Fasciné par la tragédie de Toussaint-Louverture et la poésie de la pièce d’Édouard Glissant, Greg Germain, également comédien, a mis en scène Monsieur Toussaint au Fort de Joux, dans les murs mêmes où mourut le » premier héros noir à dire non à la puissance occidentale « .
Que représente Toussaint-Louverture aux Antilles ?
Un mythe historique ! Celui du guerrier vaincu certes, mais c’est aussi à travers lui que s’est gagnée la guerre contre Bonaparte. C’est un héros noir qui pour la première fois a décidé de dire non à la puissance occidentale. Il a réussi à lever une armée contre cette puissance occidentale, il l’a battue et a fondé une nation noire. C’est le père fondateur de tous les héros colonisés d’aujourd’hui, que l’on pense à Jean-Marie Tjibaou, à Patrice Lumumba, à Martin Luther King ou à Malcom X
Toutes ces figures historiques se sont réclamées de Toussaint-Louverture.
L’histoire de ce héros a circulé très tôt dans la Caraïbe.
En effet, parce que c’est un héros emblématique qui a servi à la constitution d’une conscience nationale. Pour les Haïtiens, Toussaint-Louverture est un héros dont l’action les a menés à l’Indépendance. Pour nous, Antillais français, anglais ou espagnols qui n’avons pas été tout de suite libérés, il est celui qui a dit non et qui a résisté. Le premier » Nègre Marron » emblématique.
Vous avez monté Monsieur Toussaint au Fort de Joux et rêvez, je crois, de pouvoir reprendre cette aventure. Qu’est-ce que vous admirez dans ce personnage ?
C’est sa tragédie qui me touche, celle du héros. Mais j’admire aussi son intelligence et son pouvoir d’adaptation et d’invention. Il a été un des premiers à rompre avec les habitudes occidentales de la guerre. Toussaint a su très vite qu’il ne pourrait pas mener une guerre de bataille rangée. Il fait enterrer les fusils dans les bois et mène la première guerre de guérilla. Il a été un stratège étonnant, extraordinairement lucide et inventif. J’ai aussi beaucoup d’admiration pour ces hommes qui forcent le destin. Il était esclave, il savait à peine lire et il va tenir tête à de purs produits de la civilisation européenne. Comment a-t-il fait pour comprendre des hommes comme Talleyrand ou Bonaparte ? Il a été esclave jusqu’à 48 ans, et en dépit de ce conditionnement, il a eu le courage et la force de s’émanciper.
Dans ma passion pour Toussaint, il y a aussi le texte de Glissant et sa vision du personnage. Il y a les fulgurances poétiques de ce texte et la langue musicale qui est la sienne où les phrases se compliquent, se condensent pour se briser au rythme de la pensée et épouser les nuances de l’émotion. » Les morts sans répit courtisent les vivants, l’agonie est leur temps de fiançailles. Pour moi c’était la victoire ou la mort ! La victoire est entre les mains de mon peuple ! Voici mes mains, les voici ! » Cette phrase de Toussaint dit pour moi tout le sacrifie de l’homme.
Le surnom de Louverture a-t-il une valeur symbolique pour vous ?
Bien sûr, c’est un surnom de guerre. Mais Toussaint est aussi celui qui a ouvert le chemin de la liberté, celui qui a ouvert une brèche dans la muraille d’incompréhension entre les peuples, qui a aussi ouvert les mains. Ouvrir le chemin comme Louverture, c’est ce dont nous rêvons tous : faire des choses nouvelles qui fassent avancer, qui laissent des traces.
Pourquoi ce héros a-t-il un rayonnement qui dépasse largement la Caraïbe et son histoire ?
Toussaint n’est pas un simple héros de l’histoire d’Haïti, c’est un héros de la Révolution française. Il a été avant tout un homme porté par cette idée de la Révolution que tous les hommes naissent égaux en droits. S’il a combattu aussi violemment et a mené une guerre de dix ans, c’est qu’il avait le rêve de remettre une colonie libre à la nation. On sait qu’il rêvait même de partir libérer ses frères africains. C’est la force du rêve de Toussaint qui a réussi à briser les chaînes plus que ses qualités militaires.
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