12 Years A Slave de Steve McQueen remporte le prix du Public au Festival International du Film de Toronto (5-15 septembre 2013). Basé sur un récit éponyme, le film raconte l’enlèvement d’un Noir américain, Salomon Northup, au milieu du XIXe siècle dans le sud des États-Unis. Une adaptation majestueuse qui confirme que les films historiques ont encore un sens pour appréhender l’esclavage. Quand on sait l’influence que peut avoir un prix du public pour les Academy Award, la carrière du film ne fait que commencer.
Cette 38e édition du festival a permis au public torontois de plonger dans quelques épisodes marquants de l’Histoire de nos civilisations : en Afrique du Sud, la vie du leader de la lutte contre l’apartheid ; en Grande-Bretagne, une jeune descendante d’esclave noire est élevée dans la noblesse anglaise du XVIIIe siècle ; dans le sud des États-Unis, le témoignage d’un Afro-américain forcé à l’esclavage dans les années 1840.
Quand il a lu pour la première fois le roman de Salomon Northup, le réalisateur britannique Steve McQueen (auteur des magnifiques Shame et Hunger) s’est dit « This is it ! ». Il cherchait à faire un film sur l’esclavage : le récit de 12 Years A Slave s’est imposé. Il s’agissait de l’aborder à partir d’une histoire particulière, une fiction. Une histoire qui va au-delà du conflit racial mais qui parle de dignité humaine. Salomon Northup (Chiwetel Ejiofor), un musicien noir qui vit à New-York, se voit kidnapper et envoyer en Louisiane dans une plantation de coton – un enfermement qui durera douze années durant lesquelles il subira horreurs et atrocités comme les autres esclaves.
L’histoire va au-delà du conflit racial. Elle parle de dignité humaine, de liberté, d’amour. C’est pour cela qu’on ne peut sortir de la salle comme si on refermait un livre d’Histoire. La pratique de l’esclavage en Amérique a duré plus de quatre cents ans et à chaque fois qu’un cinéaste entreprend d’illustrer ne serait-ce qu’une facette, il contribue au devoir de mémoire. Mais en même temps, il risque de fixer dans l’imaginaire du spectateur des images, les siennes, d’un phénomène historique beaucoup plus large et complexe, ce qui peut apparaître réducteur. Il mènera certes tout un travail de documentation qu’il va fictionnaliser dans un passé recomposé. L’enjeu est dès lors que sa nouvelle approche permette d’en apprendre davantage et que ses images plutôt que de fixer les faits ouvrent leur appréhension au sensible. Il est vrai que ce ne sont pas les documentaires ou les docu-fictions qui manquent sur cette période atroce, mais ils relatent en général cette époque par des faits historiques (dates, traités, etc.) à l’aide d’images d’archives en noir et blanc. Le film historique, lui permet de traiter du particulier au général, de transmettre l’émotion, le vécu des personnes et de se rapprocher d’elles. Il permet de mettre des visages sur des personnes, de mémoriser leur vécu durant cette époque. Ce qui va marquer davantage les esprits et susciter des débats. Les films marquants ont ainsi été Amistad de Steven Spielberg avec l’acteur béninois Djimoun Hounsou dans le rôle de Cinqué, ou le feuilleton Racines (Kounta Kinté) basé sur le roman d’Alex Hailey ou encore Sankofa d’Haile Gerima.
12 Years A Slave a d’ailleurs été tourné pratiquement en même temps que Django Unchained de Quentin Tarentino. En tournage à la Nouvelle Orléans, Steve McQueen a rencontré le réalisateur américain qui lui a fait part de son souhait pour voir se réaliser davantage de films sur l’esclavage.
Mandela : A Long Walk to Freedom, autre rendez-vous historique tant attendu cette année, a aussi trouvé son public. À l’heure où l’état de santé de l’ancien président sud-africain fait l’actualité, comment mieux lui rendre hommage si ce n’est en adaptant à l’écran son autobiographie éponyme. La tâche fut immense pour le réalisateur anglais Justin Chadwick. Il a désespérément tenté de faire tenir les faits marquants de la vie du leader dans les limites d’un film mais peine à convaincre qu’il s’agit de celui qui s’imposera comme la référence future
Il n’empêche que cette coproduction sud-africaine et française a été appréciée du public canadien, tant il est clair que tout un chacun voudrait en savoir davantage sur la vie de Madiba. Il est interprété ici par l’acteur américain d’origine britannique Idris Elba, qui prend ainsi la suite de tous ces acteurs qui ont joué Mandela : Danny Glover dans un téléfilm, Sidney Poitier (Mandela and de Klerk), Dennis Haysbert (Goodbye Bafana), Morgan Freeman (Invictus) ou encore Terrence Howard (Winnie auprès de Jennifer Hudson). Le défi n’est pas des moindre car au-delà du film c’est la vie d’un héros, son combat et son héritage qu’il s’agit de représenter.
La réalisatrice anglaise Amma Asante (A way of life) privilégie elle aussi avec son film Belle le récit d’une vie basé sur une histoire vraie de la période esclavagiste, également présenté en première mondiale au TIFF. Dido Elizabeth Belle (Guru Mbatha-Raw) est la fille illégitime d’un capitaine anglais avec une esclave caribéenne. Son métissage est embarrassant dans la société anglaise du XVIIIe siècle, surtout au sein de la noblesse où elle sera élevée par son grand-oncle, un juge aristocrate. Elle cherchera à le convaincre de condamner le massacre de Zong (29 novembre 1781), un épisode tragique où une centaine d’Africains ont été jetés par-dessus bord d’un bateau négrier afin que les propriétaires touchent une assurance sur les décès. La noyade en soi ne constitue pas le sujet du film mais elle le traverse tout du long, histoire dans l’histoire que le spectateur perçoit à travers le personnage de Belle.
La programmation africaine du festival n’échappait pas non plus à la violence de l’Histoire. C’est ainsi qu’Half of a Yellow Sun, premier long-métrage du Nigérian Biyi Bandele, dresse le récit du retour au pays de deux surs jumelles issues d’une famille riche, après leurs études à Londres. Elles seront les témoins des guerres civiles ethniques et religieuses au Biafra dans la fin des années soixante. Le film est adapté du roman à succès de l’auteure nigériane Chimamanda Ngozi Adichie, présente pour cette première mondiale à Toronto.
Au Kenya, Something Necessary de Judy Kibinge suit le combat de deux victimes qui cherchent à se relever après les violences postélectorales de décembre 2007. Ici aussi la réalisatrice choisit d’aborder un fait historique à partir d’histoires individuelles, une démarche qui emporte les faveurs d’un public en quête de fiction pour aborder l’Histoire.
Le public festivalier semble friand de ce type de démarche. Le réalisateur Steve McQueen l’a bien compris, lui qui revient pour la troisième fois à Toronto. Avec 12 Years A Slave, il ose, il illustre, il choque. Il ne s’agit pas seulement d’un film sur l’esclavage qui ne parlerait qu’aux Noirs américains avec le but de leur en apprendre davantage sur l’histoire de leurs ancêtres et qui susciterait une certaine gêne chez les Blancs. Ce film est dédié à toute personne qui au vu et au su de ces atrocités commises durant des siècles, de ce calvaire d’être séparé cruellement de sa famille, d’être réduit à une vie de misère avec coups et fouets au quotidien, Noir ou Blanc, se dirait « Et si c’était moi ?« .
Toronto///Article N° : 11809