Jusqu’au 4 novembre prochain, la Fondation Cartier pour l’Art Contemporain un des hauts lieux d’exposition d’art contemporain sur la scène parisienne ouvre les portes de sa bâtisse de verre à l’art populaire. Parmi les 37 artistes sélectionnés de par le monde, trois artistes africains ont été retenus : Cheick Ledy et Moke (RDC) et le Ghanéen Kane Kwei, grand maître d’uvre des cercueils figuratifs, décédé en 1992. Parce qu’elle ne s’intégrait pas, officiellement, à l’exposition, son uvre, un cercueil en forme de basket, a été retirée au dernier moment. Elle aurait pourtant apporté un autre aperçu de l’art populaire émanent du continent africain, dont les deux représentants, travaillant à partir du même « concept », ne reflètent pas la diversité celle-ci est en revanche bien présente concernant l’art brésilien, dont la découverte, il est vrai, est à l’origine de l’exposition. Ce choix d’uniformité est d’autant plus regrettable qu’un des commissaires de l’exposition n’est autre qu’André Magnin, spécialiste s’il en est des différentes formes d’art africain.
Ne serait-ce que par rapport à son titre, l’exposition « Un art populaire » peut dérouter tant celui-ci n’est pas révélateur de l’hétéroclisme des uvres présentées. Comme un patchwork faussement désorganisé par une volonté d’échapper à une « cartographie rigide », la scénographie permet un certain écho entre des uvres italiennes, brésiliennes, américaines, japonaises, chinoises ou congolaises, uvres qu’à priori rien ne rapproche.
Ainsi se font face deux grandes fresques festives : la première réalisée par Adalton Lopes originaire de Rio de Janeiro, Brésil fait danser sur fond de carnaval (grâce à un système mécanique) une multitude de figurines d’argile issues de l’art populaire brésilien. La seconde, une immense toile réalisée pour les besoins de l’exposition par le peintre Moke dans les rues de Kinshasa – où elle a créé l’événement – met en scène un concert en plein air autour duquel s’est massée une foule dansante.
Moke est avec Cheri Samba le plus célèbre des peintres (populaires ?) zaïrois tant dans son pays qu’à l’étranger. Autodidacte, il a débuté en peignant des paysages sur des cartons qu’il vendait dans les rues de la ville. Son premier tableau « populaire » lui a été inspiré par la « fête du 30 juin » commémorative de l’indépendance, alors qu’il était âgé d’une quinzaine d’années. Dans son atelier situé au cur de la ville, Moke ausculte la vie kinoise, puisant son inspiration dans les bars, les scènes de rues, tout ce qui fait le quotidien de ses congénères. Les tableaux sélectionnés pour l’exposition, aux thèmes plutôt festifs, ne doivent pas masquer la lucidité d’un regard qui, à travers des toiles comme « Le défilé avec Mitterrand et Mobutu » (1989), a pu aussi pointer du pinceau la violence politique dans laquelle son pays est enlisé. Quel que soit le sujet traité, Moke semble toujours être en phase avec la société dont il est issu, mais n’est ce pas là le propre de l’art populaire ?
Autre regard, celui de Cheick Ledy, formé dans l’atelier de son frère Cheri Samba. L’artiste, décédé en 1997 à l’âge de 35 ans, appartient à la jeune génération des peintres populaires de Kinshasa. A l’instar de celles de son frère, ses toiles sont accompagnées d’un texte mi-lingala, mi-français et sont réalisées avec des peintures industrielles aux coloris éclatants venant appuyer un propos tirant vers la satire féroce. Ses toiles dépeignent sans équivoque une société prisonnière de ses dirigeants (« Le garant« , 1993), perméable à la prolifération de la maladie (« La transmission de la maladie« , 1990) et ployant sous « Les effets d’alcools » (1994) et « L’absence morale » (1990) à l’image de la représentation des formes avantageuses des prostituées, « Kin derrière« , 1996, qui montre la vie urbaine sous l’angle d’un énorme postérieur offert à toutes les convoitises.
Comme Moke et Cheick Ledy, les autres artistes de l’exposition tels que Luo Brothers (Chine), Liza Lou (Etats-Unis) ou Alessandro Mendini (Italie) investissent l’imagerie populaire de leur société d’origine qu’ils réinterprètent pour en donner une image iconique, critique ou nostalgique. Nous sommes bien devant un acte de création, ludique et inventif qui, avec les uvres les plus pertinentes, vient titiller la scène de l’art contemporain comme a pu le faire un Cheri Samba dont le parcours atypique reflète bien que le fil qui sépare l’art dit « populaire » de l’art contemporain peut être ténu, probablement en Afrique plus qu’ailleurs.
Un art populaire : du 21 juin au 4 novembre 2001, Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 Boulevard Raspail, 75014 PARIS, tel : 01 42 18 56 51///Article N° : 1914