Le discours inaugural de Barack Hussein Obama à la lumière de L’intraitable beauté du monde d’Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau

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Barack Hussein Obama a prononcé un discours inaugural d’un peu plus de 18 minutes le 20 janvier 2009 sur les marches du Capitole face à quelque deux millions de personnes. Peu auparavant, les écrivains Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau publiaient une « Adresse à Barack Obama – L’intraitable beauté du monde » aux éditions Galaade.

C’est un petit livre, une cinquantaine de pages. C’est un discours court, une dizaine de pages. Ils renferment pourtant une immensité. Par ce qu’ils évoquent, par ce qu’ils affirment, par ce qu’ils révèlent. Barack Obama en appelle aux idéaux américains : « Nous le Peuple, sommes demeurés fidèles aux idéaux de nos ancêtres et à notre constitution ». Comme durant toute sa campagne électorale, c’est de cet héritage qu’il s’est revendiqué, et reprend dans son discours : « Les valeurs dont notre succès dépend, le travail, l’honnêteté, le courage et le respect des règles, la tolérance et la curiosité, la loyauté et le patriotisme, sont anciennes. Elles sont vraies. Elles ont été la force tranquille du progrès qui a sous-tendu notre histoire. Ce qui est requis, c’est un retour à ces vérités. » Il le fait au nom d’une certitude : « Nous savons que notre héritage multiple est une force, pas une faiblesse. » Et arrive à une conclusion : « Pendant que le monde devient plus petit, notre humanité commune doit se révéler ».
Là est la clef de son élection et de sa force de mobilisation : ce qu’Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau appellent « la défense et illustration de la pensée de la diversité, laquelle n’est pas une banale disparité dans le monde, mais la force nouvelle, très précisément, qui fait qu’on ne cesse pas d’être noir pour la seule raison qu’on se soucierait également d’être blanc ou rouge ou jaune ou multicolore, à l’infini. » (p.6). Jamais Obama ne s’est revendiqué du fait d’être Noir comme identité. Si bien qu’au départ, il n’avait derrière lui ni la majorité des Noirs qui le trouvaient un peu trop métis, ni la majorité des Blancs qui voyaient en lui un Noir. Mais il a réussi à faire en sorte qu’ « avec lui, la multiplicité est entrée dans la conscience politique du pays, après en avoir marqué le peuplement, la composition sociale et les convulsions » (p.15)
Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau montrent que « l’étonnement sait déjà » : la conscience de la diversité était là, mais non encore inscrite en politique. Si bien que « quoiqu’il en paraisse, personne n’a été surpris » (p.10). Pourtant, l’opposition était violente, puisant dans la sauvagerie de l’Histoire : le métissage était limité pour les Noirs par le souvenir des cruautés et pour les Blancs par le puritanisme protestant (les wasp : white anglo-saxon protestant¸ si bien représentés dans leur rigidité par Sarah Palin qui croyait pouvoir revendiquer ainsi un « nous » parfaitement illusoire). Cela explique que ce soit un Noir qui soit en mesure de prendre en charge « la rencontre des différents ».
« Nous avons été formés par chaque langue et civilisation, venues de tous les coins de la Terre », rappelle Obama dans son discours inaugural. Il ne fait pas référence au métissage mais à la créolisation, laquelle a précédé aux Etats-Unis le métissage du fait de la haine engendrée et des puritanismes protestants. « M. Barack Obama était imprévisible dans un pays où toute idée de rencontre, de partage, de mélange était violemment repoussée par une grande partie de la population, blanche et noire » (p.8). C’est bien d’un dépassement qu’il s’agit et lorsque dans les reportages télévisés sur l’inauguration, deux femmes noires furent interrogées sur ce qu’elles retenaient de l’événement, l’une répondit avec une magnifique simplicité : « J’ai compris que nous ne faisions qu’un, Noirs et Blancs ». La communauté noire, plutôt abstentionniste en temps normal, s’est mêlée aux Blancs et autres dans les comités de soutien et a savouré son triomphe à Washington ce 20 janvier où l’on estime qu’elle constituait 65 % de l’immense foule rassemblée. Le triomphe d’un Noir, certes, mais aussi et surtout le triomphe de la reconnaissance de la créolisation du pays, c’est-à-dire de la mise en relation des imaginaires.
Voilà la leçon américaine aujourd’hui : « Ce n’est pas seulement pour les Américains du Nord que cet improbable espoir a levé, mais pour les Nègres de la planète, quelle que soit leur race », écrivent Glissant et Chamoiseau (p.8). Il n’y pas là une revanche : « Les revanches ne vont pas loin, elles ne ramènent rien du passé. La seule revanche vivable est celle du dépassement des murs, et de la liberté de l’esprit ». (p.9)
Le dépassement, Obama le voit dans l’esprit de service que « les héros qui reposent à Arlington (au cimetière national) nous murmurent à travers les âges », leur « disponibilité à trouver une signification dans quelque chose qui est plus grand qu’eux. » Sans doute est-ce en appelant à cet esprit de dépassement qu’Obama mobilise ceux qui, « dans ce vertige », « ont maintenant mille chances de transformer leur adhésion en une énergie ouverte » (p.23). Leur mouvement, écrivent Glissant et Chamoiseau, « sera également précieux à toutes les consciences en devenir dans le Tout-monde ». Et c’est bien cet élargissement de la conscience que célébrait le monde entier ce 20 janvier. En faisant entrer les Noirs et les autres minorités dans une unité héritée des pères fondateurs, et cela malgré le fait que Jefferson, pourtant rédacteur de la déclaration d’indépendance qui affirme que tous les hommes sont créés égaux, ait refusé sur son lit de mort d’affranchir ses esclaves, Obama ouvre cette perspective de diversité à tous les peuples du monde. En cela, il fonde « l’espoir de tous dans la part la plus souffrante de la connexion des mondes » (p.24) Là est le grand paradoxe, à rapprocher de son discours sur la race (cf. article n°7463 sur notre site). Il a fallu la lutte de Muhammad Ali et de Malcolm X pour le droit d’exister des Noirs, mais Obama dépasse ce cadre d’opposition : « il n’a plus rien à demander aux Blancs en tant que tels ni à en exiger (…) : il a au contraire beaucoup à leur offrir, en particulier une réelle occasion de participer à l’essor d’un grand pays de mélange et d’égalité » (p.27).
Pas d’illusion : Obama n’est pas un dieu et il ne conjurera pas le racisme d’un coup d’épée. « Tous ceux, Nègres du monde, qui souffrent et qui attendent de vous le distillat d’un baume ultime, s’illusionnent. Cette attente fait partie de leur faiblesse même. » (p.12) L’audience de Mandela n’a rien changé aux racismes des racistes du monde, précisent Glissant et Chamoiseau. Mais dans le cas de Mandela comme dans celui d’Obama, « le symbole s’élève pourtant, capital, non pas pour la raison qu’il peut changer les choses, mais parce qu’il permet de désigner à haute intensité tout ce qu’il y a eu et qu’il pourrait y avoir encore de maladif et d’insupportable dans les rapports entre humanités, chaque fois qu’elles s’agrègent en corps collectifs ». (p.14)
Le patriotisme d’Obama n’est pas nationaliste. Il déclare : « Nous réaffirmons la grandeur de notre nation en sachant que la grandeur n’est jamais donnée mais se mérite », mais donne pour définition de cette grandeur : « Ceux qui ont pris des risques (…) voyaient en l’Amérique quelque chose de plus grand que la somme de leurs ambitions personnelles, que toutes les différences dues à la naissance, la richesse ou l’appartenance à une faction. » Il y a bien sûr « le bien commun » mais il y a aussi le rapport au monde, et là, Obama est très net : « Nous rejetons l’idée qu’il faille faire un choix entre notre sécurité et nos idéaux ». Il réaffirme, se situant là encore dans un héritage, « la prééminence de la loi et les droits de l’Homme, une charte prolongée par le sang de générations ».
Il s’oppose ainsi au gouvernement précédent : « Notre puissance ne suffit pas à elle seule à nous protéger et ne nous permet pas d’agir à notre guise ». Et de préciser face à ceux qui croyaient pouvoir diriger le monde : « Notre sécurité découle de la justesse de notre cause, la force de notre exemple et des qualités modératrices de l’humilité et de la retenue ». Du baume au cœur ! Enfin un discours de paix, contre le discours guerrier des huit dernières années, qui ne trompait plus personne : « Les peuples ont aujourd’hui, écrivent Glissant et Chamoiseau, le pressentiment que la force des nations ne fait plus leur grandeur ». Ils paraphrasent presque Obama : « La grandeur d’une nation naît de la justice de ses intuitions quand il s’agit des rapports entre toutes les nations et toutes les communautés ». (p.45)
Obama clôt son discours en affirmant sa foi : « Dieu nous appelle pour forger un destin incertain », mais c’est ce dernier mot qui compte : « Vous êtes un éclair tranquille d’imprévisibilité, votre marge de manœuvre est dans l’imprévisible », concluent Glissant et Chamoiseau (p.57). L’important pour Obama est la confiance et l’ancrage dans les valeurs qui fondent l’unité de la nation. « Il n’importe en rien que ces propositions soient persiflées comme utopiques, précisent Glissant et Chamoiseau, elles n’en font pas moins leur chemin dans les imaginaires des humanités ».
Et de rappeler ce qu’ils écrivaient dans Les Murs (article n°6880 sur ce site, à relire absolument !) : « Les murs ne se dressent pas entre des cultures, des civilisations, ou des identités mais entre des pauvretés et de vraies surabondances (…). C’est-à-dire : entre des réalités adverses qu’une politique mondiale, dotée des institutions nécessaires, saurait aménager ».
Plutôt qu’un choc des civilisations, c’est à un dialogue qu’appelle Obama dans son discours-programme : outre le fait de « laisser l’Irak à son peuple », il propose au monde musulman de « trouver une nouvelle approche, fondée sur l’intérêt et le respect mutuels ». « C’est cela qui s’est joué dans cette élection d’Obama, écrivent nos deux compères : pour tout ce pays, par exemple, de savoir qu’un Irakien n’est pas un sauvage ». (p.35)
L’Afrique n’est pas oubliée : « Aux habitants des pays pauvres, nous promettons de travailler à vos côtés pour faire en sorte que vos fermes prospèrent et que l’eau potable coule, de nourrir les corps affamés et les esprits voraces », déclare Obama, comme s’il avait entendu le cri de Glissant et Chamoiseau : « Ne perdez rien du chant profond du gouffre » (p.33) Ils ajoutent : « Les pays occidentaux ont une dette vis-à-vis de l’Afrique. (…) Ce n’est pas là faire une aumône ni acte de réparation. » Il s’agit de « nommer les Afriques noires au cœur de toutes les urgences du Tout-monde » (p.31). A quoi répond Obama : « A ces pays qui comme le nôtre bénéficient d’une relative abondance, nous disons que nous ne pouvons plus nous permettre d’être indifférents aux souffrances à l’extérieur de nos frontières, ni consommer les ressources planétaires sans nous soucier des conséquences. »
Voilà qui est net. Aux actes ! C’est par une telle politique que le monde pourra « préférer l’espoir à la peur, la volonté d’agir en commun au conflit et à la discorde » (début du discours inaugural). C’est alors que pourra se concrétiser le mot d’Aimé Césaire : « La justice écoute aux portes de la beauté ! » Car c’est bien cette beauté que perçoivent Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau dans les promesses du candidat Obama, au point d’appeler leur Adresse à Barack Obama : L’intraitable beauté du monde, à lire absolument.

///Article N° : 8321

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Les images de l'article
Ndary Lo, en résidence à la Fondation Blachère avant son exposition "Hommage à Rosa Parks", en train de peaufiner le portrait de Barack Obama au moment du discours d'intronisation © Claude Agnel





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