A Joucas, comme en 2004 pour la sculpture, des artistes africains se sont retrouvés sous l’égide de la Fondation Blachère pour une résidence atelier en phase avec la population.
Un petit village entre Gordes et Apt (Vaucluse) transformé en un vaste studio photo : tout visiteur pouvait déambuler de maison en maison et se faire tirer le portrait par treize photographes africains de différentes origines. L’un est très connu : Malick Sidibé, invité d’honneur, prix Hasselbad 2003, dont les « vues de dos » des années 50 retournaient le travail de studio en une nouvelle vision, annonçant la photo d’art. Les autres le sont peu, ce sont des jeunes de la photo, même si certains ont déjà gagné des lettres de noblesse dans des expositions internationales.
Expression reportage d’une ruralité : lâchés à l’affût d’un petit village provençal, les treize Africains ont chassé les images, captant un couple qui s’embrasse sous les platanes autant que les jeunes en scooter, les boulistes ou les clients de l’épicerie, les enfants bien sûr ou la terrasse de l’unique café. Et chaque soir, à la faveur des invitations où les habitants dressent des tables de 50 couverts, on parle photo et des photos prises.
Passent les jours et le village se mue en lieu d’exposition : les travaux sont commentés chaque soir, sélectionnés, agrandis, collés sur des panneaux. Les expositions se poursuivent jusqu’au 30 septembre 2005.
En plus du grand Sidibé, trois maîtres les accompagnent : le photographe franco-allemand Hans Silvester (dont l’exposition sur les tribus éthiopiennes de l’Omo se poursuit jusqu’au 30 septembre au Centre d’Art Blachère, Z.I. des Bourguignons à Apt), le photographe sud-africain Peter Mc Kenzie (cf. son portrait dans le dossier « Une nouvelle Afrique du Sud ? » du numéro 40 d’Africultures) et le philosophe et critique d’art Yacouba Konaté, qui vient d’être nommé commissaire du Dak’art, la Biennale des arts plastiques de Dakar.
A l’origine, un homme hors du commun, toujours présent sur sa chaise roulante, PDG d’une entreprise de luminaires qui illumine la tour Eiffel, Oxford Street ou les sapins de Noël un peu partout : Jean-Paul Blachère. Il crée une fondation d’entreprise et nomme le politique Claude Agnel comme président administrateur et le visionnaire Pierre Jaccaud comme directeur artistique, tout en délégant à l’engagée Gabrielle von Brochowski, bien connue du milieu artistique, qui fut déléguée de la communauté européenne durant 30 ans en Afrique, la charge de gérer la dotation d’une association « Actions africaines ». Résultat : chaque année un focus sur une expression artistique et en 2005 la photo !
Le soir du vernissage, beaucoup de monde qui évolue d’un panneau à l’autre. A la salle polyvalente, une « installation » de photos vrac avec textes et en boucle le film réalisé par Adrien Sina, véritable uvre d’art captant l’émergence de celles des autres, témoignage de moments partagés. Sur la place du village, là où se tiendront les discours et le buffet, une photo tirée en grand de chaque photographe, vues des gens d’un petit village de Provence par des Africains venus de loin (cf. illustrations de l’article). Rien d’extraordinaire, au fond rien que du banal puisqu’ici l’exotisme ou l’exceptionnel ne joue pas : la simple tentative de gens d’ailleurs de saisir le temps d’un microcosme tout simple, un village et ses visiteurs. Mais en toile de fond, la recherche voire l’affirmation d’un regard, qui ne se veut pas anecdotique, seulement ludique, jamais méprisant, au contraire ouvert à la beauté des êtres, attentif au vécu de chacun et au langage des corps, ouvert à la sensation de la rencontre et au temps qu’elle nécessite, à la mémoire qui se noue à travers l’objectif. Rien d’abouti mais le but n’est pas là : tout est dans la démarche, la rencontre, les contacts noués, l’envie d’en découdre encore plus avec l’image, l’impression qu’il s’est passé quelque chose et qu’après n’est plus comme avant.
Au finish, un moment fort pour tous, une étape, de l’énergie en barres qu’on remise dans sa valise pour poursuivre le travail de création, malgré les multiples obstacles.
En forme de bilan, ces paroles de photographes, saisies le dernier jour de l’atelier, avec en italique quelques mots sur leur travail habituel.
Elle utilise la vidéo, la photo, l’impression et les installations pour « expérimenter le flux de la vie, l’espace et le temps »
« Le bilan général est positif : nous avons gagné en confiance photographique et nous nous sommes intégrés dans ce village. Le partage entre photographes et le travail de studio nous ont poussés comme un défi à remplir plus important chaque jour. La notion de studio était très large et ne nous faisait pas revenir à un classicisme. »
Il se définit comme un « révélateur d’idéal », à la recherche de l’inattendu, du beau et de ses attributs.
« A Dakar, j’ai commencé par les cérémonies familiales pour gagner ma vie mais je me concentre maintenant sur la photo d’art, depuis une exposition de portraits au CCF en 1996. C’est un engagement qui nourrit mal son homme mais qui fait avancer. Les ateliers de Joucas s’inscrivent dans ce processus. Etre ainsi réunis une quinzaine de jours avec d’autres photographes permet de partager nos expériences. L’apport de Hans Silvester et Peter Mc Kenzie était également très enrichissant : leur expérience et leur savoir-faire. La complicité entre la population et les photographes vient en continuité avec l’atelier des sculpteurs de l’année dernière. Le début était timide, nous avons été étonnés par l’âge des habitants, il n’y a pas beaucoup de jeunes, mais on s’y est mis et les gens sont venus de loin pour se faire photographier par des Africains ! Au Sénégal, je travaille sur les Sérères et le thème de la diversité culturelle, avec à la clef les valeurs menacées de disparition. Nous faisons des images avec notre sensibilité et notre vision du monde. Le travail de studio réalisé ici m’a enjoint à continuer ce que je fais à Dakar, où je pratique un travail de studio très élaboré. »
Une des quatre femmes maliennes photographe de la jeune génération.
« Il n’est pas facile d’être femme photographe au Mali. J’aimerais ouvrir un laboratoire pour me permettre de continuer même si je me marie. J’apprends auprès des anciens que je visite régulièrement, à commencer par Malick Sidibé. Ici, la température n’est pas la même et les relations étaient timides au départ mais cela a vite évolué et nous sommes maintenant très proches des gens du village. »
Il dirige un studio à Bamako et photographie en gros plan des objets pauvres, des menus détails.
Sur une photo réalisée à Joucas représentant les maisons à un carrefour de rues : « J’ai essayé de faire ressortir la composition et les lignes en perspectives, avec une large profondeur de champ. Ici, les pierres remplacent les briques de terre. Les lignes sont fortes et la continuité impressionnante entre les anciennes et les nouvelles maisons. C’est ce que j’ai voulu exprimer en les mettant ainsi en perspective. Dans le studio, j’ai proposé aux gens de se vêtir avec des habits traditionnels maliens, de façon à avoir une vision croisée. Les personnages ne sont pas de face pour raconter leur histoire. Je choisis ainsi des angles expressifs. A Bamako, je fais du portrait en studio ainsi que du reportage, mais essaye aussi la photo d’art en partant d’un thème que je travaille jusqu’au bout. »
Il montre le passage à l’après-apartheid dans un monde violent.
« Lors de notre visite au marché d’Apt, j’ai choisi le fromage et le café comme thème, qui me paraissent très typiques, une certaine exotique pour rigoler des Français, des cartes-postales amusantes stéréotypées. L’exercice est très court et ne donne pas de bons résultats. Après une relation plus approfondie avec les gens, ce serait meilleur. Normalement, je travaille très lentement, je prends le temps. Ici, le rythme et l’ambiance sont différents et une distance s’installe. En Afrique du Sud, je travaille sur la spiritualité, les espaces urbains, la vie sociale, les transports publics. Ce ne sont pas des commentaires ou des jugements, davantage un partage. Mon problème n’est pas d’inverser le regard européen : nous avons des défis à relever qui nous sont propres. Je ne travaille pas au nom d’autres gens et ne lance pas de slogans politiques. Je maintiens une distance avec le sujet. L’expérience des portraits en studio ici était un exercice intéressant à cet égard car j’étais confronté au contact direct. Je suis originaire d’une township et peux ainsi évoluer dans tous les milieux, et j’ai pu vérifier ici que ce qui est important est le cur. »
Ce jeune photographe met les images côte à côte pour créer le dialogue visuel.
« Je dois me mettre au travail pour améliorer mon niveau. Le Congo n’a pas encore un niveau international pour la photo d’art. La photo de reportage ou de cérémonies domine. Ayant fait des études d’art à Kinshasa, je conçois une uvre à partir de l’image photo, à l’aide de photoshop sur un ordinateur. Mais je risque de mourir pauvre dans mon pays où on ne consomme pas l’art. Je dois envisager une voie internationale. Cet atelier est ma première expérience de travail pratique avec d’autres dans ce domaine. Mes recherches graphiques sont différentes des pratiques des autres qui sont davantage dans le reportage ou le portrait. L’enjeu pour moi est de les imposer. »
Il s’intéresse aux gens et au patrimoine, cherche le beau et le laid, débusque le jeu social.
« L’intérêt de Joucas était de pouvoir s’approcher des habitants et d’être en contact avec les touristes pour explorer leur accroche au monde contemporain. Cela suppose de se balader dans l’espace avec un pied sur terre. Je cadre mes sujets de près, excluant l’environnement : ce qui m’intéresse est l’intérieur des gens. Arrivant comme ici dans un milieu, on essaye de sentir ce qui va, ne va pas, et de l’exprimer par la photo. C’est un travail de réflexion. Hans Silvester a 75 ans avec 62 ans de pratique photographique ; Peter Mc Kenzie a 30 ans de pratique : ce furent des rencontres essentielles avec des praticiens. Je n’ai fait ici que des expérimentations et suis venu puiser à la source du savoir ! »
Reporter, il s’empare de sujets comme les saisonniers engagés en Italie, et les victimes des mines antipersonnelles.
« Les émotions se sont accumulées à travers les rencontres avec les habitants et leur accueil et je suis déçu de n’avoir pu les retranscrire dans mes photos. J’aurais voulu être plus pertinent mais nous sommes en apprentissage, profitant des expériences des autres. Les différences culturelles, les traductions etc. n’ont pas été un réel problème : nous avons pu profiter du groupe en tant que tel, et de l’implication du village entier. Mon sujet, c’est mon peuple et mon pays. Cet atelier me permet d’améliorer la qualité de mon travail, élaborer des idées, développer un langage qui puisse être compris par tous. Ce qui m’intéresse est la photo de documentaire social, mais il est difficile de gagner sa vie ainsi, les magazines payant très mal. Pour vivre, je fais des photos pour les ONG. Au Mozambique, 90 % des gens étaient illettrés : l’image a joué un grand rôle, soutenue par le gouvernement. Des courts métrages ont été montrés dans les villages, pour que les gens sachent ce qui se passait dans tout le pays. L’enjeu maintenant est de raconter des histoires. Ici, l’enjeu était de se détacher de ce qu’on fait d’habitude pour trouver de nouveaux points de vue. Cette liberté nous a fait progresser pour notre travail futur. »
David Brazier (Zimbabwe) : est passé du studio au journalisme puis à la photo d’architecture.
Uchechukwu James-Iroha (Nigeria) : mêle images, textes et graphiques dans ses constructions plastiques.
Mauro Pinto (Mozambique) : appartient à un groupe de photographes qui interroge création visuelle, information et communication.
Oupa Nkosi (Afrique du Sud) : passé du reportage à la photo d’art, il s’intéresse notamment à la vie urbaine.
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