Mahamat-Saleh Haroun face à la presse tchadienne : « Rien de grand ne s’obtient sans passion »

Propos recueillis par Patrick Ndiltah

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Après que son film Un homme qui crie ait obtenu le prix du jury au dernier festival de Cannes, le cinéaste tchadien Mahamat-Saleh Haroun a répondu aux questions de la presse tchadienne le 4 juin 2010, une rencontre dont on trouve ici la transcription. Le film sort sur les écrans français le 29 septembre 2010.

Ngarsadjim Ngamnadji (Télé Tchad) : Mahamat Saleh Haroun, vous avez suivi la revue nationale de presse par rapport à votre film. Quelle est votre réaction ?
Mahamat-Saleh Haroun : J’aime bien l’éditorial de N’Djaména Bi-hebdo : de la distance, ce qu’il faut de recul, un regard assez juste me semble-t-il pour se moquer de nous-mêmes et d’une récupération par nous-mêmes.
N.N. : N’Djaména Bi-hebdo dit que nous avons exporté notre folie meurtrière à Cannes. Qu’est-ce qui vous a réellement inspiré ?
M.S.H : Ce qui m’inspire, ce sont les Tchadiens. Ce sont les gens que je connais. C’est la réalité, l’environnement ici. Cette guerre qui m’a chassé de chez moi. C’est cette guerre qui a fait de moi une victime dans les années 79-80 pour fuir N’Djaména parce que j’étais blessé. Il a fallu qu’on me transporte dans une brouette comme si j’étais un sac d’oignons. C’est toutes ces choses-là qui continuent. Ce sont ces guerres interminables qui m’inspirent et j’essaie de parler des hommes et des femmes qui subissent en silence cette tragédie depuis plus de quatre décennies. En 2006, lorsque nous tournions Daratt, les rebelles sont entrés en ville. C’était le 13 avril 2006… Et puis en février 2008, en train de tourner un court métrage, les rebelles étaient aussi venus en ville. Cette situation de se sentir prisonnier de quelque chose qui semble nous dépasser, c’est un peu ça qui m’inspire et qui me donne des histoires qui me permettent de raconter.
N.N : Selon les informations que nous détenons, vous n’avez pas présenté dans votre film de scènes de combat. C’est juste la radio qui annonce les nouvelles du front. Pourquoi ?
M.S.H.
: Absolument. Vous savez, tout le monde a vu les films de guerre. On sait ce que c’est et moi, en tant qu’artisan, en tant que quelqu’un qui s’inscrit dans l’histoire du cinéma, j’en tiens compte. Est-ce que je peux tourner des scènes qui seraient assez mémorables pour surpasser ce qui a été fait avant moi ? Non, je n’en ai pas les moyens. Et je me suis dit qu’il ne fallait pas représenter la guerre parce qu’alors, on fait des guerriers des héros. Moi je ne veux pas en faire des héros : ce sont des Tchadiens qui tuent d’autres Tchadiens. Il n’y a pas quelque chose d’héroïque là-dedans, me semble-t-il. Et l’autre chose, c’est de privilégier le point de vue de ce que j’appelle « les pris au piège » de cette guerre : les gens comme vous et moi qui, à un moment donné, ont dû se terrer dans leur maison et qui n’ont de nouvelles que parce que les voisins leur disent que la radio a été attaquée, que tel endroit a été attaqué, et qui écoutent la radio en permanence. Donc c’est ça que j’ai voulu retranscrire : le point de vue de ceux qui vivent cette guerre et cette souffrance en tant que civils.
N.N. : Vous présentez la hantise de la guerre que vivent les Tchadiens au quotidien. Est-ce qu’à ce niveau-là on ne peut pas dire que votre film est une contribution pour la restauration d’une paix définitive au Tchad ?
M.S.H.
: Absolument. C’est ce que j’essaie de faire à travers mes films. Vous vous souvenez peut-être de la dernière scène dans le désert de Daratt où le gamin rompt le cycle de la vengeance. Sans paix, il n’y a pas d’avenir possible. Je considère mon cinéma et mes films comme des bougies. Imaginez qu’on soit dans un tunnel. Imaginez qu’ici tout soit noir et mes films sont tout simplement des bougies que j’allume et que je pose pour éclairer la pièce. Voilà ce que je fais modestement.
N.N. : Les Tchadiens nous apostrophent : ils nous demandent la valeur pécuniaire du prix que vous avez gagné à Cannes !
M.S.H.
: (Riant) C’est quand même incroyable : il y a une formidable misère dans la rue et tout le monde s’intéresse à ce que j’ai touché ! Mais malheureusement on ne fait pas les choses pour l’argent, et il faut que les gens le comprennent. On le fait tout simplement pour l’Histoire. C’est-à-dire que ce qui est le plus important, c’est qu’il y a juste un bout de papier qui vaut pour moi des milliards et qui est écrit par la main d’une petite secrétaire : « Un homme qui crie a reçu le prix du jury« . Je vais l’encadrer et le mettre dans mon salon, c’est tout ! Mais il n’y a pas d’argent du tout. Même la palme d’or ne reçoit rien du tout parce que, vous savez, Cannes c’est vraiment la plus haute marche en matière de cinéma et ça a valeur historique. Ça n’a pas de valeur pécuniaire. Ce qui est le plus important, c’est que dans quelques années, ce film sera peut-être enseigné au Japon ou en Australie à des étudiants en cinéma. C’est quand même beaucoup plus important que de gagner de l’argent.
N.N. : Est-ce que ça ne vous ouvre pas la voie à vos projets, aux financements de vos prochains films ?
M.S.H.
: Sans doute. Daratt avait eu le prix spécial du jury à Venise, qui est le deuxième plus grand festival après Cannes. Cela avait un peu facilité la mise en production de ce nouveau film. Cela va sans doute m’ouvrir des portes. Mais vous savez, je préférerais que les gens me jugent non sur ce que j’ai fait mais sur la qualité des projets à venir. Je voudrais faire chaque film comme si c’était le premier. Je pense que c’est ça que je vais garder pour être aux aguets et puis continuer à faire mon travail comme je l’entends, avec un peu de passion et beaucoup de force.
Nara Antoloum (FM Liberté) : Vous êtes primé à Venise puis à Cannes alors qu’ici au Tchad, le septième art ne s’est pas implanté. Comment entendez-vous faire pour que les jeunes qui aspirent à ce domaine soient bien encadrés ?
M.S.H.
: Oui, c’est une grande question. Vous savez, souvent en Afrique, on donne beaucoup de responsabilité comme ça aux artistes. Il y a une faillite des Etats et à chaque fois on dit aux artistes d’essayer de remplacer l’Etat dans ses défaillances. Ce n’est pas à moi de créer un cadre, un environnement favorable pour que les gens puissent s’épanouir dans leur art. C’est à l’Etat de le faire. On parle de mettre en place un fonds d’aide à la création cinématographique, c’est une très bonne chose. Ce serait à l’Etat d’accorder des bourses à des jeunes, pour aller étudier le cinéma et revenir essayer de raconter notre pays. Et d’essayer de porter haut les couleurs du Tchad. Moi, ce que je peux faire, c’est de prendre certains et de les former sur le tas. Ça fait quatorze ans que je fais des films ici. J’ai pu constituer un noyau dur qui m’accompagne depuis très longtemps, et qui sans avoir fait une école de cinéma, arrive à avoir les réflexes du métier. C’est tout ce que je peux faire humblement. Je ne peux pas faire plus que ça. J’espère que ce prix à Cannes me fera entendre de plus en plus des autorités pour les accompagner peut-être dans la création d’un cadre pour que les prétendants au septième art puissent s’épanouir et arrivent à une qualité qui leur permette de se faire entendre un jour sur la scène internationale.
N.A. : Avec ce sacre, peut-on parler du début de l’existence du cinéma tchadien ?
M.S.H.
: (Rire). Je ne sais pas si on peut parler de l’existence d’un cinéma tchadien. Vous savez que même parler d’un cinéma africain, c’est très compliqué. Je suis un peu l’arbre qui cache la forêt. Il faudrait des techniciens tchadiens, des financements tchadiens, un circuit de diffusion de nos films.
N.A. : Mais il y a quand même une identité…
M.S.H.
: Absolument. Mais un cinéma n’est pas porté par une personne, il est porté par tout un pays.
Ngarsadjim Ngamnadji : Quel état des lieux dresseriez-vous ?
M.S.H.
: Edouard Sailly a fait des choses dans les années 60. Mais je n’ai pas eu l’opportunité ni la chance de voir ses films. Les choses n’existent que parce que vous les avez vues… Sinon, il y a Issa Serge Coelo, Zara Mahamat Yacoub qui a fait des documentaires remarquables, et Bénélim, qui a fait de films assez remarquables. Nous ne sommes pas très nombreux, en dehors de la production télévisuelle où on se moque des accents des uns et des autres…
N.N. : Vous avez appelé cela de la rigolade locale, alors vous réitérez cela ?
M.S.H.
: Absolument oui. C’est bien que cela existe parce que les Tchadiens ont envie de le voir. Mais les Tchadiens ont besoin aussi d’avoir par exemple une équipe de football qui, un jour, puisse gagner la Coupe d’Afrique des Nations. En cinéma, il faut aussi rêver de conquérir le monde.
Nara Antoloum : Vous êtes journaliste de formation mais aujourd’hui vous excellez dans le domaine du cinéma. Pourquoi ce revirement ?
M.S.H.
: Non ce n’est pas un revirement. En réalité j’ai fait d’abord des études de cinéma mais je n’arrivais pas à monter des projets. Je me suis demandé comment faire pour ne pas, en France, faire un travail subalterne du genre serveur dans un bar ou gardien de nuit. Ce que la plupart des étudiants font. Comme j’écrivais pas mal de nouvelles, je me suis dit que je pouvais peut-être vivre de ma plume et j’ai passé le concours de l’école de journalisme de Bordeaux où j’ai été reçu. J’ai travaillé pendant quelques années tout en continuant à écrire des scénarios. Et un jour, quand j’ai eu un premier financement pour mon premier court métrage, j’ai démissionné et je suis reparti vers mes premiers amours. Le journalisme a été alimentaire pour moi.
Ngarsadjim Ngamnadji : Ce qui signifie que ceux qui sont dans le journalisme galèrent alors ?
M.S.H.
: (Riant) Non, non. Non, pas du tout. Non. J’ai beaucoup de respect pour les journalistes.
Nara Antoloum : Vos films évoquent dans leur contenu les souffrances, les malheurs des Tchadiens. Ils présentent une image pas du tout gaie de notre pays. Pensez-vous que c’est cela qui a poussé le jury à vous décerner ces prix ou bien leur qualité technique ?
M.S.H.
: Non, il n’y a pas de misérabilisme. Je vous laisse cette possibilité d’accuser l’Europe d’aimer voir la souffrance des Africains. Mais Daratt a été primé au Fespaco… Mais vous me posez une question qui ne me revient pas : elle est plutôt destinée au jury. Je peux vous dire que ce que j’ai mis dans le film, de l’amour, de la dignité. Je filme tous les Tchadiens avec beaucoup de dignité comme ils sont pour la plupart dans la vie et j’ai fait ce film avec une grande exigence et une grammaire qui est assez orthodoxe tout en essayant de l’abâtardir par moments, en lui apportant une forme un peu humaine. Donc j’espère que ce n’est pas parce que ça parle de souffrance que ces films sont primés.
Ngarsadjim Ngamnadji : Il y a une constance dans vos films : vous parlez soit de la guerre soit de la relation père-fils. Pourquoi ?
M.S.H.
: Vous savez, c’est le propre des auteurs d’avoir une thématique. Il y a même ceux qui disent qu’ils font toujours la même œuvre, à chaque fois sous un autre angle. Mes trois derniers films forment une trilogie : Abouna, Daratt et Un homme qui crie. Je vais maintenant passer à autre chose avec African fiasco qui est un thriller qui se passe entre Paris, Maputo et Dakar.
Nara Antoloum : Au moment du tournage, avez-vous eu le soutien ou du moins l’appui des autorités tchadiennes ?
M.S.H.
: Hélas non. Je constate depuis 14 ans que j’ai généralement offert de manière gracieuse tous mes films à la télévision tchadienne. Pour ce dernier film, j’ai fait des demandes, j’ai frappé à certaines portes. Le silence était une forme de réponse. Donc je n’ai pas eu de soutien. J’ai eu seulement le soutien du ministère de la culture en matériel. On a eu un véhicule qui nous a beaucoup aidé. Je ne suis pas fier de cette situation. Je me considère comme un mendiant qui tends la main pour essayer de parler du pays. Avec le cinéma, les gens découvrent le Tchad à travers le monde. Moi, je peux me débrouiller, mais il faudrait aider les jeunes et les accompagner.
N.A. : A vous entendre parler, vous ne vous sentez pas très bien dans cette veste de porte-parole du cinéma africain.
M.S.H.
: Non. C’est comme être l’aîné d’une famille. On ne l’a pas demandé et à un moment donné, il faut juste s’occuper de ceux qui viennent après. C’est un devoir, il faut l’assumer. Donc je n’ai pas demandé à être l’ambassadeur de toute l’Afrique. J’estime que la veste est trop grande. Je ne voudrais pas qu’on pense que je représente les Africains, qui sont divers et variés. Mais j’ai toujours pensé dans mon travail qu’il fallait aller le plus loin possible. En tant que cinéaste tchadien, je me sens comme quelqu’un qui n’a pas de famille, puisque je n’ai pas de soutien. Alors je cherche à créer ma propre famille et je tape le plus loin possible pour essayer de la trouver. Il faut que j’arrive à ce niveau-là pour que mon travail soit reconnu et que l’histoire me reconnaisse, à défaut d’un pays qui me soutienne. Je suis une sorte de self-made-man : j’ai travaillé pour payer mes études, et j’ai travaillé de nuit, j’ai fait tous les boulots possibles. Il a fallu manger les cacahuètes pour résister comme on me l’a appris ici quand j’étais petit, c’est comme ça que je me suis bâti.
N.A. : Quel a été votre sentiment lorsque vous avez appris que votre film a été retenu pour la compétition de Cannes et quand vous avez appris que le jury vous a attribué un prix ?
M.S.H.
: Ecoutez, c’était une grande joie quand on m’a téléphoné pour me dire que le film était pris en compétition. Parce que cela faisait treize ans quand même qu’il n’y avait pas eu de film d’Afrique noire en compétition à Cannes. Vous savez, il y a eu de grands cinéastes dans le monde. Tout a été fait. Donc quand on commence aujourd’hui à vouloir faire des films, il faut connaître l’histoire du cinéma et se demander ce qu’on peut apporter de plus. Il faut formellement que j’apporte quelque chose sinon c’est de la vanité. Et puis il fallait mettre fin à cette invisibilité de l’Afrique. J’en avais rêvé depuis longtemps et quand on m’a dit ça, j’étais très content non seulement pour moi, pour le Tchad, pour les Tchadiens qui travaillent avec moi, pour les comédiens extraordinaires qui sont ici. Je pense notamment à Youssouf Djaoro qui porte le film totalement. Cela m’a fait un grand plaisir que le travail parti d’ici soit mis en confrontation avec ceux qui sont excellents en matière de cinéma dans le monde.
Ngarsadjim Ngamnadji : Vous avez dit que vous avez l’ambition de ramener l’Afrique dans l’humanité alors est-ce qu’avec ce film, avec ce prix vous avez le sentiment d’avoir fait un pas dans ce sens ?
M.S.H.
: Oui, mais il y a d’autres pas à faire encore. Il faut travailler. Ce n’est rien du tout. Le risque par ici c’est que très vite on a des gens qui ont la tête qui touche le plafond et quand votre tête touche le plafond, ça veut dire que vous ne pouvez plus aller nulle part. Moi je pense toujours à ce livre de Joseph Brahim Seid « Au Tchad sous les étoiles« . Donc je suis sous les étoiles et je veux atteindre les étoiles. Juste ça, c’est un beau rêve. C’est très long mais il faut aller le plus loin possible. Il y a la mort qui, à un moment donné va nous arrêter. Mais il faut aller le plus loin possible tant qu’on est vivant. Quant au prix, très franchement, après la projection du film à Cannes dans cette salle des projections officielles, pleine de 3 000 personnes, il y a eu 15 minutes de standing ovation. Des gens debout qui applaudissaient les comédiens qui se sont mis à pleurer. A partir de ce moment-là, les rumeurs sur la Croisette nous attribuaient un prix. Le magazine américain Screen classait le film comme 4ème sur les 19 pour avoir la palme d’or. Du coup, on était convaincu qu’on allait avoir un prix. Donc, quand on m’a appelé pour me le dire, ce n’était pas une surprise, mais vous savez, on vous dit que vous avez un prix mais vous ne savez pas lequel !
Nara Antoloum : Vous n’avez pas reçu de financement du gouvernement tchadien pour la réalisation de votre film mais le ministre de la culture a monté les marches à Cannes avec vous. Le gouvernement se retrouve dans la cour du moissonneur qui récolte là où il n’a pas semé. Pensez-vous que cela changera pour le prochain film ?
M.S.H.
: C’est une question adressée au gouvernement, pas à moi. Moi, je vais continuer à faire des films. Quand je réunis un budget, je viens ici, je prends les Tchadiens, je paie les Tchadiens, je dépense au Tchad. Je le fais dans un acte d’amour, pas de patriotisme parce que ce mot peut être connoté. Donc je vais continuer à le faire. Maintenant, si le gouvernement, si les autorités ici décident de créer un fonds pour aider le cinéma, tant mieux. Sinon, moi, j’ai toujours fait sans eux et je vais continuer à le faire.
Ngarsadjim Ngamnadji : Comment appréciez-vous la venue du ministre de la Culture qui s’est déplacé de N’Djaména pour aller à Cannes et suivre la projection de votre film ?
M.S.H.
: Ça m’a fait un grand plaisir. Vous savez, j’ai dit à la presse internationale être fier ne pas être seul, que cette famille soit apparue. J’ai donné un coup qui a fait que tout le monde s’est réveillé et même les morts. A la fin de la projection officielle, j’ai vu le ministre au bout de la rangée et je suis allé le saluer. On s’est embrassés et j’étais fier d’avoir mon ministre.
Ngarsadjim Ngamnadji : Avant votre consécration, vous n’étiez pas très connu dans votre pays…
M.S.H.
: Oui, car vous n’accordez pas beaucoup de place à la chose culturelle : vous vous consacrez plus à la chose politique. La balle est plus dans votre camp. Il suffit d’accorder de place à la culture et vous verrez que les gens me connaîtront un peu plus !
Serge Abou Ouambi (Journal La Voix) : Quel genre de films préférez-vous aujourd’hui ?
M.S.H.
: Quand j’étais petit à Abéché, j’allais voir les films qu’il y avait. C’était soit westerns qu’on appelle les films de cow-boys ou les films hindous. Aujourd’hui, je suis plus intéressé par un certain cinéma asiatique de l’Extrême Orient, Japon, Corée, et l’Iran, avec quelques cinéastes que j’aime beaucoup. Mais aussi quelques cinéastes français comme Bresson que j’aime beaucoup pour sa radicalité, pour la simplicité avec laquelle il raconte ses histoires, pour l’absence d’ornement comme il disait à l’époque. C’est-à-dire des histoires sans fioritures comme si on écrivait les choses avec des phrases toutes simples : sujet, verbe, complément.
S.A.O. : Quels sont vos maîtres ?
M.S.H.
: Je parlais de Bresson, ce qui veut dire aller vers quelque chose de très dépouillé. Vous savez quand vous enlevez tout, les musiques et tout ça, vous allez à l’essentiel. En fait, on travaille sur un fil très tendu et il n’y a pas d’artifice. Je me réfère aussi aux Japonais Kurosawa et Kitano, à l’Iranien Kiarostami et au Chinois Hou Hsiao Hsien.
S.A.O. : Quels peuvent être les projets africains de Mahamat-Saleh Haroun au Tchad ?
M.S.H.
: Il y a une salle de cinéma qui est en rénovation, le Normandie, ce qui est une très bonne chose. Vous savez, il y a des gens qui vivent ici qui ne font rien. Donc le fait de vivre ici ne veut pas dire qu’on porte haut le drapeau du pays. J’essaie de le porter, je le porte dans mon cœur et j’ai un pacte avec ce pays et j’essaie tout en étant ailleurs d’être là. Comme le dirait un ami, « je vis en France mais j’habite au Tchad ».
Augustin Zusanné (N’Djaména Bi-hebdo) : Je voudrais savoir comment vous réalisez techniquement, financièrement vos films ?
M.S.H.
: Un homme qui crie a eu des financements français, belges et de la francophonie. Voilà comment j’ai pu monter la production de ce film. Mais c’est un peu ce que fait tout le monde. Une fois qu’on a terminé un scénario, on essaie de frapper à plusieurs portes et on attend les réponses. Il y a eu des télévisions françaises qui nous ont suivis, et le Centre National du Cinéma. La France est une plaque tournante du cinéma mondial et défend pas mal la diversité. Hier, j’ai appelé ma femme qui est française qui m’a dit que j’avais reçu une lettre de Nicolas Sarkozy pour me féliciter.
Ngarsadjim Ngamnadji : En fait vous avez une double nationalité…
M.S.H
. : Non pas du tout. Je suis résident tchadien en France. Voici ma carte de séjour de 10 ans.
N.N. : Il semblerait également que vous avez une responsabilité dans le cinéma. A ce titre, avez-vous des facilités pour le financement de vos films ?
M.S.H.
: Non. Il n’y a pas de facilité. Un film c’est aussi un produit commercial dans lequel on investit pour gagner de l’argent. Donc on ne vous aide pas parce que vous avez de beaux yeux, mais parce que vous avez un produit. J’ai présidé durant deux ans une commission qui s’appelle le Fonds Sud qui finance les films en projet en provenance d’Afrique, d’Asie et d’Amérique Latine ainsi que de l’Europe de l’Est. Ce Fonds a par exemple financé le film thaïlandais Oncle Bonmee et je suis très content de voir que ce film a eu la Palme d’Or.
N.N. : Ça veut dire que vous êtes assis sur beaucoup d’or et que vous pouvez financer vos films…
M.S.H.
: (Riant) Je suis une poule aux œufs d’or. Non, pas du tout ! Qui sait le nombre de projets qui m’ont été refusés et dont on ne parlera jamais ! Quand le projet est refusé par deux ou trois guichets, je me dis qu’il faut passer à autre chose. Daratt avait été refusé deux fois par la commission de la Francophonie ! Rien n’est acquis et moi je ne voudrais surtout pas dormir sur mes lauriers.
N.N. : Peut-on avoir une idée du circuit de distribution de votre film ?
M.S.H.
: C’est un travail de longue haleine. J’ai un distributeur en France qui vend le film à l’international. Pour l’Afrique, certains pays sont intéressés : Cameroun, Burkina, Gabon, etc.
N.N. : Et sur les écrans tchadiens ?
M.S.H.
: Quand est-ce que le Normandie sera prêt ? Parce que c’est ça la grande question. J’aimerais bien faire l’avant-première là-bas. En tout cas, le film sera présenté ici et les Tchadiens pourront le voir comme ils ont vu tous mes films dans les ciné-clubs pour ceux qui ne peuvent pas aller dans la seule salle, celle du CCF ou l’autre qui est celle de Baba Moustapha.
N.N. : La télévision nationale peut avoir également le privilège de diffuser ce film ?
M.S.H.
: Alors, la télévision nationale, y a un problème parce que vous savez, on n’a pas assez réfléchi aux droits d’auteur. La télévision nationale est sur satellite et du coup, vous diffusez sur d’autres territoires. Il y a conflit d’intérêt. J’en avais parlé avec le précédent ministre de la communication et il était prévu qu’on crypte les émissions pour l’étranger quand les droits ne sont pas acquis pour le monde entier mais seulement pour le Tchad.
Ngarsadjim Ngamnadji : Pourquoi refusez-vous de faire de films de divertissement ?
M.S.H.
: Parce que c’est un luxe, il me semble. Je le laisse aux Américains.

///Article N° : 9711

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© Patrick Ndiltah
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