Le lyrisme des bas-fonds

Entretien de Sylvie Chalaye avec Florent Couao-Zotti

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Auteur remarqué de la nouvelle génération, Florent Couao-Zotti a déjà publié plusieurs romans et nouvelles dont notamment Notre pain de chaque nuit (éd. Le Serpent à plumes, 1998) qui révèle son écriture en 1998 et Charly en guerre (éd. Dapper, 2001). Il est aussi dramaturge et son théâtre est régulièrement joué au Bénin où il a longtemps été enseignant, journaliste et scénariste de BD. Aujourd’hui, l’écrivain béninois a le vent en poupe. L’année de ses quarante ans aura été des plus fastes avec la création d’un de ses textes à la Comédie de Reims et une tournée internationale sur le continent, la publication d’un roman au Serpent à plumes : Le Cantique des cannibales, et la sortie de deux pièces de théâtre : Certifié sincère (éd. Ruisseaux d’Afrique) et Le collectionneur de vierges qui vient de paraître aux éditions Ndzé. Florent Couao-Zotti a une écriture dense dans laquelle fleurissent les images et les métaphores souvent incongrues. Cette inventivité dans les associations syntaxiques décalées et l’usage d’épithètes inattendues gonfle sa langue d’un souffle inouï qui n’est pas sans désarçonner le lecteur. La richesse toute baroque du tourbillon stylistique qu’il parvient à soulever est étourdissante. Ses livres ne se lisent pas avec désinvolture, il faut les enfourcher avec détermination, emporté dans un lyrisme des bas-fonds insoupçonné. Car ceux qui intéressent sa plume, ce sont les  » gueux « , la cour des miracles de Notre-Dame de Paris qui resurgit dans La Diseuse de mal-espérance (Ndzé, 2001) hante son théâtre. Ce sont les marginaux, les  » sans voix  » dont l’auteur a choisi de faire entendre le cri, un cri qui demande une écoute particulière tant il peut être assourdissant si on n’en capte pas l’originalité lyrique. Et ce cri, Couao-Zotti nous en fait partager toute l’épaisseur humaine.

Que ce soit dans La Diseuse de mal-espérance qui met en scène une Esméralda ou aujourd’hui avec Le Collectionneur de vierges, votre théâtre présente des personnages très forts. Comment est-ce que ces personnages s’imposent à vous ?
Je pose d’abord un caractère. Ensuite, lorsque l’histoire se précise, je mets en face de lui un autre personnage qui puisse lui donner la réplique ; progressivement, au fur et à mesure que se noue l’intrigue ou que le sujet se développe, les contours de ces personnages se fixent.
On rencontre très souvent dans vos pièces des héroïnes, des femmes très sensuelles, et même associées à l’idée de femme-objet.
C’est une remarque à laquelle je n’avais pas pensé ; je crois que c’est très inconscient, mais je peux tenter de l’expliquer. En général je travaille sur les marginaux ; en convoquant sur scène des femmes mises au ban de la société, et en en faisant des héroïnes, j’attire l’attention sur une catégorie sociale marginalisée. Il s’agit de tordre le cou aux idées que l’on se fait communément sur les femmes.
Et pourquoi ce choix des marginaux ?
Je me suis aperçu que pendant toute la première partie de mon enfance, je n’avais jamais vraiment rencontré de marginaux. Et puis, du jour au lendemain, j’ai vu se multiplier autour de moi les mendiants, les prostituées, les enfants de la rue… J’essaie de m’interroger sur le processus qui nous a conduits à ces marginalités-là. C’est pourquoi j’entreprends de donner la parole aux exclus et d’attirer l’attention sur cette violence du désespoir qui est la leur, cette violence qui peut emporter avec elle toute la société.
Dans votre travail il y a aussi une réelle recherche du côté de la langue. Est-ce pour vous plus important que la création de personnages ?
Je crois que la création de personnages va de pair avec une certaine utilisation de la langue, avec une écriture qui puisse se moduler, épouser justement les contours des personnages que je crée. Au théâtre, il est important d’insister sur la matière textuelle à donner à écouter, car c’est en partie cela qui marque la frontière avec le cinéma ou la télévision. Et puis il y a probablement l’influence de ma langue maternelle, le minan qui se parle entre le Bénin et le Togo et aussi celle du fon (la langue la plus parlée du Bénin) ou du yoruba, du côté de la frontière avec le Nigeria.
Ce travail sur les métaphores, sur ces figures de circonlocution que l’on trouve chez vous appartient-il à ces langues ?
Oui et non, car il s’agit avant tout d’un travail de création. Un autre auteur parlant les mêmes langues que moi, n’écrirait pas de la même manière, n’utiliserait peut-être pas les mêmes images. J’essaie, de par mes lectures et selon ce que j’attends de l’écriture, de faire en sorte que cette langue soit colorée et donne du plaisir aux personnes qui l’écoutent.
Vous parlez beaucoup de l’écoute. Est-ce à dire que vous envisagez un travail musical dans votre écriture ?
Pendant longtemps je l’ai envisagé, mais je me suis senti à chaque fois bloqué car je ne trouvais pas le ton juste. Autant je me sens porté par la poésie, autant la musicalité, dans ce que j’écris, m’apparaît très vite artificielle, surtout si je la recherche trop. Aussi, désormais, je me laisse tout simplement aller.
Vous parliez tout à l’heure de lectures. Quelles sont vos références théâtrales ?
Elles sont très africaines. Certes, j’ai lu un peu comme tout le monde Shakespeare et Molière à l’école, mais ce sont les écrivains africains qui m’ont nourri, notamment Tchicaya U Tamsi avec Le Bal de Ndinga…
Pourtant ce n’est pas une pièce, mais une nouvelle adaptée au théâtre ?
Tout à fait, mais j’ai vu le spectacle avant de découvrir la nouvelle. Il s’agissait d’une mise en scène de Gabriel Garran. Après Le Bal de Ndinga, il y a eu aussi toutes les pièces de Sony Labou Tansi, notamment lors de leur diffusion radiophonique sur RFI. D’une manière générale, le théâtre congolais m’a beaucoup marqué. La découverte d’autres auteurs, comme Koffi Kwahulé, Kossi Efoui, Kagni Alem et un compatriote, Camille Amouro, est venue par la suite, des auteurs que j’ai en plus l’avantage de fréquenter.
Êtes-vous préoccupé par le travail sur la forme ? Car les auteurs auxquels vous vous référez, Tchicaya et Sony, même s’ils travaillent admirablement la langue restent plutôt classiques.
En effet, ils restent très classiques. Mais du côté de la composition dramaturgique, je reconnais que je ne suis moi-même pas un champion de l’innovation. Je me rends compte que c’est très difficile de le faire au théâtre ; on peut le faire dans la narration romanesque, mais ce serait prendre des risques que de le faire dans la narration théâtrale, parce que le souci du spectateur n’est pas forcément celui de l’auteur, et on le déroute sans nécessairement lui apporter du bonheur.
Pour vous, comment se manifeste l’engagement d’un dramaturge ?
Dès l’instant où un écrivain se rend compte qu’il n’écrit plus seulement pour lui, il devient un écrivain engagé. J’ai commencé à écrire dans un contexte de contestation politique très forte dans mon pays, à la fin des années 80. Et la seule tribune qui pouvait permettre aux étudiants d’articuler cette protestation était le théâtre ; c’était le temps des créations collectives. Peu à peu le reste de la population qui cherchait justement un prolongement à ses revendications a trouvé que le théâtre était la manière la plus appropriée de le faire. Du coup tout le monde créait du théâtre dans le but de secouer le gouvernement de l’époque. Moi j’appartenais à un groupe d’étudiants qui tournait le dos aux improvisations collectives et écrivait ses propres textes. C’est dans ce contexte que j’ai commencé à écrire du théâtre. Peut-être est-ce la raison pour laquelle mon théâtre interroge souvent la marginalité ?
Le thème de la manipulation, de la machination même, travaille aussi votre théâtre, notamment dans Certifié sincère. Pouvez-vous nous en parler ?
Je pars du principe qu’il y a des personnes condamnées d’avance par la société, et mon théâtre rappelle que les vraies personnes condamnables sont ailleurs. Souvent ceux qui se croient propres et au-dessus de tout soupçon sont les vrais responsables du mal. Ils jouent les bien pensants et sont finalement les défenseurs d’une fausse morale, autrement dit les vrais manipulateurs. Aussi, mes pièces s’articulent-elles autour de ces retournements.
Quel est le sujet du Collectionneur de vierges ?
C’est une histoire qui m’a été racontée et que j’ai évidemment transformée. La pièce se passe dans une banlieue de Cotonou et offre la traditionnelle opposition entre ville et campagne d’une part, et de l’autre, celle entre la tradition et la modernité. Mais ici la jeune fille refuse de se plier aux normes de la tradition, et surtout épouse le vieil homme au lieu du jeune homme comme on aurait dû s’y attendre. C’est elle qui choisit contre la famille et contre la loi, un choix d’autant plus tranchant qu’il est paradoxal. Mais c’est son choix.
De plus en plus dans les dramaturgies contemporaines africaines, cette rencontre entre la tradition et la modernité se traduit par une sorte de vide, de précipice ou d’impasse comme chez Koulsy Lamko ou Caya Makhélé…
Oui, parce qu’on a souvent cru que dans les traditions africaines il y avait des valeurs qu’on devait intégrer à la vie moderne, mais lorsqu’on en fait le tour on se rend vite compte que ce n’est pas possible, qu’elles sont devenues tellement obsolètes qu’on ne peut pas les intégrer. Par conséquent il n’y a pas de perspectives pour ces présupposées valeurs. C’est ce qu’essaie de montrer la jeune fille dans Le Collectionneur de vierges.
Bien que vous soyez un romancier, vous continuez à beaucoup écrire pour le théâtre…
Parce que c’est le théâtre qui m’a permis de me faire connaître. Et puis, quand une pièce est montée, il y a un grand plaisir à voir ses personnages comme  » habillés  » par un metteur en scène et qui soudain prennent vie sur scène. On peut quasiment toucher du doigt le monde que l’on a créé. Par ailleurs, le théâtre, indépendamment du fait qu’on voit les personnages  » vivre « , me permet également d’avoir un dialogue direct avec le public. Avec un roman, il faut d’abord que le livre paraisse pour espérer un public.

///Article N° : 3746

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