Le réalisateur Charles Mensah est aussi depuis plusieurs années le directeur général du Centre National du Cinéma gabonais, un cinéma en pleine restructuration.
Quels objectifs donnez-vous au CENACI ?
La mission du CE.NA.CI est de développer l’industrie cinématographique et audiovisuelle au Gabon. Après avoir fait quelques coups d’éclat entre le milieu des années 70 et le début des années 80, le cinéma gabonais a hélas plongé dans une longue léthargie. A mon arrivée au CE.NA.CI, la priorité des priorités fut donc la relance de la production. Maintenant que c’est chose faite, nous essayons par un programme adapté de consolider cet acquis de sorte qu’à moyen terme, l’acte de produire un film ne soit plus au Gabon un événement mais quelque chose de courant et de normal.
Par ailleurs, on note un gros déficit en salles, une absence de billetterie et le développement anarchique de l’exploitation vidéo. Nous menons des actions de sensibilisation auprès des pouvoirs publics pour que des mesures incitatives permettent de créer de nouvelles salles et que des textes réglementaires soient adoptés pour organiser le marché.
Quelle est votre vision de l’exercice du métier de producteur ?
J’essaye, compte tenu de ma charge, d’adapter le métier de producteur aux délégations de service public. Ma tendance est de donner aux projets qu’initient le CE.NA.CI un caractère structurant pour la profession. Je veille cependant à ce que l’efficacité ne soit pas sacrifiée lors des tournages. Cela dit, je n’ai pas une idée préconçue du métier de producteur. Je peux selon le cas être interventionniste sur la réalisation du film ou pas. Dans tous les cas, je fais tout ce que je peux pour encadrer au mieux le réalisateur, dans tout le processus de fabrication du film.
Votre casquette de réalisateur vous aide-t-elle ?
Certainement. Elle me permet d’appréhender plus rapidement certains problèmes de terrain et de faire le cas échéant des choix ou de proposer des solutions qui prennent en compte et les contraintes de budget et les ambitions du budget.
Quel est la part de risque d’un producteur tel que vous ?
J’ai certes, comme toute structure de production ou n’importe quelle entreprise, des obligations. Dans mon cas de figure, elles ne se posent pas seulement en termes financiers. Je dois, dans le cadre des choix que j’opère, prendre également en compte des critères d’ordre politique et social. Par-delà ma petite personne, l’enjeu est le maintien de la crédibilité de la structure pour sa pérennité.
Etes-vous un adepte des co-productions ?
Définitivement oui. C’est indispensable si nous voulons développer nos cinématographies. Aucun pays d’Afrique noire en dehors de la République Sud-africaine ne dispose à lui tout seul de suffisamment de moyens financiers et techniques ni de ressources humaines. Une meilleure intégration au niveau sous-régional voire régional devrait dans notre domaine jouer un rôle de levier.
Pour ce qui est des co-productions avec des pays d’économie et de culture dominantes, je suis d’accord sur le principe, car elles permettent à nos techniciens de capitaliser l’expérience. Mais il est important lors des négociations de veiller à ce qu’il y ait un vrai partenariat entre Blancs et Noirs et que les obligations soient réparties de façon équitable. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.
Les films de l’Afrique subsaharienne ont des coûts très élevés ; pensez-vous que c’est irrémédiable ?
Le coût moyen d’un long métrage en Afrique subsaharienne est de l’ordre de 800 millions de francs CFA soit 8 millions de FF. Si nous le situons dans notre environnement économique, cela est effectivement très élevé. Le problème est que le contrôle des coûts des factures nous échappe à 75 %. Nous payons les moyens et les prestations techniques sur la base des tarifs en vigueur dans le pays où nous les commandons, c’est-à-dire les pays européens en général où le coût moyen d’un long métrage est de l’ordre de 2 milliards de francs CFA.
Cela dit, la situation n’est pas irrémédiable. On peut trouver aujourd’hui avec les pays comme le Maroc, la Tunisie ou l’Afrique du Sud des possibilités qui pourraient permettre de baisser les coûts. Par ailleurs, je pense que dans le cinéma africain, nous devons sérieusement réfléchir sur l’utilisation des nouvelles technologies. Je pense au numérique, qui offre plus de souplesse et un rapport qualité-prix plus avantageux.
Quoi qu’il en soit, l’état de notre marché qui ne peut garantir de retour sur investissement, la réduction des financements institutionnels et l’incapacité des télévisions africaines à être de véritables partenaires devraient nous obliger à revoir l’économie de notre cinéma, pour qu’elle soit en meilleure adéquation avec notre environnement.
///Article N° : 1809