Les Africains se mettent au polar

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Trafic de cartes de séjour, de cannabis ou d’armes, sorcellerie et magouilles politiques… Depuis le premier polar d’Achille Ngoye (cf. Africultures n 5), Agence Black Bafoussa, dans la Série Noire de Gallimard, plusieurs romans noirs africains ont vu le jour. L’exemple de Ngoye aurait-il encouragé les auteurs africains à se lancer dans le genre ? Ou les éditeurs, en quête de nouveau dans un genre très anglo-américain, se seraient-ils intéressés au continent ? Cette année, la célèbre Série Noire a publié quatre titres en rapport avec l’Afrique, Le Serpent à Plumes a lancé sa nouvelle collection de romans noirs avec, entre autres, La Polyandre de Bolya, et les Editions Baleine se sont fait remarquer avec les polars de Yasmina Khadra.
Il est difficile de trouver des points communs à ces auteurs, mais tous s’inspirent d’une réalité africaine, que ce soit celle des immigrés du 11ème ou de flics algérois. Ils ont pourtant chacun leur particularité. Là où Bolya cultive des dialogues d’une ironie piquante (cf. Africultures n  9), Achille Ngoye ravit avec sa langue qui combine argot, verlan, africanismes et expressions lingala – à tel point qu’un glossaire des africanismes (et pourquoi pas de l’argot ?) a été ajouté à la fin de l’ouvrage. Dans son dernier polar, Sorcellerie à bout portant, il entraîne le lecteur au Zaïre. Kizito retourne au pays pour l’enterrement de son frère aîné, major spécialisé dans les »missions de pacification », décédé dans un accident de voiture. Cependant, le corps n’a jamais été remis à la famille et de curieux événements marquent le retour de Zito : racket à la veillée funéraire, menaces, traces de sorcellerie… De quoi éveiller les soupçons de Zito qui se promet d’élucider la mort de son frère, lequel avait, au cours de ses missions, eu le temps de se faire bien des ennemis. Il y a surtout cette Belgicaine aux allures suspectes…
Abasse Ndione, dont La vie en spirale était déjà paru en deux tomes aux Nouvelles Editions Africaines avant d’être repris en un seul volume pour la Série Noire, nous apprend tout, ou presque, sur le yamba, ce chanvre indien populaire au Sénégal. Ici, on ne fume pas, on développe, les dealers s’appellent des sipikat et les flics des impi. Et quand les premiers se font gifler par les derniers et que la pénurie s’installe au bled, commence le périple d’Amuyaakar Ndooy, simple développeur qui décide de se lancer dans les affaires. Le parcours sera tumultueux et jonché de surprises, mais la débrouillardise et surtout ce fameux gri-gri du vieux Fa Kébuté sortiront le héros de bien des situations délicates.  » Le yamba rend fou « , disent les vieux du village, mais entre-temps le cannabis ouvre des portes inattendues à Amuyaakar qui évoluera des bals du samedi soir aux couches les plus élevées de la société. La chance lui sourira-t-elle jusqu’à la fin ? Les vieux du village finiront-ils par avoir raison ? Ecrit avec beaucoup d’humour et sans une once de moralisme, ce livre est un régal, qu’on soit fan de cannabis ou pas.
Yasmina Khadra (cf. entretien) puise dans le quotidien du flic algérois dont elle raconte les enquêtes dans une langue où se mêlent étrangement humour et désespoir :  » Désormais, dans mon pays, il y a des gosses que l’on mitraille simplement parce qu’ils vont à l’école, et des filles que l’on décapite parce qu’il faut bien faire peur aux autres. Désormais, dans mon pays, à quelques prières du Bon Dieu, il y a des jours qui se lèvent uniquement pour s’en aller, et des nuits qui ne sont noires que pour s’identifier à nos consciences…  » Après trois polars publiés en 1997 et en 1998, on ne sait toujours pas qui se cache derrière ce pseudonyme – même l’éditeur correspond par l’intermédiaire d’un fax, et cela depuis peu – mais ses livres s’imposent tout seuls. Le choix de l’auteur de rester cachée se comprend aisément quand on lit Morituri, Double blanc ou L’Automne des chimères. Avec la bouche du commissaire Llob – flic macho et cynique qui tente malgré tout de trouver une part de vérité dans la confusion générale de tueurs à gages, d’intégristes barbus et de »mafia politico-financière » -, la guerre civile algérienne et toutes ses parties y sont dénoncées avec une hargne exceptionnelle. Les intrigues sont à l’image du contexte général : partant d’une situation plus ou moins simple, elles finissent par se déployer dans tous les sens, complexes et tentaculeuses. Avec son lieutenant Lino, Llob essaie de ne pas perdre le fil dans ce scénario où il faut se méfier de tout le monde, y compris des cadavres, piégés dans la plupart des cas. Ce commissaire auteur de polars à ses heures n’est pas, lui non plus, à l’abri de la violence ; c’est pourquoi il écrit sous un pseudonyme. Oui, vous avez bien deviné : c’est Yasmina Khadra.
Coup éditorial ou pas, on se réjouira du résultat, en espérant que cette vague d’auteurs africains dans le monde du polar ne sera pas un simple effet de mode.

La Polyandre, de Bolya, Ed. Le Serpent à Plumes, 1998, 236 p., 59 FF.
Agence Black Bafoussa, d’Achille Ngoye, Ed. Gallimard, Coll. La Série Noire, 1996, 262 p., 47 FF.
Sorcellerie à bout portant, d’Achille Ngoye, Ed. Gallimard, Coll. La Série Noire, 1998, 254 p., 45 FF.
La vie en spirale, d’Abasse Ndione, Ed. Gallimard, Coll. La Série Noire, 1998, 362 p., 58 FF.
L’automne des chimères, de Yasmina Khadra, Ed. Baleine, 1998, 176 p. 47 FF.
Du même auteur : Morituri et Double blanc, 1997, 166 p., 45 FF.
Sur l’Algérie, lire aussi :
De bonnes nouvelles d’Algérie, de Chawki Amari, Ed. La Baleine, Coll. Canaille/revolver, 1998, 192 p., 47 FF. Nouvelles (très) noires, proches du conte, par un ancien dessinateur et chroniqueur de journaux algériens, aujourd’hui installé en France.
Un baiser sans moustache, de Catherine Simon, Ed. Gallimard, Coll. Série noire, 1998, 214 p., 45 FF. Sous la plume d’une journaliste française, le même dédale de barbus, de militaires et de tueurs à gage que chez Khadra.
Avis déchéance, de Mouloud Akkouche, Ed. Gallimard, Coll. Série noire, 1998. ///Article N° : 505

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