Quand Tarantino donne le pouvoir aux opprimés, il leur donne aussi les armes et la philosophie de la violence de leurs oppresseurs. C’est le principe de Kill Bill, Inglorious Basterds, Death Proof et maintenant, Django.
Quelques années avant la guerre civile, l’esclave Django est acheté par un chasseur de prime blanc, le Dr Shultz, pour qu’il identifie trois hommes dont les têtes, fort rémunératrices, lui sont connues. Les hommes se lient d’amitié au point que le Dr Schultz lui propose une mise-en-scène improbable pour récupérer sa femme, Broomhilda von Shaft, esclave du richissime Calvin Candie (Leonardo DiCaprio). Django se fera passer pour un expert en « Mandigo », ces esclaves qui combattaient à mains nues pour le compte de leur maître et que le Dr Schultz prétend vouloir acquérir pour, en réalité, acheter Broomhilda.
Tarantino ne déçoit pas ses fans. Il se surpasse même, déployant un humour désopilant sur un sujet gravissime : je défie Spike Lee de ne pas rire au moins une fois, s’il consentait à visionner le film. Et pourtant, comme dans Inglorious Basterds, ses images dévoilent et dénoncent les horreurs de l’histoire : alors que très peu de films ont été tournés sur l’esclavage, celui-ci débute sur un dos déchiré de marques de fouet, rappelant le célèbre daguerréotype abolitionniste qui fascine le fils de Lincoln dans le film de Spielberg.
C’est avec sadisme et humour que les exactions de l’esclavage sont dénoncées tout au long du film de manière effroyablement efficace, pour culminer dans la vengeance jubilatoire.
Tarantino a encore une fois recours à un casting international et de l’allemand dans le texte et comme à son habitude, les clins d’il cinématographiques sont innombrables, avec la participation de Franco Nero, tête d’affiche de Django (1966) ou la référence à Mandigo (1975) et Shaft, nom de famille de Broomhilda von et film pionnier de la blaxploitation en 1971. On aperçoit une affiche de mise à prix de la tête d’Edwin Porter pour attaque de trains, en référence au réalisateur du premier western de l’histoire du cinéma en 1903, L’attaque du train rapide. Le carton « Mississippi » qui traverse l’écran et le même que celui d’Autant en emporte le vent (1939), alors que Django attaque frontalement le mythe de la galanterie sudiste et de l’harmonie esclavagiste qui y est décrite. Et pour couronner le tout, une réplique finale en clin d’il au plus grand des westerns spaghettis, Le bon, la brute et le truand (1966 – le truand lance la même insulte que Stephen le traître, coupée au même mot, « fils de p
»).
Comme Jackie Brown (1997), Django est un hommage à la blaxploitation. Une différence notable cependant : les films de blaxploitation comportaient toujours un courant politique subversif, avec des héros membres des groupes militants noirs, ou qui s’en faisaient les alliés le temps d’une enquête, ralliant ainsi l’intrigue à une cause plus large de libération du peuple noir par la solidarité. Or Django, qui doit sans doute davantage aux films spaghettis, n’est motivé que par son ambition fort loyale, mais tout à fait personnelle, de récupérer sa femme. Il ira jusqu’à assister à la torture à mort d’un esclave sans intervenir, puis s’interposer alors que le Dr Schultz souhaite racheter un Mandingo pour lui épargner une mort assurée. Django ne recule devant aucun sacrifice humain pour sauver sa Broomhilda. La division du peuple noire est d’ailleurs mise-en-scène avec le personnage de l’Oncle Tom interprété par Samuel Jackson, Stephen, qui sera le véritable ennemi mortel de Django, tandis que le vrai bon de l’histoire est un homme blanc, celui qui donne sa liberté à Django et qui se sacrifie pour lui. Ce scénario est à l’opposé des films de la blaxploitation, notamment la série des Nigger Charlie où Fred Williamson n’a nul besoin de se flanquer d’un dentiste chasseur de tête pour défendre ses frères et surs opprimés (voir pour plus de détails l’article de Aisha Harris [ici]). Peut-être le film de Tarantino est-il plus « réaliste », bien que le terme semble quelque peu déplacé : le fait est que Django n’échappe pas au système esclavagiste, il reste le plus souvent impuissant, et c’est la force du scénario qui va très loin dans la représentation des horreurs de l’esclavage.
Le point le plus saillant des films de Tarantino reste la représentation du sadisme, à grand renfort de sauce tomate. Le sang jaillit des abattis noirs et blancs, les cadavres s’empilent, de petits fils étincelants mènent sans relâche à des pyramides de bâtons de dynamite. Entre deux explosions de violence, la douce Broomhilda fait une apparition éthérée et conformément à la légende, attend patiemment que son beau prince vienne la délivrer. Car comme l’ont montré Kill Bill ou Death Proof, une femme ne peut prendre le pouvoir qu’à condition de se comporter exactement comme un héros blanc et porter sa vengeance à terme, quelles qu’en soient les conséquences. Ce ne serait être le cas de l’élue de Django, dont le rôle est paradoxalement aussi central que minime. De son côté, Django renoncera à tout discours identitaire pour savourer sa victoire sur son noble destrier. Est-ce le héros qui manquait à la communauté noire ? On peut en douter, et alors on comprend mieux que Spike Lee se préserve de risquer de l’apprécier.
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