Trois films maghrébins en sortie rapprochée sur les écrans français : une bonne occasion de comprendre ce qui se joue dans ces pays aujourd’hui.
En novembre dernier, la soirée inaugurale des Journées cinématographiques de Carthage présentait un film de Mohamed Zran : Dégage ! Le festival proposait une avalanche de films sur la révolution tunisienne : documents pris sur le vif, vibrants d’énergie et du plaisir d’une parole retrouvée. Les fictions ont davantage de recul : elles sont plus longues à réaliser, et visent une réflexion de fond. C’est d’abord le brillant retour de l’Algérien Nadir Moknèche (Le Harem de Mme Osmane, Viva Laldgérie, Délice Paloma) qui cette fois tourne au Maroc Good Bye Morocoo (sorti le 13 février). Lubna Azabal porte le film en interprétant une femme de tête qui cherche à forcer son destin. Chez Moknèche, les femmes dérangent, refusent d’obéir aux hommes, tentent l’impossible ! Elles sont à l’image d’un monde arabe engoncé dans son passé qui prend des risques fous pour s’en détacher. Empreint d’une sensualité latente et construit comme un film noir, le film passionne de bout en bout.
Interroger l’islam
Le Marocain Nabil Ayouch retrouve la veine de son film à succès Ali Zaoua sur les enfants des rues dans Les Chevaux de Dieu (sorti le 20 février) : des frères et amis d’enfance d’un quartier déshérité se retrouveront dix ans plus tard en islamistes poseurs de bombes. Il sort la grande armada efficace pour décrire les causes sociologiques de la plongée dans le terrorisme (enfance meurtrie dans le bidonville, familles déstructurées, absence de devenir social, etc.) et cela donne un pesant thriller issu d’un fait réel (les attentats terroristes du 16 mai 2003 à Casablanca). Ce choix de cinéma et cette distance des personnages débouchent sur une ambiguïté qui transparaît dans la scène finale : une certaine fascination pour cette funèbre logique dans laquelle ceux qui ne condamnent pas forcément la déviation de l’islam intégriste risquent de tomber. Le film pourrait alors avoir l’effet inverse que le cri d’alarme qu’il essaye de lancer….
Le Repenti
C’est un autre style de distance que choisit l’Algérien Merzak Allouache dans Le Repenti (sortie le 10 avril), un film très épuré et d’autant plus saisissant. Ici aussi, le terrorisme, mais celui des années 1990, les années terribles. Aujourd’hui, un décret de réconciliation nationale impose d’accueillir les repentis sans procès et de les réintégrer dans la société. Le repenti du film n’a pas le moindre repentir ! Il vend cher sa connaissance des crimes perpétrés à un homme et une femme qui ont perdu leur petite fille. Derrière lui, c’est un pays entier qui s’enfonce dans ce non-dit qui accompagne la politique de « concorde nationale » visant à tirer un trait sur le passé. Tourné au scalpel, son film est à cet égard sans appel pour condamner ce déficit de mémoire et de deuil. Révolution, blocages, terrorisme, mémoire : les cinémas prennent le réel à bras-lecorps pour reposer les questions qui fâchent et rendre compte des enjeux et des espoirs. Plus que jamais, il est pour nous l’occasion de mieux comprendre l’autre côté de la Méditerranée.
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