« Le code noir »

Fenêtre sur l'Amérique 9

Le code de la route à Paris et à Ann Arbor ne se ressemble guère.
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Jamais mon train n’aura ressemblé à celui d’un touriste. Paris…
Chaque bâtisse me paraît étrangère, et pour peu qu’un automobiliste klaxonne devant mon égarement, je retrouve enfin mes marques dans cette ville. Je n’ose faire un rapprochement avec ma cité d’Ann Arbor au Michigan. C’est une question d’espace. Et peut-être de temps aussi.
Si je poussais un peu plus loin la comparaison, Ann Arbor ressemblerait alors à un lieu vaste, un espace à occuper. On peut y vivre sans exécuter le créneau avec sa voiture. Et d’ailleurs le passage de permis n’inclut presque plus cet exercice si cher à certains inspecteurs des auto-écoles prompts à recaler – et surtout à déplumer – le malheureux candidat pour un petit clignotant laissé allumé l’espace de quelques secondes après le virage.
Le conducteur d’Ann Arbor à l’embarras du choix – si ce n’est le choix de l’embarras ! Au sortir d’un restaurant, vers la Main Street, je vis une femme peiner à garer son véhicule entre deux voitures alors que deux limousines pouvaient aisément s’y intercaler.
Loin de moi l’idée d’insinuer que les conducteurs de ma cité américaine ne méritent pas le fauteuil avant du chauffeur. Ils sont plutôt bons conducteurs, et pas seulement sur une avenue droite et vaste comme la piste d’atterrissage d’un aéroport.
La courtoisie du conducteur d’Ann Arbor tranche avec la nervosité de cet agité qui traîne son automobile dans les ruelles étroites de Paris. Le jour où il sera donné au conducteur parisien de tourner à droite malgré le feu rouge (comme dans plusieurs cités américaines, ceci en vue d’éviter les embouteillages), le nombre des accidents dépasserait l’entendement.
Le conducteur parisien à son propre code de la route,  » le code noir « , ce code qui lui octroie le droit de prendre un sens interdit tout en répondant aux appels de son cellulaire ; ce code qui lui permet de rouler sur les zébras sans s’étonner que les autres conducteurs d’à côté soient empêtrés dans un long embouteillage ; ce code qui lui permet de se garer sans raison sur les bandes d’arrêt d’urgence parce qu’il estime que sa vadrouille relève d’un état d’urgence ; ce code qui lui permet de klaxonner devant les hôpitaux et les maisons de retraite puisque, finalement, les malades n’avaient qu’à ne pas être malades ce jour-là, et les retraités qui ont encore leurs facultés auditives complètes devraient prendre les coups de klaxon pour une distraction. Enfin, c’est toujours ce code qui lui permet de brûler feux rouges et stops en poussant la chansonnette…
Le conducteur parisien est à plaindre. Le pauvre ! L’espace lui manque, sa voiture est petite. Il paye les impôts pour brûler impunément les feux.
Sa voiture est petite, disais-je ? Cela l’arrange. Elle lui facilite les choses. Il peut jouer au slalom entre deux camions qui vont livrer du cidre au marché de Rungis.
Le vocabulaire du conducteur parisien est riche, plein de métaphores et de périphrases. Et dire que l’Académie française croit toujours que c’est la langue anglaise qui menace le français ! Réveillons ces vieux de la Coupole !
En gros, l’onomatopée est la denrée la plus consommée par le conducteur parisien. L’insulte va de soi, comme la fois où deux jeunes filles m’avaient longuement traité de tous les noms d’oiseaux migrateurs devant un feu rouge de la porte de Choisy. Simplement parce que j’avais mis une seconde avant de démarrer aussitôt que le feu était passé au vert ! C’était à n’y rien comprendre, moi qui ne parle pas ce langage dont les dictionnaires sont certainement diffusés en catimini. Fallait-il que je fonce droit vers ces autres voitures qui, elles, avaient grillé le rouge en face et se retrouvaient captives au milieu de l’artère ?
En fait, avec le temps, j’ai compris le comportement du conducteur parisien. Tout se passe dans l’anticipation. Non pas une anticipation liée au souci de la sécurité, mais une anticipation à la lisière du suicide qui, à la longue, prend des allures de suicide collectif.
Le feu est rouge ? Il faut anticiper son passage au vert, embrayer le plus vite possible, démarrer en trombe dès le passage à l’orange !
Il y a un stop un peu plus loin ? On s’en fout des stops. On n’est pas à Ann Arbor où les policiers s’ennuient à chaque intersection et vont jusqu’à verbaliser le chien errant qui traverse la rue sans respecter le code de la route…
Pour le reste, il y a toujours le métro qui fonctionne en France. Ne me parlez pas de taxis. Il y a des fous partout…

///Article N° : 3847

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