Fespaco 2001 : Moussa Diagana et Dani Kouyaté donnent une conférence de presse à propos de « Sia, le rêve du python », adaptation par Dani Kouyaté de « La Légende du Wagadu » de Moussa Diagana, pièce notamment représentée au festival des Francophonies de Limoges et elle-même inspirée de la légende du même nom
Février 2003 : à l’heure où romanciers et cinéastes se réunissent à Etonnants voyageurs à Bamako pour un atelier « Etonnants scénarios » sur l’adaptation d’uvres littéraires au cinéma, la conférence de presse de Moussa Diagana et Dani Kouyaté éclaire cette question.
Moussa Diagana : Mon objectif n’était pas de reprendre le mythe tel qu’il est raconté par les griots. Le but était de donner la parole à ceux qui ne l’ont pas. Sans ambition. En milieu soninké, on croyait au serpent à sept têtes à qui on sacrifie une jeune fille chaque année. Le mythe est construit sur ce qui pose problème dans la société.
Dani Kouyaté : C’est une tragédie en trois actes. Je l’ai vue au théâtre et j’étais scié ! Je suis resté cinq minutes, tout le monde est sorti, j’étais là. J’ai acheté le livre et ai commencer à mijoter car c’est une histoire dramatique. Le fou a des monologues de vingt minutes qui ne conviennent pas au cinéma. C’était une grande chance de rencontrer cette pièce par l’acte théâtral.
J’ai pris un grand risque : c’était un travail très fragile. J’ai contacté Moussa Diagana pour lui demander s’il était d’accord. Il a trouvé que la première version de mon scénario était trop proche de sa pièce. Je respectais l’uvre car elle correspondait à mes préoccupations artistiques. Moussa Diagana m’a dit que si je n’allais pas au-delà de sa pièce de théâtre, ce n’était pas la peine.
Moussa Diagana : Ce n’est pas l’appropriation de mon uvre mais celle du mythe. Les trois-quart des discussions avec Dani portèrent sur les dits et les non-dits du mythe. Il faut d’abord rentrer dans le mythe pour en sortir. Le mythe du serpent, c’est l’eau : il est présent dans toutes la sous-région. Le serpent, c’est de l’or car l’or apparaît de façon alluvionnaire quand il y a des pluies. L’oncle et Mamadi reconstruisent un autre mythe : chaque fois qu’il y a rééquilibre de la société, on reconstruit un nouveau mythe.
Question de la salle : y a-t-il un lien dans le film avec l’affaire Norbert Zongo ?
Dani Kouyaté : Elle rentre dans la logique pure et plate que pose le film. Je ne ferais pas un film sur cette affaire car mon souci est universel. J’ai envie de m’adresser au monde entier. Chacun peut interpréter comme il veut le film. Il y a des gens qui ont pensé que ce n’est pas l’empereur qui a buté le fou : chacun interprète comme il veut ! Je reste un artiste et ne veut pas être récupéré. L’artiste ne doit pas rester dans les petites choses.
Quand on est auteur et sincère avec soi-même, on a peur de rien, on est comme bulldozer. Si tu as des choses à dire, c’est comme quand tu vomis, tu peux pas bloquer ! Le cinéma permet d’être plus malin que la censure car la métaphore peut beaucoup. Les spectateurs suivent : ils lisent entre les lignes !
Question : Le fou est-il partie prenante du mythe ?
Moussa Diagana : Le mythe, c’est toujours une question de pouvoir, comme perspective qui fait tenir, comme le communisme, le développement etc. La parole du fou est l’anti-mythe : la fonction du fou est de sacraliser. A la fin, elle se dénude car la parole est incapable de changer le choses : se dénuder, c’est l’extrême limite de la révolte. On l’a vu dans des manifestations au Sénégal ou au Mali où les femmes se dénudaient.
Dani Kouyaté : Sia est le relais de la parole du fou : elle est le témoin de la conscience qui ne meurt pas. Elle la porte jusque sur l’avenue Nkouamé Nkrumah ! Que cette conscience soit transmise à une jeune fille est l’espoir en soi.
Moussa Diagana : Il y a espoir et désespoir. Neuf siècles plus tard, on se retrouve avec la même jeune fille. Rien n’a changé ! L’espoir est dans le fait qu’il pleut. Sia est là, fragile, mais la pluie tombe.
Question : pourquoi sept têtes ?
Moussa Diagana : Le chiffre sept est symbole : 7 jours de la semaine, 7 chemins vers le bois sacré ou même 7 colas blanches
c’est un chiffre également coranique. On le retrouve aussi dans la Cabale.
Question : Le fou symbolise-t-il le fait que le monde n’est jamais comme on le voudrait et que la mort suit un plan auquel on ne peut échapper ?
Dani Kouyaté : Rien de consistant ne se fait sans folie. L’artiste qui manque de folie reste dans le banal : la folie est un instrument de travail. Mais n’est pas fou qui veut
Le pouvoir n’arrive pas à être fou. La folie doit séduire le pouvoir.
Question sur les costumes du film.
Dani Kouyaté : J’ai voulu sortir d’un temps précis, voulant un film universel comme en dehors du temps. La costumière suisse n’est jamais venue en Afrique et s’est laissée aller librement. Grâce à mon travail sur la pièce d’Antigone, j’ai trouvé ma distribution par le théâtre. Ayant déjà travaillé ensemble, c’est plus aisé.
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