Le Nassara Festival Burkina Guiligri, un festival de théâtre de rue au Burkina Faso

Entretien de Sophie Perrin avec Jean-Luc Prévost, directeur artistique de la compagnie Les Goulus.

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Durant trois semaines, du 23 décembre 2002 au 13 janvier 2003, huit compagnies françaises de théâtre de rue ont sillonné, à mobylette, les pistes du Burkina Faso, dans le cadre d’un festival itinérant : le Nassara Festival Burkina Guiligri. A l’origine du festival, est née l’envie de rencontrer un nouveau public sur un continent où seuls quelques-uns des artistes participants avait eu l’occasion de jouer.
De Bobo Dioulasso à Ouagadougou, lors de leurs huit étapes dans des villages, le groupe de compagnies françaises a offert des instants de théâtre étonnants à un public qui découvrait des interventions artistiques nouvelles. En effet, l’investissement de l’espace urbain par les marionnettes géantes de la Compagnie Albédo, par un trio de Cupidons dévêtus (Compagnie Les Goulus) ou encore par les trois  » grosses femmes  » de la compagnie Colbok a pu surprendre une foule conséquente de spectateurs. Ces déambulations à la fois intimistes et spectaculaires dans les cours des maisons ou dans les rues ont permis aux artistes de rejoindre leur public dans son quotidien.
Après ce premier échange, un spectacle fixe était prévu chaque soir afin de monter une création éphémère avec les artistes burkinabé de la région. Mais pris par le temps, cette formule d’échange culturel n’a véritablement fonctionné qu’au Centre Culturel Français de Ouagadougou où les musiciens du groupe Nayak ont donné le ton aux comédiens qui ont investi le décor de la ville (cabine téléphonique, toits des voitures et des maisons…).  » En trois semaines, il est impossible de lâcher ses références européennes pour s’ouvrir à celles de la culture locale, seule la curiosité fait ouvrir les yeux et c’est déjà pas mal « , nous confie Michel Rousseau, l’un des comédiens. Finalement, le Nassara aura été un premier pas vers de prochaines rencontres entre des musiciens burkinabé et des comédiens français.

A chaque étape, vous avez rencontré des artistes burkinabé. Quelles ont été leurs réactions face aux déambulations et à vos créations d’une façon générale ?
Difficile de répondre à cette question, concernant les artistes rencontrés. En fait, les réactions des artistes sont les mêmes que celles du public, lequel comprenant des personnes de 3 à 60 ans. Les réactions sont très pures, très innocentes dans son sens noble. Etonnement généralisé et ravissement des yeux seraient peut-être les mots les plus indiqués. Je pense également qu’ils n’avaient même pas envisagé que nous n’avions besoin de rien pour jouer.
Donc, tout était prévu comme si nous apportions beaucoup de matériel son et lumière… Sinon, le côté plus pervers, c’est forcément le côté profit qui a pointé souvent son nez dans les relations préparatoires au spectacle fixe. Pour le déambulatoire, ça a été grand, magique et vraiment la surprise pour le public et les artistes burkinabé.
Avez-vous pensé à adapter vos spectacles en fonction du public, en considérant que vous jouiez dans un pays où le poids des religions est plus fort qu’en France ? Je pense par exemple au déambulatoire des Cupidons et au rapport à la nudité ; et aux « interventions en slip » de la compagnie Cacahuète.
Ça a été assez personnel comme position de s’adapter ou pas à ce public nouveau et vierge de théâtre de rue. La compagnie Cacahuète n’avait rien réellement de montrable en déambulatoire au public, excepté deux spectacles en fixe, mais les gens se marraient vraiment de voir leur cul nu.
Pour ce qui est des Cupidons, nous avons joué la douceur et l’approche presque timide. Il faut savoir que principalement des mecs suivaient les spectacles fixes, alors que le déambulatoire allait chercher les gens où ils étaient. Il y a un moment par exemple, où dans un village nous avons aperçu de très loin une femme qui pilait le mil. Tout doucement, par slalom, nous nous en sommes approchés… On tendait la main, presqu’à genoux pour tenter de lui toucher le bout des doigts. Une fois passée ce fait, nous avons tenté de l’aider à piler son mil de manière de plus en plus drôle, et l’instant assez long a été magique et photographié. Nous étions extrêmement doux par rapport à ce que nous pouvons faire en France. Ces Cupidons étaient tout de classe et d’attention, ce qu’ils sont d’ailleurs – ils ne rentrent pas dans leur principe de jeu d’être hard, seules les circonstances ou l’autorisation tacite de la victime rend la chose possible.
Au Burkina, on avait beaucoup de respect et de déférence, particulièrement parce que les femmes sont craintives et ont un rôle (si j’ose dire) d’inférieur hiérarchiquement. Sauf si elles ont du pognon et dans les villes.
Le fait que nous soyons et restions comédiens dans les Cupidons a toujours eu un effet respectueux de la part du public. Jamais ils ne nous ont soulevé la jupe ou tenté de nous toucher. Mais j’avais aussi conscience que plus nous montions dans le nord, plus la population était musulmane, le tout était d’assumer cette nudité sans en rajouter, pour qu’elle soit admirée et non pas choquante.
L’un de vos objectifs était de jouer « devant des publics vierges de toutes références ». Dans quelles mesures cela a-t-il pu influencer le déroulement des spectacles ? Et quel était le rapport à ce nouveau public ? Rien qu’en France, d’un festival à l’autre le public est très différent.
Je dirai qu’on a eu du mal à trouver l’exigence de ce que nous présentions (je ne parle que du spectacle fixe). Nous étions tous différents, avec un passé différent, une pratique, une approche et une expérience différentes. Du coup, essayer de faire tenir tous ces numéros dans un global cohérent n’était pas si facile que ça. Par exemple deux numéros : les Flambards qui doit dater des années 70 et Max (année 80, personnage qui fait jouer un conte au public) sont très anciens, voire même un peu désuet pour l’Europe, et ont été reçus avec beaucoup de rires et de plaisir par le public. Du coup, on s’est aperçu avec Max que l’interactivité est ce qui déclenchait le plus l’enthousiasme du public. Nous avons souvent remis en question nos interventions pour aller dans ce sens.
Pour répondre à ce rapport avec le public, je répondrai à la question que j’ai posée à mes camarades : Quelle est l’image qui vous reste ou qui s’impose à vous pendant ce périple ? C’est l’image des ces visages qui nous voient en personnages. Des visages comme jamais je n’avais vu, toute pleine de transparence que ce soit dans la crainte ou le plaisir. Pas de regards lourds, juste des visages magnifiquement humains. Ça m’a bouleversé chaque jour de ces trois semaines.
Existe-t-il au Burkina des formes d’expression théâtrale similaires au théâtre de rue comme nous l’entendons en France (investissement de l’espace urbain et jeu avec le public) ? Plus précisément, peut-on comparer le théâtre-forum burkinabé à du théâtre de rue ?
Ce qu’ils appellent le théâtre-Forum, c’est un théâtre hyper réaliste sur leur quotidien pour inciter à… travail, sida, hygiène, etc… Les artistes jouent des situations extrêmement réalistes sans trop prendre de gants ou de mots compliqués, et ensuite ils font jouer les situations aux gens. Après, ils en discutent. A priori les ONG aident à ces projets (certains d’ailleurs font des projets, touchent la thune, et se la mettent dans les poches sans que rien ne soit réalisé). Sinon, non, il n’y a pas de théâtre de rue du tout. Nous avons été étonnés de constater que les concerts étaient sagement regardés. Pas de démonstration, pas de danse du public en dehors des boîtes de nuit (qui ne ressemblent pas du tout à nos boîtes de nuit).

A noter qu’un carnet de route sur le festival a été écrit par Jean-Luc Prévost et Michel Rousseau. http://passeurs.net
Le site de la compagnie : www.lesgoulus.com///Article N° : 2776

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Les images de l'article
Compagnie Les Goulus, "Les Cupidons" (Jean-Luc Prévost) © Michel Rousseau
Compagnie Albédo, "Les Big Brothers" et Compagnie Colbok, "Niki" © Michel Rousseau
Compagnie Albédo, "Les Big Brothers" © Michel Rousseau
l'affiche du festival © Stéphane Clément





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