pour tirer les câbles, faisait de nous des fantômes !
Tourner de nuit n’est pas simple.
Le premier obstacle était la fatigue. On finissait à l’aube et il est très dur d’arriver à dormir en Afrique durant la journée ! Dès la deuxième semaine, on était très fatigués et en quatre semaines de tournage, de vrais zombis ! D’où les fantômes !! (rires)
Ta caméra effleure aussi bien la peau noire que la peau blanche et met tous ces êtres en situation de désir, non sans une certaine insistance.
La sensualité et le désir devaient faire partie de mon histoire même si ça peut paraître paradoxal de parler de désir dans un cadre de violence. Je voudrais au fond de moi que les choses se passent bien : qu’un fils de colon puisse rentrer en Afrique sans rejouer le même jeu, que les rencontres soient possibles car il ne situe plus l’Afrique dans ce qu’il voudrait qu’elle soit ! Je filme donc de près, surtout dans le huis clos, pour suggérer le désir de l’autre malgré un contexte difficile. Je voulais que la peau parle !

///Article N° : 3071

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