Le bus dans la ville

De Yahia Belaskri

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Court et éblouissant parcours que celui de ce bus brinquebalant transportant un émigré de retour dans sa ville natale qui est le narrateur de ce qui est à la fois une re-découverte des lieux, de soi et d’une société qui a changé. Se succèdent en une nostalgique et rapide farandole et au rythme des changements de rues les portraits des personnages de sa jeunesse. : « le bus s’était remis en branle, secouant toutes mes certitudes et mes souvenirs » (36). L’espace est brouillé par la pluie, la nuit et les cahots du vieux véhicule qualifié de « bus fantôme » (106) qui est la métaphore des personnages et de la société : « foule de déclassés dans cette ville de malheur » (109). Montent et descendent des gens fatigués, misérables et apeurés, surgissent derrière la vitre des pans d’une ville « jadis colorée et enjouée » (101) devenue « laide, endormie » (7), « ville prison où tout est grillage » (101), « maudite » (89) caractérisée par la puanteur et l’abandon.
Ce présent terne et violent renvoie à un passé idéalisé fourmillant de personnages hauts en couleurs mais qui, à la fin de leur évocation (qui a tout du passage sur scène) disparaissent à peu près dans les mêmes termes : « jamais plus je n’avais eu de nouvelles » (110). Comme défilent les quartiers, passent dans la mémoire du narrateur et dans le corps du texte les voisins de la maison familiale, les parents, les filles admirées ou aimées, les compagnons d’utopie ayant partagé le goût du théâtre, de la provocation, des beuveries, de la foi dans la Révolution. Les uns après les autres sont fauchés par la mort, l’exil, chassés par la police, la corruption, brûlés par une société qui ne semble avoir épargné que le narrateur qui scande « car moi je n’étais plus là depuis longtemps » (106). « Le nez collé à la vitre » (7, 87, 123), sans recul sur un passé qui lui revient brutalement au visage en imagination, ayant perdu ses repères spatiaux et temporels, il avoue redécouvrir « la ville et son passé démoli » (106) mais le bus dans lequel il est « piégé » en fait le tour sans la pénétrer (116), tout comme lui ne peut plus appréhender sa jeunesse ni rejoindre ceux qui l’ont peuplée. C’est que la vie, l’action et l’amour sont du côté de ce passé tumultueux jailli en cette ronde triste qui s’accélère pour finir en un hallucinant tourbillon qui mène l’étrange voyageur dans l' »abîme sans fond » (125) où les disparus l’ont précédé.
C’est un enchantement de découvrir les mécanismes parfaits de ce premier roman où la simplicité de la langue et de la syntaxe sert une combinatoire précise qui assure densité et cohérence à une introspection désabusée où la tension dramatique va en crescendo. Il faut se réjouir de l’arrivée de cet Algérien sur la scène francophone et le faire monter dans un bus qui nous emmènera tous loin pour retrouver de près une réalité fantasmée.

Yahia Belaskri, Le bus dans la ville, La Roque d’Anthéron, Ed. Vents d’ailleurs, 2008, 125p.///Article N° : 7665

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