Il n’avait pas encore fini de signer son dernier recueil, Magies, paru chez Présence Africaine en 2012. Il avait le devoir de faire entendre sa voix. Léopold Congo-Mbemba (16 novembre 1959 – 16 février 2013) s’en est allé après avoir confié aux mots, à la liberté de ses vers et à la musicalité du poème, les traces de son passage sur la Terre. Philosophe de formation, il était sensible à l’histoire, à la mémoire, à la question du monde, à l’humain tout simplement. Pourtant, le philosophe habitait le monde en poète. Le corps, la chair, l’âme, sont des mots récurrents qui, sous sa plume, disent la rencontre impossible, la vulnérabilité de l’humain, ses souffrances ou ses espérances. Si, parmi les poètes du Congo, il faisait partie de la génération qui assure la relève après Tchicaya U Tamsi, Sony Labou Tansi, Tati Loutard et bien d’autres, dès son premier recueil, Déjà le sol est semé (1997) ne disait-il pas « Je nais vêtu de blessures » ? La question de l’origine et celle de la filiation l’amènent à remonter le cours d’une histoire d’hommes mémorables : Césaire, Damas, Toussaint Louverture, Coltrane, Baldwin, Metellus, Malcolm X, Martin Luther King, Lumumba
: hommes politiques, écrivains, musiciens, activistes et poètes de la négritude. Entre l’Afrique, l’Amérique, la Caraïbe, à l’ombre de figures tutélaires, là est sa place parmi ses confrères, par-delà le temps et l’espace. En décembre 2002, Ténors-mémoires(1), recueil au titre évocateur, est dédié à Damas, Senghor et Césaire. Mais sa poésie, à la fois méditative et engagée est ouverture au monde, traversée des frontières du pays réel, passage des rives du poème pour devenir chant (Le Chant de Sama N’déye) ou cri du monde blessé (Le Tombeau transparent), et méditation sur le temps.
Le poète a conscience d’appartenir à une communauté intellectuelle, en témoigne le dialogue qu’il entretient avec ses contemporains, comme pour baliser son propre parcours parmi d’autres poètes, parfois plus jeunes. Alain Mabanckou, Geneviève Clancy, Babacar Sall ou Daniel Biyaoula(2) comptent parmi ses préfaciers. Établir la relation avec le lecteur à venir, quand les maux qui nous entourent prennent aux tripes, n’est-ce pas écrire dans les marges du texte ? Ainsi, Le Tombeau transparent est précédé d’un avant-propos revu d’une édition à l’autre, sur la guerre et le mal ou ce que l’homme est capable de faire à ses semblables ; le poème construit des stèles sur le lieu du désastre, apporte son rythme, sa musique, ses clairs phonèmes, et son souffle à ceux qui tombent sans nom, sans visage.
Au milieu des clameurs de notre monde, la discrétion et la sincérité de Léopold Congo-Mbemba m’ont toujours frappée. Il travaillait en silence, prenait la parole là où sa silhouette ne passait pas inaperçue, au cours de rencontres poétiques, de festivals, de débats. Ainsi, en région parisienne, il avait participé à trois reprises aux manifestations de la Maison de la Poésie de Saint-Quentin-en-Yvelines, à la première Biennale en 2003, et à l’inauguration des travaux de construction de la médiathèque Aimé Césaire à La Verrière. Il faisait partie, entre autres, de l‘Anthologiedes Nouveaux Poètes français et francophones de Jean-Luc Favre et Mattias Vincenot(3).
Quand un poète nous quitte, il ne meurt pas, ses mots nous accompagnent longtemps, l’écho de sa voix résonne en nous, jusqu’à la nuit des temps. En 1999, préfaçant Le Chant de Sama N’déye, Babacar Sall avait trouvé le mot juste pour le dire : « Le poète ne meurt pas parce qu’il chante. Le poète ne meurt pas parce qu’on ne monte pas au ciel avec une âme déchirée. On la répare d’abord pour retrouver le déploiement complet des oiseaux lumineux, ces étoiles qui nous viennent du royaume des songes et qui illuminent la nuit des angoisses. » (p. 9).
Je m’en irai par les chemins du silence,
la mémoire ballottée dans l’orage
de vent des souffles et de pluie de sang,
les pieds pataugeant dans la boue de chair
de ceux qui ne seront plus,
j’interrogerai sans relâche
la sagacité des grands mages.
Que ces mots du Tombeau transparent t’accompagnent au cours de la marche infinie
Requiescat in pace.
1. Prix Louise Labé 2004.
2. Déjà le sol est semé, préface d’Alain Mabanckou, L’Harmattan coll. Poètes des cinq continents, 1997 ; Le Tombeau transparent (1e édition), préface de Geneviève Clancy, coll. Poètes des cinq continents, l’Harmattan, 1998 ; Le Chant de Sama N’dèye, suivi de La Silhouette de l’éclair, préface de Babacar Sall, coll. Poètes des cinq continents, l’Harmattan, 1999 ; Ténors-Mémoires, préface de Daniel Biyaoula, Présence Africaine, 2003, coll. Les Lettres du Temps, Jean-Pierre Huguet éditeur, 2003.18 février 2013///Article N° : 11324