L’odeur du café imprègne les deux récits autobiographiques de Dany Laferrière. Le café de son enfance que préparait avec amour Da, sa grand-mère, tout comme celui que lui sert sa mère quand il revient à Haïti après vingt années passées à Montréal.
Les deux livres se lisent l’un à la suite de l’autre. Le Charme des après-midi sans fin retrace avec tendresse l’enfance à Petit-Goâve : les bagarres, les aventures et les amours de Rico, Frantz et Vieux Os, les petites manies des habitants de la ville, leurs bonheurs et leurs soucis de tous les jours. Mais la crise politique finit par atteindre Petit-Goâve, marquant la fin de l’enfance pour Vieux Os et les adieux à la ville de Da.
Si Le Charme des après-midi sans fin se termine sur des adieux, Le pays sans chapeau débute avec des retrouvailles. De retour à Haïti après de longues années d’absence et plusieurs livres, Vieux Os retrouve cette même odeur du café, mais aussi la puanteur de la pauvreté, des « près de cent mille personnes concentrées dans un espace restreint sans eau courante ». Da n’est plus, sans pour autant être partie. Elle est bien là, dans sa chambre restée inoccupée, dans sa petite robe grise accrochée sur le mur, la tasse de café qu’on lui sert tous les matins. Les morts observent les faits et gestes de l’écrivain.
Car à côté de ce »Pays réel », il existe un »Pays rêvé », le Haïti des zombis et des esprits que Vieux Os redécouvre après toutes ces années »là-bas ». Tout comme ces mots créoles restés en désuétude trop longtemps, qu’il faut de nouveau mastiquer et goûter. Ailleurs, Dany Laferrière dira : »En écrivant en français, je tue ma langue, le créole. Et personne ne m’a jamais dit : Mes condoléances. »
L’auteur peint Haïti et ses couleurs par petits tableaux, instants d’émotion ou de souvenir, entre les odeurs retrouvées et les questions inquiètes de la mère : »Qu’est-ce que tu as mangé pendant ces vingt ans ? » A la joie des retrouvailles se mêle parfois une pointe d’amertume, le pays n’est plus tout à fait le même.
Mais on retiendra surtout la leçon de Da : »Comment peux-tu aller dans la vie sans même prendre une tasse de café ! »
Le Charme des après-midi sans fin et Pays sans chapeau, de Dany Laferrière, Ed. Le Serpent à Plumes, 300 p et 280p., 39 FF.///Article N° : 871