« La résistance doit être votre mot d’ordre » : une anthologie de la pensée noire 

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Les très belles éditions Hors d’atteinte publient une anthologie qui marque assurément une étape importante pour la diffusion de la pensée africaine-américaine dans le monde francophone. Dirigée par Marie-Jeanne Rossignol et Michaël Roy avec Marlene L. Daut et Cécile Roudeau, L‘Anthologie de la pensée noire s’attache particulièrement aux dynamiques intellectuelles du XVIIIe et XIXe siècles aux Etats-Unis et en Haïti. 

Cet ouvrage s’inscrit dans le mouvement actuel de résistance face à l’invisibilisation de certains récits minorisés (en termes de genre, de race ou de milieu social). Divisé en cinq parties, l’Anthologie de la pensée noire propose un regard sur l’histoire américaine et sur celle des populations afro-descendantes à partir des combats contre l’esclavage, en faveur de l’émancipation et de l’indépendance, menés aux États-Unis et en Haïti aux xviiie et xixe siècle. La guerre de Sécession (1861-1865) qui a opposé le Sud des États-Unis, esclavagiste, et le Nord, majoritairement favorable à la proclamation d’une nouvelle Constitution garantissant l’égalité de tous les citoyens états-uniens, apparaît alors comme un élément central de l’histoire afro-américaine, bien que ce conflit  soit très peu abordé dans les programmes scolaires. 

Cette anthologie présente tout d’abord un ensemble de textes centrés sur la thématique « Traite, esclavage et colonisation », puis s’intéresse à la condition des femmes noires dans une partie intitulée « Race, genre et préjugés ». Les textes rassemblés dans  « Vie des communautés noires » dressent quant à eux un tableau effrayant de la vie quotidienne des personnes esclavisées mais aussi des affranchis et des fugitifs, qu’une loi de 1850 invite à dénoncer lorsque ceux-ci ont réussi à gagner le Nord. 

Dans « Révoltes, révolutions et indépendances », les textes sont plus politiques et militants. Ils sont issus  d’ouvrages, de journaux ou de discours qui se partagent entre injonction à la prise des armes, et propositions d’une résistance pacifique. Enfin, les archives rassemblées dans « Post-esclavage, histoire et mémoire » évoquent la question des possibilités d’un renouveau social et politique après la période de la traite, en soulignant notamment la nécessité d’un accès égalitaire à l’éducation. 

Lutter contre l’effacement des figures de luttes contre l’esclavage

La lecture de cet ouvrage très pédagogique rend compte de l’effacement plus ou moins marqué d’une grande partie des intellectuels états-uniens et haïtiens. C’est le cas par exemple de Frederick Douglass (1818-1895), cité à plusieurs reprises dans l’anthologie, et qui fut l’intellectuel et militant noir le plus connu de son temps. 

Il apparaît de manière particulièrement limpide à quel point ce que certains penseurs afro-américains appelaient alors le « problème noir » (negro problem), ou encore la « ligne de couleur », pour reprendre l’expression du sociologue W.E.B. Du Bois, sont profondément ancrés dans l’histoire des États-Unis. Le Mouvement des droits civiques, qui s’est développé dans les années 1950 et 1960 ou, plus récemment, le mouvement Black lives matter, apparaissent comme des symptômes d’un problème politique inhérent à la société états-unienne, qui n’a jamais réussi à établir une égalité de fait entre tous les citoyens. 

L’ouvrage a ceci de précieux qu’il visibilise les figures féminines (dont la majorité a été complètement mise de côté d’un point de vue historiographique) dans ce combat pour l’émancipation. Un bon nombre de ces militantes, issues de tous milieux sociaux (comme la prédicatrice Jarena Lee), ont réussi à rassembler hommes et femmes autour d’elles grâce à leurs capacités oratoires lors de discours marquants, parfois avec le soutien des églises évangélistes alors en pleine expansion.  

La mise en regard de la situation aux États-Unis et en Haïti est ici particulièrement éclairante. Ainsi, le processus d’accès à l’indépendance d’Haïti est mis en lumière grâce à des extraits de discours de Jean-Jacques Dessalines, figure emblématique de la Révolution haïtienne. Celui-ci promulgue l’Acte d’indépendance de janvier 1804 : « Il faut enfin vivre indépendants ou mourir ». Une autre figure mentionnée est celle de Toussaint Louverture, qui parvient à abolir définitivement l’esclavage, avant d’être trahi par le Général Leclerc et de mourir incarcéré en France. 

Au-delà de certaines figures intellectuelles dont les écrits circulent encore, comme W.E.B. Du Bois qui, de manière intéressante, n’est cité qu’en toute fin d’ouvrage, cette anthologie met ainsi à l’honneur tout un ensemble d’hommes et de femmes états-uniens et haïtiens qui, par leurs discours, leurs poèmes, leurs articles et leurs romans ont contribué à organiser une résistance puis une rébellion contre l’esclavagisme, et pour l’accès aux droits élémentaires. Des archives précieuses pour penser aussi le présent. 

 

Gabrielle Bonnet



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