Emeka Okereke, photographe nigérian, présent à Paris pour l’Art Paris Art Fair, travaille sur les questions de frontières au sens large depuis des années. Sur le continent africain et aussi en France. Mettre l’Afrique « à l’honneur » nourrit sa réflexion critique car il s’agit pour lui d’un acte profondément hypocrite.
Le regard introspectif encadré par des lunettes noires, Emeka Okereke ne laisse rien échapper et questionne sans cesse ce qui l’entoure. Rencontré en marge de l’Art Paris Art Fair, où l’une de ses oeuvres est mise en vente, il critique le système du business artistique de l’intérieur, en le connaissant, et le rattachant à un contexte plus global. Ce qui lui permet d’affirmer, sans hésitation : « Concrètement les Africains ne sont pas des invités en Europe. Dire invités d’ « honneur » c’est encore pire ». Pour lui, il suffit de regarder le traitement réservé aux immigrés africains au cours de l’histoire, aussi bien que le racisme systémique encore bien présent en France, pour s’en rendre compte. L’art ne saurait être coupé de l’histoire politique et sociale.
L’Afrique n’est pas le futur
Pour Emeka, le rapport entre les deux continents demeure vertical, et cela dans les arts également, car c’est l’Europe qui continue de raconter l’ « Histoire ». L’expression « Africa is the future », maintes fois entendue, en est l’un des exemples suprêmes selon lui : un « afroptimisme » porté par le regard d’un occident justifiant son appétence pour les richesses du continent. et, ajoute Emeka, rejoignant les propos de l’intellectuel Felwine Sarr développés dans Afrotopia ou au cours des ateliers de la pensée de Dakar, « l’Afrique est déjà arrivée. Nous sommes ici. Les africains doivent changer cette mentalité où ils pensent qu’ils n’ont pas encore le pouvoir de négocier, car le fait d’avoir été dévalorisés est le résultat d’une construction. »
La distance n’existe pas
La distance entre les deux continents, pour Emeka, n’est rien d’autre qu’une construction qui tend à gommer les migrations anciennes entre les deux espaces et particulièrement la présence africaine en Europe. Une de ses oeuvres, Le tunnel de l’histoire, parle de la relation entre Paris et Saint-Denis, cette « ville représentant l’effort français d’industrialiser le pays en utilisant la force migrante ». Refusant de la montrer lors de l’Art Paris Art Fair, Emeka justifie ce choix par la volonté de ne pas se placer dans une reproduction du système de domination représenté par cette foire située au Grand Palais, ce « monstrueux bâtiment qui n’aurait pas pu être construit sans l’exploitation coloniale de l’Afrique ». « Si tu veux créer un évènement qui met Afrique et Europe en lien, il faut aussi informer les gens à propos de tout ce qui précède et existe actuellement entre ces deux continents », continue-t-il, reprochant à l’Art Paris Art Fair et de nombreux évènements de ce genre de « gommer » l’Histoire. Nourri par les théories postcoloniales d’Homi Bhabha, Stuart Hall, Edouard Glissant, Aimé Cesaire, Léopold Sédar Senghor et Achille Mbembe, Emeka questionne l’hybridité, l’interstice, l’entredeux culturel, social, politique et identitaire (comme dans sa série Exploring a void ) aussi bien que les bords, les marges, les frontières (par exemple dans The trans-African project). Il travaille actuellement sur A story of distance, un court-métrage dans le sud-est d’Amsterdam, dans le quartier de Bijlmer, où vivent 140 différentes nationalités. Ce qui ne lui empêche pas de poursuivre le Neighbour-Hood au Nigeria et d’avoir d’autres activités qui nourrissent sa création : résidences, lectures, essais pour des magazines, compétitions photo. Emeka ne s’arrête jamais, tel un photographe qui cherche à documenter le mouvement de son époque, à passer les frontières, à déconstruire les murs. Coup de coeur pour son oeuvre Dilemma of a New Age II.
Emeka Okereke en dates
1980 : Naissance à Aba, Nigeria.
2003 : Prix du Meilleur Jeune Photographe, Biennale de Bamako, Mali.
2008 : Gagnant du « Visa pour la Création », Maputo, Mozambique.
2009 : Artiste de l’année, aux « Future Awards Nigeria ».
2016 – 2017 : Curateur de Invisible Borders Show à l’aperture Foundation, new York, usa.