La porte de la conscience

Entretien d'Olivier Barlet avec Jacques Eric Victorien Mampouya sur La Femme et le colonel

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Une panne de voiture oblige un colonel à chercher refuge dans une maison isolée. Une femme y habite, dont on apprendra qu’elle s’y est retirée après des horreurs de la guerre où elle a été violée et a vu son enfant brûlé vif devant elle. Le colonel se révèle être son bourreau mais il ne reconnaît pas sa victime. Un dialogue s’instaure. La force de Florisse Adjahonoun est d’arriver à incarner la tension intérieure de cette femme confrontée à l’auteur de ce qu’il appelle des « dommages collatéraux ». L’opposition dualiste entre la sensibilité féminine et le machisme de la grossièreté militaire débouche sur le désarroi de cette femme de voir que les femmes peuvent être aussi cruelles que les hommes : « Je croyais que la femme était synonyme de renouveau, je suis perdue ». La pièce sera ainsi le reflet de son trouble : volontiers didactique sur les rapports hommes-femmes, elle évolue tout en finesse vers une remise en cause de l’humain. Le problème n’est plus dès lors de se venger ou d’humilier son bourreau mais de retrouver la voie de la vie en soi, de pouvoir à nouveau écouter les enfants chanter. Le texte troublant, poignant, d’un Dongala en puissance est servi par une excellente interprétation.
OB

La pièce reprend de façon très poignante le vécu d’un pays à travers la relation du violeur et de la violée. Est-ce la nécessité du dire pour exorciser ?
C’est une douleur qu’il nous faut évacuer pour éviter que les choses ne se répètent. Dongala a écrit ce texte après les événements de 93 et 97 à 99 : sa nécessité réside dans le fait qu’avec la guerre, le mot humain est vidé de son sens. La vie y devient tellement horizontale qu’on n’y recherche plus les valeurs humaines. Le théâtre intervient comme événement civique : il ne changera pas tout mais mieux vaut apporter sa pierre à la construction de la baraque ! Avec la Bosnie, le Rwanda etc. ce n’est plus seulement les deux Congos qui sont sur scène et c’est aussi là que ce travail trouve sa nécessité.
Un travail de deuil justement. Cette femme hésite à tuer son violeur et va développer finalement une stratégie de deuil pour elle-même.
La victime amène son violeur à l’humiliation tout en restant colonel : on est pas fort tout le temps. Comme dit Hugo, ceux qui ne sont pas défendus par l’homme sont défendus par l’ombre. Son deuil n’est pas seulement physique par l’enferment chez elle depuis plusieurs années mais il est aussi mental. Ce colonel n’est pas seulement un militaire mais tout un système, celui qui a bousculé la Bosnie et le Rwanda aussi. L’analyse qu’elle fait de ce qu’elle a vécu permet à cette femme de transcender sa rencontre avec son bourreau et de réécouter les enfants chanter. Elle ne peut se libérer de son traumatisme qu’en exorcisant tout le système, et pas seulement le colonel fautif.
Il est donc bon de ressasser le passé !
Je dis toujours que ce texte de Dongala ne quantifie pas les événements : il n’est pas une chronique historique. Les faits furent bien plus graves encore ! C’est de compréhension qu’il s’agit. Dire ne veut pas dire ressasser : c’est nommer la chose pour qu’elle continue d’exister dans la mémoire, pour que le travail de deuil puisse se faire et que toutes les tentatives négationistes soient déjouées. Ainsi, dire, c’est tenter d’éviter que ça revienne.
Le colonel reste un militaire tel qu’en lui-même et la femme lui laisse remettre son pantalon : il n’y a pas d’espoir ?
Durant la pièce, tout le système a été dévoilé, déshabillé, désacralisé. Le colonel a subi une sorte de purification mais il reste dans son rôle, en ayant gagné quand même un peu d’humanité. C’est au niveau de la conscience que cela se joue, la sienne sans doute mais surtout celle du spectateur.
Ton travail de mise en scène répond sans cesse au texte sur l’approche et la distance. Comment as-tu pensé la relation des deux personnages ?
C’est le jeu du chat et de la souris. Pour maintenir la tension durant 1 h 30, il fallait un rythme, un jeu masqué pour ne pas dévoiler trop tôt. J’ai donc commencé par une mise en place avant la mise en scène. Nous avons travaillé par phases pour permettre à l’acteur de continuer à fouiller son personnage : la femme devait être une controverse permanente ; elle pleure et rit à la fois – c’est cette ambiguïté qui maintient la tension. Il fallait une progression dans le jeu qui empêche tout sentiment de recul. Pour le colonel que j’incarne, toute la difficulté était d’aimer le personnage. C’est une brute qui a gravi les marches à toute vitesse : dès qu’il se met en colère, il retrouve sa brutalité de petit gradé, il régresse.
Tu étais face au danger de le rendre humain et donc sympathique…
Même les rois sont des hommes. On ne peut humilier une personne que si elle continue à vivre. Il fallait lui restaurer un minimum d’humilité pour lui laisser une possibilité d’évolution. La femme ne tue pas le colonel car elle est humaine et c’est un homme qu’elle a en face d’elle. L’intérêt est dans ce que le roi soit nu.
Florisse Adjanohoun développe une grande intériorité du personnage.
Je l’ai découverte à Yaoundé à la 8ème édition des RETIC. Elle a deux grandes qualité : elle est très émotive et tient toujours sa parole. Le texte lui convenait parfaitement. J’ai pu utiliser ses propres émotions pour l’aider à investir le personnage. Bien sûr, elle développait de petites résistances. Une distance était à trouver entre le soi et l’acteur. On a fait des exercices d’école.
Ta mise en scène sert principalement le texte et évite les béquilles.
Les acteurs ont une chaleur physique à gérer : un corps, une relation humaine. Tout exotisme serait superflu. De même, alors que la pièce est située dans un salon, j’ai réduit au maximum le dispositif scénique pour insister sur la porte, la situer dans la maison : elle devient entrée dans la conscience, passage à la compréhension.

///Article N° : 2602

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