Le cinéma au Burkina Faso (1)

Cinéma "populaire" à bas coûts au Burkina Faso :

Adapter les recettes qui marchent aux goûts du public local
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En s’appropriant les codes des grandes industries cinématographiques et en les adaptant à l’urbanité africaine, des films « populaires » et à faible budget attirent le public dans les dernières salles de Ouagadougou et permettent d’envisager un développement de la production. Nous publions ici cet article et une série d’interviews (rassemblés dans un zoom) qui illustrent ce propos.

Dans les années 1980 et 1990, le Burkina Faso a connu un développement important de sa cinématographie sous l’impulsion d’une politique d’État volontariste mais aussi du fait des nombreuses aides européennes, notamment françaises, qui ont permis la production de chefs-d’œuvres cinématographiques reconnus internationalement. Pourtant, en dehors du Festival Panafricain de Cinéma et de Télévision de Ouagadougou (Fespaco), cette cinématographie de haute qualité a été peu vue sur les écrans burkinabés. Pour plaire aux bailleurs et aux spectateurs européens, ces films ont privilégié des thématiques rurales et des représentations atemporelles de l’Afrique ne suscitant pas un engouement démesuré de la part des spectateurs burkinabés. Pendant longtemps, les salles de cinéma africaines ont essentiellement diffusé des productions hollywodiennes, bollywoodiennes ou des films asiatiques de karaté. Pour Emmanuel Sama, du fait de ce déversement de productions étrangères sur les écrans d’Afrique, « le film africain est étranger sur son propre territoire (1) ».
À partir de 2004, l’apparition de moyens de productions numériques peu coûteux, a permis à de jeunes réalisateurs de se lancer dans la production de films à faibles coûts, produits localement, avec des techniciens locaux et en visant la rentabilisation en salle grâce à l’adhésion des cinéphiles burkinabés (2). Face à la réticence initiale des exploitants et pour pouvoir projeter ses films, Boubakar Diallo a d’abord privilégié la location des salles désaffectées en y apportant son propre matériel de projection. Devant l’engouement des spectateurs, les salles se sont ouvertes à ces productions numériques locales. Pour plaire au public burkinabé, surtout habitué aux films d’action ou aux comédies sentimentales, les producteurs se sont emparés des codes de ces industries culturelles étrangères en les adaptant aux spécificités de la vie urbaine africaine. C’est ce qu’explique Rodrigue Kaboré, exploitant, distributeur et producteur burkinabé : « On peut faire aussi bien que les Américains tout en gardant nos spécificités, nos traditions. On va prendre ce qui est bien chez les Américains et les Français, on va exploiter et on ajoute pour nous. C’est bon ! Ça fait une bonne sauce ! (3) » Les nombreux défauts techniques de ces productions, fabriquées rapidement et avec des techniciens peu formés, semblent compensés par le divertissement qu’offrent ces œuvres et la proximité culturelle avec les spectateurs, leur permettant de s’identifier plus facilement avec les personnages. Ces œuvres répondent justement à un besoin des Africains de se voir représentés sur leurs écrans après plusieurs décennies d’absence. Le critique de cinéma Saïdou Alcény Barry insiste sur cette adaptation culturelle : « Nous, la critique, avons laissé ce cinéma-là de côté, on considère qu’il y a beaucoup d’imperfections, de tâtonnements, de bricolage. Je pense qu’il faut revoir le terme bricolage, il faut l’entendre au sens (…) d’un réarrangement, d’une re-fabrication par rapport à un besoin local ou culturel (4). »
Si la plupart de ces productions sont des comédies sentimentales (Le Royaume des infidèles, Julie et Roméo, Clara, Sofia…) ou des films d’action (Sam-le-Caïd, Code Phénix, Faso Furie…), le prolifique réalisateur Boubakar Diallo s’est essayé à plusieurs genres cinématographiques et a notamment adapté le monde du western à la vie burkinabée contemporaine : dans le film L’Or des Younga, on trouve un saloon-maquis (5) et des chercheurs d’or illégaux (6) sont les bandits de la petite ville. Dans Faso Furie, produit par l’exploitant et distributeur Rodrigue Kaboré, on ressent fortement l’influence des productions étrangères à travers une course-poursuite entre un cavalier et un bus, des scènes de combats rapprochés largement inspirés des films de karaté, ou encore une intrigue principale sur fond de terrorisme. Ces deux films constituent des sommets dans la réappropriation des codes des industries cinématographiques étrangères mais on retrouve dans la plupart des œuvres des traits caractéristiques communs. Parmi ceux-ci, on peut noter la récurrente exposition des signes extérieurs de richesse à travers les villas, les grosses voitures ou les jolies jeunes femmes richement vêtues (7). Le téléphone portable et les petites motos, qui occupent une place primordiale à Ouagadougou, sont très présents à l’écran et ancrent résolument les films dans les problématiques de la jeunesse dorée ouagalaise. Dans les plans de ville, on retrouve une nette prédilection pour les zones les plus développées économiquement (cafés chics ou nœuds routiers) marquant une opposition forte avec le village. Celui-ci est à la fois le lieu de la sagesse ancestrale et des traditions archaïques. C’est au village, loin de la frénésie urbaine, que Julie vient se réfugier après l’échec de son mariage (Julie et Roméo) ; c’est aussi lors d’un séjour au village que l’héroïne d’Un Fantôme dans la ville (Boubakar Zida dit « Sidnaaba », 2008) apprend son mariage avec un homme qu’elle n’a pas choisi. Si ces productions reflètent les problématiques du quotidien des Ouagalais, le modèle économique sur lequel elles s’appuient entraîne un évitement des questions politiques et sociales (8). En effet, la dépendance vis-à-vis des partenaires privés ou publics, qui financent jusqu’à 60 % des budgets des films, oblige à un certain conformisme des œuvres. Pour les producteurs de ce cinéma « populaire », en recherche de rentabilité économique, le succès en salle est indispensable pour permettre la production des œuvres suivantes et la pérennisation de la filière audiovisuelle locale. De fait, ce sont surtout ces productions qui permettent aujourd’hui la survie des salles. Les rares chiffres de fréquentation dans les salles ouagalaises montrent une baisse considérable des entrées sur la période 2004-2010 mais, dans le même temps, la part de marché des productions africaines dans ces salles est passée de 16 % à près de 90 % (9). Les Ouagalais vont donc moins au cinéma mais ils privilégient ces représentations locales qui leur ressemblent. C’est justement pour aider cette cinématographie nouvelle que le fonds de soutien aux producteurs, « Succès Cinéma Burkina Faso », a été mis en place avec l’appui de la coopération suisse et sous l’impulsion du réalisateur Gaston Kaboré. Il s’agit d’une aide automatique destinée aux producteurs des films ayant fait le plus d’entrée en salle sur une période donnée et qui doit être réinvestie dans la production des prochains films. Cette nouvelle manière d’aider la production cinématographique en Afrique, en rupture avec les traditionnelles aides sélectives, entérine une distinction entre « cinéma de festivals » et « cinéma commercial » en ayant pour ambition de permettre à ceux-ci d’alimenter régulièrement les salles. De même, pour compenser la faiblesse du marché national, les producteurs et distributeurs burkinabés tentent de rouvrir des salles de provinces et de développer une diffusion sous-régionale en organisant la sortie des films dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest francophone, profitant ainsi du « fonds culturel commun (10) » entre ces pays.
Après le développement considérable de l’industrie vidéo au Nigeria, et plus récemment en Éthiopie (11), cette émergence audiovisuelle semble être symptomatique de nouvelles manières de se représenter en Afrique subsaharienne, en privilégiant les représentations locales pour le public africain et en s’affranchissant des aides extérieures.

1. SAMA Emmanuel, « Le film africain étranger sur son propre territoire », Écrans d’Afrique n°4, deuxième trimestre 1993.
2. Au Burkina Faso, le terme de « cinéphile » désigne une habitude et un goût pour le cinéma plutôt qu’une pratique spécialisée et élitiste « à la française ».
3. Entretien avec Rodrigue Kaboré mené par Léo Lochmann à Ouagadougou en juin 2012.
4. Entretien avec Barry Saïdou Alceny mené par Léo Lochmann à Ouagadougou en juin 2012.
5. Les maquis sont des bars extérieurs au Burkina Faso. Très populaire dans la capitale, on y consomme surtout des bières et des brochettes.
6. La prospection d’or est importante au Burkina Faso. Les mines illégales sont nombreuses dans les régions aurifères, constituant des mini-sociétés aux seins desquelles on retrouve un certain nombre de trafics illégaux. Voir le film de GOLDBLAT Berni, Ceux de la colline, 2009.
7. Il est intéressant de constater que ces richesses ne s’acquièrent que rarement par le travail mais sont plutôt le fait de la chance (Le Foulard noir) ou de la « magouille » (Sam-le-Caïd, Somzita, Faso Furie), présentant en filigrane l’échec de l’ascenseur social burkinabé. Pour autant, on est loin de la diabolisation de la ville et des richesses, associés aux sacrifices humains, que relève Manthia Diawara dans les productions Nollywood. DIAWARA Manthia, « Le cinéma populaire et le nouvel imaginaire social », L’Homme, 2011/2 n°198-199, pp. 13-32.
8. À l’inverse, les documentaires de l’association Semfilms par exemple se distinguent dans le traitement de problèmes profonds de la société burkinabée : inceste, assassinat de Thomas Sankara ou de Norbert Zongo, conditions de détentions dans les prisons du pays…
9. Selon les chiffres de fréquentation dans la salle de périphérie « Cinéma Émergences » dans le quartier Wemtenga de Ouagadougou. En l’absence d’autres données et alors que la plupart des exploitants tiennent une comptabilité « modulable » en fonction des interlocuteurs, je considère ces chiffres comme représentatifs des évolutions globales de la fréquentation des salles de la capitale.
10. L’idée d’un fonds culturel commun dans la sous-région qui permettrait plus facilement les exportations est développée par Rodrigue Kaboré et Boubakar Diallo.
11. Voir notamment le dossier que le quotidien suisse Le Courrier du 2 juin 2013 a consacré à « L’éveil du cinéma éthiopien ». http://www.lecourrier.ch/109697/l_eveil_du_cinema_ethiopien
Ouagadougou en juin 2012.///Article N° : 11955

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Les images de l'article
Rodrigue Kaboré





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