Jaz de Koffi Kwahulé, mis en scène par David Farjon et interprété par Emmanuelle Azeroual, a été présenté, du 13 au 16 mai 2008, au Lavoir Moderne Parisien pour le Festival Anima Kwahulé. Il semble que D. Farjon ait voulu mettre en avant le traumatisme du viol à travers une vision psychanalytique du texte.
Jaz est le monologue introspectif d’une femme abusée sexuellement qui, à la limite de la schizophrénie, tente de retrouver l’équilibre, sa « petite musique intérieure », qui lui permettra de dépasser le sentiment de culpabilité stigmatique des femmes violées. Dans ce texte, K. Kwahulé mêle une rythmique forte, des notes, des sons, des mots qui forment une partition jazz grâce à laquelle l’héroïne s’évade de son histoire et retrouve un nom. Jaz est la note qui, pour elle, fait sens. C’est le nom qui parle de ses blessures, de la mutilation physique aussi et qui, malgré tout, véhicule un profond message d’espoir et de transcendance. Car, si Jaz a retourné la violence contre son agresseur, si elle a « [planté] la balle dans ce regard de Christ (1) », c’est qu’elle n’avait pas d’autre solution, c’était « Une chose à faire voilà tout (2) » pour retrouver la note de la couleur « même de celle qui fut abolie de l’arc-en-ciel (3) » et « arracher le secret du silence (4) ».
Sur scène, pour décor, une simple cuvette de w-c est posée à cour donnant l’impression d’une cellule psychiatrique voire d’une prison. La comédienne, incarne Jaz dans une robe noire à fermeture éclair qu’elle entre-ouvre pour dévoiler l’intimité qu’on lui a arrachée. Un jeu frontal s’élabore avec le public qui est, alternativement, pris à témoin et mis dans la position du voyeur. Jaz évolue sur scène comme prise au piège de son histoire. La comédienne joue le jeu de la schizophrénie et incarne toutes les figures invoquées dans le monologue jusqu’à la caricature de la secrétaire au cheveu sur la langue. Un paysage sonore composé à partir de musiques électroniques suggère une ambiance inquiétante. C’est d’abord l’ouverture d’une grille et les pas d’une femme portant des talons qui ouvrent le spectacle, des bruits de gargouillis et le son d’une goutte d’eau s’écrasant seule dans le silence, des grésillements et autres bruits parasites, puis une musique qui accompagne en rythme la voix de Jaz racontant le viol. Une ambiance « bruitiste » qui suggère l’isolement et la paralysie de Jaz face à son histoire. Un parti pris appuyé par une vidéo projetant à la manière des ombres chinoises la silhouette de Jaz. Une ombre en décalage, parfois démultipliée et accompagnée par une voix off. La vidéo évoque l’état psychologique de Jaz dont l’identité réelle échappe à toute logique psychanalytique et qui se prête finalement à l’envol métaphorique, quasi christique.
C’est le côté obscur de Jaz que David Farjon a choisi de nous faire partager, celui de cette folie froide et troublante que joue Emmanuelle Azéroual avec un jeu vocal presque âpre et délibérément sans musicalité, la folie d’une femme enfermée dans la douleur du viol, dans le souvenir de la sanisette où l’homme l’a agressé, la folie d’une femme qui trouvera pourtant en descendant au plus profond de sa nuit les ressources de se reconstruire :
Jaz n’est peut-être pas elle, ni même Oridé son amie :
« Jaz ce n’est plus moi.
Jaz.
Oui Jaz
On m’a toujours appelée Jaz.
Jaz.
Je ne sais plus.
Simplement Jaz. (5) »
Jaz est un personnage impalpable qui échappe à l’identification.
1. Koffi Kwahulé, Jaz, Théâtrales, Paris, 1998, p.90.
2. Ibid., p.89.
3. Ibid., p.88.
4. Ibid., p.88.
5. Ibid., p.88.///Article N° : 7666