Le Fils de l’arbre, de Libar A. Fofana

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Bakari retourne en Guinée après 40 ans d’absence : à 17 ans à peine, il fuit les anciens de son village qui l’avaient marié de force à une jeune fille-mère, Bintou, et part pour Marseille, après avoir traversé son pays à pied.
Ce voyage lui permet de dévider les fils de sa mémoire : son enfance au village, ses frictions avec les adultes, la mort de son père avec qui il ne parlait presque plus, sa rencontre avec Bintou et son fils Youssoufou… Si les aphorismes – derniers vestiges de la parole des anciens – sont parfois moralisateurs ou simplistes (1), ils n’altèrent en rien le rythme de la narration qui bascule régulièrement, avec beaucoup d’habileté, du passé au présent :  » Les yeux de Bakari ne reconnaissaient pas le village de son enfance. Seul son nez se souvenait (…). À certaines odeurs des images depuis longtemps évanouies refluaient, nombreuses et floues.  » (46)
La mémoire structure et déploie certains souvenirs d’enfance qui deviennent un espace privilégié pour dire la distance qui sépare le narrateur d’un présent devenu chaotique : son champ naguère cultivé  » est couvert d’herbes sèches et parallèles qui s’inclinaient au vent, et pourrissant en travers, l’ukuwé géant  » (41) ; le village est en ruine. L’exil fait resurgir un monde disparu que l’écrivain recompose de façon plus ou moins subjective au fil de la narration. Si le passé est souvent lié au monde intemporel de l’enfance, Libar A. Fofana évoque aussi l’époque historique de la Révolution et des  » purges  » de Sékou Touré (160) auquel il a échappé en s’exilant.  » On peut soutenir que le passé est un pays d’où nous avons tous émigré, (…) disait Salman Rushdie ; mais je pense que l’écrivain qui est hors de son pays et même hors de sa langue peut vivre cette perte sous une forme encore plus forte. La discontinuité physique, le fait (…) d’être  » ailleurs « , lui rend cette perte plus sensible. Cela lui permet de parler de façon plus juste et plus concrète d’un sujet qui possède une signification et un attrait universels.  » (2) Plonger dans le temps du souvenir, c’est donc l’occasion pour Bakari d’entamer une quête identitaire : voyage au cœur d’un individu, voyage au cœur d’un pays !  » Il revit son père, couché et agonisant, il revit ses lèvres d’où s’échappaient les mots avant qu’elles ne se referment définitivement sur eux. Il comprenait mieux à présent ce que le mourant avait voulu lui dire : un arbre qui perd ses racines finit par tomber. Et l’arbre qui pourrissait devant ses yeux ne semblait être tombé que pour confirmer ses paroles. (…) Il devait donc retrouver ses racines, ce cordon ombilical qui relie chaque homme à sa terre.  » (202) Ce passé lui permet de retrouver les traces d’une histoire toujours menacée d’effacement, seul antidote contre l’oubli :  » On n’oublie jamais complètement, de même qu’on ne guérit jamais tout à fait, dira Youssoufou à Bakari. L’oubli est un remède qui soulage mais ne guérit pas. Seule l’habitude guérit.  » (193) Cette sentence qui renvoie à l’histoire personnelle de Bakari qui a abandonné les siens et à l’histoire de tout un pays qui se reconstruit sur les bribes d’un passé meurtrier n’est pas sans faire écho à Tierno Monénembo, autre écrivain guinéen qui ravive la mémoire par une parole salvatrice, ancrée dans la culture africaine :  » Oublier est une manière d’extase. La damnation en vérité, c’est cette insupportable mémoire.  » (3) Entre l’oubli et le souvenir, il faut savoir trouver l’équilibre pour reconstruire une identité spoliée par des années de dictature, de colonisation et d’exil. Mais si T. Monénembo restait très négatif sur cette tentative de reconstruction dans l’exil, L. A. Fofana nous ouvre de nouvelles perspectives : pour lui, une union reste possible entre la France et l’Afrique. Il n’est qu’à voir le lien indestructible qui unit Bakari à Anna, après ce voyage au cœur de la mémoire. L. A. Fofana signe ici un premier roman très émouvant sur la quête/conquête des origines.

1. Voir, par exemple, l’échange entre Bakari et Youssoufou sur la froideur des hommes (p. 108-109) :  » Pourquoi n’y a-t-il pas d’amour entre les hommes ? repris le pêcheur.
– Parce qu’il ne voient pas le lien qui les unit. Un lien miraculeux. Imagine qu’un homme trempe la main dans une huile magique et qu’ensuite il serre la main à toutes les personnes qu’il connaît. Imagine qu’à son tour chacune de ses personnes serre la main à toutes ses connaissances et ainsi de suite. (…)
– Vous voulez dire que si son huile était de l’amour, un peu de cet amour arriverait à chaque homme sur terre ?
– Djaati. (…) Cela veut que l’humanité est une grande famille de relations communes (…). Alors ne peut-on offrir directement notre main à ceux qui nous sont étrangers ?  »
2. RUSHDIE, Salman. Patries imaginaires. Paris, Christian Bourgois Éditeur, 1993. Collection 10/18, p. 22.
3. MONÉNEMBO, Tierno. Un Rêve utile. Paris, éditions du Seuil, 1991, p. 217.
Le Fils de l’arbre, Libar A. Fofana (Paris, Gallimard, 2004, Collection Continents noirs) ///Article N° : 3769

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