Le Rivage des murmures (A Costa dos Murmúrios)

De Margarida Cardoso

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On la connaissait pour son remarquable documentaire basé sur l’histoire du cinéma mozambicain Mozambique, journal d’une indépendance ainsi que pour Natal 71 qui interrogeait de la dramatique décolonisation portugaise. Margarida Cardoso passe ici à la fiction pour sonder encore la mémoire, de son enfance cette fois, plongée dans les treize années de guerre d’indépendance d’un Mozambique que le régime fasciste de Salazar ne voulait pas lâcher jusqu’à la révolution des œillets de 1974.
Très personnel, le film explore les blessures intimes provoquées par la violence coloniale chez les Portugais eux-mêmes. Deux éléments en sont totalement absents : la nostalgie qui travaille souvent les œuvres des anciens colons portugais (cf. par exemple O Gotejar da Luz – La Lenteur de la lumière de Fernando Vendrell, 2002) mais aussi, à la différence par exemple du Chocolat de Claire Denis, un personnage noir actif. En dehors d’une domestique qui suit sa maîtresse au point que celle-ci l’assimile à la mort qui la guette, les colonisés sont exclus, autant qu’ils le sont de la vie des colons apeurés qui cherchent à s’en séparer pour sauvegarder leur sécurité, leur intégrité et leurs biens. Cela ne veut pas dire que les Africains soient oubliés ou mis de côté : ils existent bien mais le film ne les met pas en scène. Pas de nostalgie mais la sourde mélancolie qui ronge cette femme plongée dans ce monde en huis clos où tout n’est que faux-semblants, désespérance et chimères. Dans une approche très durassienne, Margarida Cardoso relit dans le présent en voix-off la mémoire de cette Evita qui pourrait être sa mère, qui pourrait être elle-même si elle avait eu son âge à cette époque.
A quoi bon se souvenir de cette Afrique jaune couleur de whisky où les Noirs meurent comme des mouches d’un alcool frelaté qu’un mystérieux complot fait s’échouer sur le rivage et où l’on donne aux domestiques des noms de fleurs d’ornement ? Pour ouvrir comme Evita enfin les yeux sur cette tranche d’Histoire que l’on voudrait oublier et dont on brûle les images. Car c’est bien la mémoire sans concession du crime colonial qui est convoquée : le récit d’un officier blessé vient confirmer ce que disaient les photos des cruautés perpétrées. Evita étouffe sous la pesanteur du milieu et le poids des horreurs, mais aussi et surtout de par l’inanité de sa révolte. Elle perçoit combien la violence que l’on fait exercer à l’homme qu’elle aimait le ronge sans appel. La colonie est mortifère mais elle est aussi suicidaire, jouant ses forces vives à la roulette russe. C’est donc bien la mélancolie persistante des clair-obscur et d’un quatuor à cordes de Dvorjak qui convient à cette évocation triste de l’impuissance de l’individu dans l’engrenage colonial. « Qui suis-je pour dire que ça s’est passé comme ça ? » Margarida Cardoso répond par un film d’une extrême sensibilité, délicatement éclairé et filmé, se concentrant sur l’essentiel, entièrement juste dans sa façon de cadrer les visages comme de décrire un milieu. Ajustant son rythme au désarroi face au guet-apens colonial, elle fait œuvre d’historienne, non de la véracité des faits mais des douloureuses blessures encore ouvertes dans la mémoire collective.

///Article N° : 4404

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