L’aventure de Maroc corps et âme

Entretien d'Olivier Barlet avec Izza Genini

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La sortie des cinq dvd de la série Maroc corps et âme est un événement important non seulement par le nombre de films mais aussi par la qualité du travail documentaire effectué par Izza Genini.

Voilà un travail de fourmi : quelle était la motivation profonde ?
Il arrive que nos motivations profondes soient connues une fois le travail achevé, mais comme je prétends avoir à encore faire dans ce domaine, elles ne m’apparaîtront avec précision que plus tard. Cependant, je peux en cerner les circonstances, autant personnelles que professionnelles.
Un retour au Maroc que j’avais quitté depuis une quinzaine d’années à l’âge de 17 ans, une redécouverte, ou plutôt une découverte – tant il me semblait n’avoir jamais connu auparavant mon pays ni ma culture – associée à la rencontre providentielle avec le cinéma marocain d’alors, (les années 70/80) m’a lancé  » corps et âme  » sur le chemin de la réalisation de tous mes films.
D’autres cinéastes marocains ou autres avaient-ils ouvert la voie de l’exploration de ce patrimoine ?
En réalité je peux définir une de mes motivations profondes : de toutes ces musiques et cette culture que je me réappropriais avec passion, je constatais qu’il n’existait pas ou presque pas de documents audiovisuels. Je travaillais alors dans le long métrage de fiction mais me suis lancée avec la foi du charbonnier dans le documentaire que je ne connaissais pas et que j’apprenais tout en le faisant. Pour le bonheur de partager les émotions que je recevais moi-même.
On sent votre désir de mettre en exergue à quel point la diversité culturelle du pays constitue sa richesse. Cela est-il reconnu dans le Maroc actuel ? Cela peut-il être le ciment de sa société ?
La diversité du Maroc est le reflet de ma propre diversité.
Je porte un prénom berbère Izza, qui est celui de ma grand-mère. L’arabe est ma langue maternelle, le français, ma langue vernaculaire. Quand j’entends les tambourineurs de Marrakech ou les crotales des gnaouas sub-sahariens, je ne peux m’empêcher de danser, quand j’écoute un air arabo-andalou ou un chant sacré en hébreu, je ressens la même émotion. J’ai la chance d’être issue d’un pays, le Maroc, qui justement revendique cette diversité culturelle comme une richesse fondatrice, à la fois comme un héritage et une promesse.
Après le traumatisme de l’exil juif, un retour est-il possible ?
Je crois que tout retour après un exil, ou même après une longue absence motivée par des raisons économiques, est difficile, du moins dans sa forme initiale.
Les Juifs qui ont quitté le Maroc ont fait depuis leur place ailleurs mais ce qui me paraît essentiel c’est que le Maroc ne les a pas quittés. Le lien est viscéral par-delà l’espace géographique ou temporel, la mémoire est libre : le succès des pèlerinages sur les tombes de nos ancêtres en témoigne, l’hospitalité fidèle et généreuse de nos voisins ou amis est une invitation au retour… Evidemment je parle d’une génération qui m’est contemporaine.
Quels ont été les thèmes pour vous les plus marquants ?
Bien que chacun de mes films ait été l’objet d’une inspiration particulière et d’une entreprise à part entière, je peux dire que la musique a occupé d’emblée la première place. D’ailleurs, dès 1980 je me suis lancée tête baissée dans la production du long métrage documentaire Transes de Ahmed El Maanouni simplement parce qu’un soir à Paris je découvrais, médusée, le groupe Nass El ghiwane devant un public galvanisé.
Puis ce fut toute cette diversité musicale et des rencontres personnelles avec les musiciens et les musiciennes qui me donnèrent l’énergie de me lancer dans cette aventure. La famille, les traditions, l’art de vivre marocain, la convivialité entre Juifs et Musulmans furent aussi des sujets très inspirants…
Qu’est-ce qui a permis de financer cette série ?
Sans doute ma foi – ou mon inconscience ?- a convaincu les premiers qui furent acquis au projet de Maroc, corps et âme (Maroc à l’envers…) initié en 1986, quand la musique arabe ou la world music n’envahissait pas encore les ondes et les bars branchés.
Des individus, des institutions, des chaînes de télé, au Maroc et en France, des ministères, des amis, des parents, des associations, et les miens, ….autant de dossiers, autant de personnes hors écran que sur l’écran qui, en me donnant les moyens – pas seulement économiques ! – de faire ces films, ont permis de témoigner de ce patrimoine et de ces artistes marocains aussi talentueux que modestes.
Que l’on me pardonne de ne pouvoir citer ici les uns et les autres mais s’ils se reconnaissent, qu’ils reconnaissent dans ces mots ma très profonde gratitude.
Allez vous continuer dans cette direction ?
Ce fut une expérience si exaltante, si gratifiante qu’il me tarde de retourner tourner au Maroc…de sillonner ce Maroc profond qui a tant à donner mais la réalisatrice que je suis est freinée par les difficultés de la productrice indépendante (que je suis aussi !).

///Article N° : 3595

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