Les Rencontres théâtrales internationales du Cameroun : un festival qui fait courir ses détracteurs

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Organisées tous les ans au Cameroun sur l’initiative d’Ambroise Mbia qui en est le président, les Rencontres théâtrales internationales du Cameroun (RETIC) sont l’un des plus anciens et des plus importants festivals de théâtre d’Afrique francophone subsaharienne. Pourtant, après onze éditions, artistes et professionnels du spectacle, habitués et nouveaux, s’indignent d’une organisation qui donne toujours l’impression d’être au premier essai. Paradoxalement, ceux qui se plaignent déploient la même énergie pour obtenir la garantie d’une prochaine participation…

Diffuser son spectacle n’est certainement pas la chose la plus aisée pour une compagnie artistique africaine. Très embryonnaire, le marché du spectacle en Afrique se limite actuellement à quelques festivals internationaux auxquels il faut ajouter le grand Marché des arts du spectacle africain d’Abidjan (MASA). A proximité de ces espaces de diffusion émergeants, il y a les incontournables Centres culturels français qui constituent avec les Alliances françaises le seul véritable réseau de diffusion du spectacle en Afrique, avec leurs belles infrastructures et des budgets qui font pâlir d’envie les responsables des ministères en charge de la Culture. Mais très refermé sur lui-même, ce circuit où l’on  » gagne bien sa vie  » n’offre pas ces opportunités d’échanges et de rencontres qui sont essentielles dans le développement d’une carrière artistique. L’ambition aidant, les festivals, malgré la précarité des moyens et une organisation qui fait couler beaucoup d’encre et de salive, sont devenus avec le MASA le passage obligé des compagnies artistiques africaines qui aspirent au grand large.
Festivals : organisation boiteuse
Comme la quasi-totalité des structures culturelles privées africaines, la plupart des festivals, tant locaux qu’internationaux, naissent de la passion de quelques artistes et de leur désir à trouver des solutions à leurs multiples problèmes. L’implication des gouvernements africains dans l’action artistique et culturelle se résumant encore très souvent à  » l’important  » soutien moral, les moyens matériels et financiers proviennent presque toujours de l’extérieur et sont toujours destinés au déplacement des artistes étrangers. En effet, l’aide à la circulation des artistes du Sud se résume, dans pratiquement tous les programmes d’appui à l’action artistique et culturelle, à la prise en charge des billets d’avion et des autres charges liées aux voyages des compagnies artistiques
Cette importante aide à l’organisation de festival étant bien plus facile à obtenir qu’un appui pour l’aménagement d’un espace, les festivals se sont multipliés. Malheureusement, cette aide n’a pas intégré la formation des promoteurs de festivals et du personnel à associer à l’organisation des manifestations culturelles. Ce petit manque d’apparence anodine est aujourd’hui à l’origine de la partie de colin-maillard qui se joue dans l’organisation des festivals africains.
Tous les responsables de festivals, les RETIC y compris, partagent les mêmes arguments pour justifier les graves  » petits  » problèmes qui jalonnent leur manifestation : arrivée tardive des financements, absence de compétences, soutien local insuffisant, indifférence des pouvoirs public et des sponsors….
Créées il y a 11 ans sur l’initiative d’Ambroise Mbia, président du bureau camerounais de l’Institut international du théâtre, les RETIC sont devenues au fil des ans l’un des événements artistiques africains les plus courus par les compagnies théâtrales et les opérateurs culturels africains. Contrairement à ce qu’on pourrait attendre, ce sont en des termes pas toujours élogieux qu’on parle de l’organisation du festival. Les griefs portés au RETIC sont en effet très nombreux et ne relèvent pas toujours de l’absence de moyens. Nombreux sont ceux qui trouvent très approximative la coordination de la logistique, ce qui engendre de nombreux désagréments : retards dans le transport et dans la restauration, absence d’équipes dans les aéroports pour l’accueil des invités, absence de public dans les salles, mauvaise circulation de l’information entre les équipes du festival.
Paradoxalement, les conséquences des imprévisions des organisateurs et même l’improbabilité de toucher son cachet ne sont plus des arguments qui empêcheraient une troupe de se rendre à un festival. Les maux dont souffrent les festivals africains ne sont-ils pas connus de tous ? Les galères des troupes commencent bien plus loin et sont si nombreuses qu’en recevant une invitation, on évite surtout de penser aux aléas de l’organisation.
L’invitation, sésame pour la gloire
Chez la plupart des troupes théâtrales africaines, l’habitude de la précarité a fini par transformer les grands obstacles en petits écueils qu’ils arrivent à traverser avec les moyens du bord. L’importance des sacrifices dans le processus de développement des compagnies est telle qu’on arrive à produire en prenant soin de ramener tous les besoins de production au minimum. Ainsi, faute de scène, la diffusion ne va pas s’encombrer de choix. Seule compte l’invitation.
L’invitation, une petite lettre évoquant le  » plaisir  » des organisateurs d’un quelconque festival à recevoir la troupe, précisant que la prise en charge du transport et du séjour sera assurée par l’organisation, qui confirme à la troupe le versement d’un cachet presque toujours forfaitaire pour l’ensemble des représentations et signale néanmoins que le contrat sera signé sur place…
Cette invitation est pour la grande majorité des troupes africaines une preuve de reconnaissance et la récompense d’un travail de création intimement lié à la galère qu’impose l’absence de tout. Depuis la production en effet, chaque membre de la troupe s’est débrouillé comme il le pouvait pour rejoindre le lieu de répétition pour un travail de création qui n’est généralement pas rémunéré. La création des décors, des accessoires de scène et des costumes est soumise à l’épaisseur de la bourse du metteur en scène, principal financier de la plupart des productions théâtrales en Afrique. Les outils de promotion (dossier de presse, photos, vidéo) ont été réalisés à la hâte, comme toujours, à la demande de l’organisateur.
L’invitation, c’est aussi le plaisir du voyage, des rencontres et l’indispensable dépaysement qui permet souvent de revenir relancer la machine avec la force des nouvelles idées, la garantie du soutien potentiel des nouveaux amis et tous ces mirages qui entretiennent la passion.
L’invitation, c’est enfin la possibilité d’obtenir d’autres contrats pour d’autres scènes africaines et surtout européennes. Monter sur les planches européennes est certainement le rêve partagé par tous. Là-bas au moins, on est certain que l’organisation et les conditions de production seront parfaites et le cachet (souvent minable là-bas mais toujours important en monnaie africaine) sera versé aux conditions définies. Seulement, à l’exception des vieux briscards et de quelques veinards, la réalisation de ce rêve passe d’abord par les scènes africaines. C’est en effet au fil des représentations sur le continent que les troupes, qui aujourd’hui traversent assez souvent l’Atlantique, ont commencé à se construire leur réseau de relations. Un atout indispensable pour faire la traversée.
Y a-t-il des acheteurs dans la salle ?
Ainsi, pour une compagnie théâtrale africaine, l’importance d’un festival ne s’évaluera pas aux retards des repas et des cars de transport, à la nuit passée à l’aéroport, aux changements quotidiens du programme ou à la maigreur du public assistant aux spectacles. Si les  » acheteurs  » sont dans la salle, tout va bien. Si des contrats peuvent suivre, on aura participé au plus grand festival jamais organisé en Afrique. Le mérite des RETIC est certainement de réunir à chaque édition des dizaines de directeur de festivals, de programmateurs, de responsables de lieux de diffusion, des responsables des institutions internationales qui soutiennent la création artistique africaine et des personnalités africaines et européennes du spectacle en général et du théâtre en particulier.
En effet, depuis sa création, chaque édition des RETIC a offert à plusieurs artistes et à autant de jeunes opérateurs culturels africains l’opportunité de rencontrer des responsables des institutions qui soutiennent l’action artistique en Afrique, des directeurs et programmateurs des plus prestigieux festivals d’Afrique et d’Europe ainsi que des journalistes de la presse internationale.
Certaines de ces personnalités ont trouvé sur les RETIC des spectacles qu’ils ont diffusés chez eux ou proposés ailleurs, des projets de création et de diffusion ont été soutenus, des initiatives associant des opérateurs et des artistes de différents pays se sont réalisées. La promotion aidant, l’aboutissement de ces différents projets qui auront pris forme autour des RETIC a contribué à faire rayonner davantage le festival mais aussi à amener les observateurs à poser un regard toujours plus critique sur son organisation.
Ce regard critique qu’on pose sur les RETIC l’est encore davantage au Cameroun et s’exprime par une très mauvaise publicité que les artistes locaux font au festival ou simplement par une indifférence que certaines compagnies locales manifestent vis-à-vis des RETIC. Si les raisons évoquées sont multiples et pas toujours justifiées, la hargne à fustiger la manifestation est la même. Les organisateurs du festival justifient quant à eux cette attitude des compagnies locales par l’incapacité de ces troupes à proposer des créations qui satisfont les exigences de la programmation des RETIC.
L’importance des RETIC dans l’environnement artistique africain mérite que ses organisateurs s’attardent un tant soit peu sur les critiques liées à son organisation. Il est évident que la participation des gros bonnets du théâtre international dépend aussi de l’aura du patron du festival qu’est Ambroise Mbia. Mais  » Le Vieux « , comme on l’appelle affectueusement dans les milieux du spectacle africain, ne vivra pas éternellement et le plus grand bonheur qu’on puisse lui souhaiter serait que les RETIC lui survivent et perpétuent ainsi son action pour le théâtre africain.

///Article N° : 3513

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