Mersi de Christine Salem 

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Retour sur le dernier Christine Salem dans les bacs : Mersi (Blue Fanal, 2021). Un hommage à ses ancêtres. Une énergie blues et des envolées de classique pétries aux rythmes du maloya. L’icône réunionnaise y réussi un équilibre entre obscur et lumineux, reflétant une paix intérieure retrouvée.      

L’image de la jaquette présente Christine Salem, l’afro bien taillée, sur fond bleu -référence au blues- assumé avec éclat. Elle lève des yeux mêlant quiétude et reconnaissance, sans quitter cet air grave de Gèryé, si perturbant en elle. Un regard entre passé et présent, résumant bien l’esprit de ce nouvel opus titré en créole : Mersi. L’artiste y rend hommage à ses ancêtres, se nourrissant de leur lumière pleine de mystères. Tout comme l’histoire des migrations à la Réunion, d’ailleurs. Dans le passé, Christine Salem a cherché à saisir les possibles origines de ses aïeux. Des anciens titres tels que Djinn ou Komor Blues reflètent cette quête profonde.

Elle accueille à travers ce nouvel album des émotions spontanées et se laisse habiter. Par les aïeux en question ? On se plait à le croire. En tout cas, Elle leur tend la nappe du kayamb[1] en mouvement dans Izaé et souffle dans son harmonica comme pour nourrir l’esprit blues annoncé. Ses aïeux sont aussi dans Anou, au cœur des mots et dans le galop de ce maloya aux allures de blues survolté. Ils habitent les tessitures graves dans Mersi, donnant davantage de force à sa voix. Christine Salem ne le sait que trop d’ailleurs, choisissant, dans ce titre phare, de s’adresser à eux a cappella : « Ma di mersi bann zansèt la/ Mi gét la limièr momon/ A mi get la zwa/ Dann fénwar mi war mon limièr ». Et comme si la poésie du créole ne suffisait pas à dire son monde, elle invente parfois sa langue, un parler mystique forgé au contact de l’entour : Madagascar, Comores, etc.

Ce nouvel album prolonge un sentiment de paix retrouvée. L’icône du maloya s’entoure de musiciens à même de lui apporter l’harmonie et la douceur souhaitée. Elle confie les arrangements à Anne-Laure Bourget, percussionniste au jeu raffiné, à Sébastien Martel, connu pour ses collaborations infinies, et au chef d’orchestre Frédéric Norel, affectionnant l’idée de dresser des ponts entre les univers. D’ailleurs, le violon de ce dernier sait ici canaliser les envies de transe de Jacky Malbrouck aux roulèr et doum-doum. Sans perdre son virtuose lorsque, inversement, il se laisse emporter. Quant à la guitare de Seb Martel, elle rappelle surtout que l’homme est rompu aux musiques noires américaines. Il est très à l’aise dans les plages blues, sans jamais en faire des caisses. Il sait quand il faut se contenter de simples riffs, en toute douceur.

Credit: Fouad Ahamada Tadjiri

Mersi est aussi un bouquet tendu à la femme, composé de Gèryé, Mama Africa et Tyinbo (tiens bon), qui se veut un hymne au genre. D’autres titres viennent élargir le propos de l’album, comme ce Why War, composé en toute urgence au soir des attentats du 13 novembre 2015, à Paris. Où la voix affectée de Salem se pose sur une guitare aux notes trempées de mélancolie : « Can we live without loving ? ». Question oratoire, évidemment. Elle monte crescendo vers des tonalités plus hautes, hissant au sommet le meilleur de l’humain, à l’heure où l’actualité faisait son focus sur la barbarie : « Make life it’s wonderful / Become a good friend / Become a good Citizen / Become a good President / Become a good politician / All united against war ». Le titre Yala, résonne comme en écho, rappelant la paix fondamentale dans l’islam, histoire de ne pas se tromper d’ennemis. Violon et derbouka s’y mêlent dans le plaisir de l’improvisation.

Ce dernier Christine Salem a été enregistré au Studio Vega. Un lieu au matos légendaire, ayant servi à capter les Rolling Stones et à remettre sur piste des inédits des Beatles. Ensuite, il a été placé entre les mains de Jean Lamoot, qui a travaillé avec des noms tels qu’Alain Baschung ou Salif Keita. Et pour la touche finale, l’objet a atterri au Rumble Sound Studio, où sont passés dernièrement Delgrès, Lo’Jo, et Zenzile, entre autres. Un petit parcours qui a porté ses fruits. Mersi a été consacré « coup de cœur Musiques du monde » par l’Académie Charles Cros. Actuellement en tournée en France, Christine Salem vient de passer au Festival Des Hauts de Garonne, à Floirac (près de Bordeaux), à AfricaJarc et sera à Dijon le 3 octobre 2021, sur la scène du Tribu Festival.

Fouad Ahamada Tadjiri

[1] Kayamb, roulèr et doum-doum sont des instruments joués dans la musique maloya.

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