Depuis 2009, comme les rabatteurs des salons de coiffure de château d’eau, Hélène Jayet foule les trottoirs de ce quartier de paris en quête de modèles pour sa série de portraits ironiquement intitulée Colored Only. en excluant les modèles blancs, la photographe respatialise l’espace public, politique et symbolique et ses color lines.
Au coeur de la démarche de la photographe Hélène Jayet : le cheveu crépu ou frisé, pris dans une grammaire identitaire. « Faire le choix d’une coupe afro s’apparente à faire son coming-out, car le cheveu crépu a été lourdement stigmatisé et marginalisé. c’est presque un acte militant pour certains, qui reste teinté d’un esprit de rébellion lié à l’histoire« , explique-t-elle.
Coulisses
Entre ma yemma et moi, il y a longtemps eu un « chichoir » Babyliss 1500 watts, afin de combattre chaque jour l’excroissance maléfique qui avait poussé sur ma tête : des cheveux frisés et leur équation à zéro inconnue : cheveux frisés = cheum, noyés derrière une foule de lissages japonais et de lissages brésiliens. En 2016, je découvre le travail d’Hélène Jayet grâce à la web série Noire Amérique de Caroline Blache et florent de la tullaye. Chimamanda Ngozi Adichie y décrit un monde divisé par des hair lines résolument politiques. Paul Mooney scande sa punchline : « When you hair is relaxed, white people are relaxed. If your hair is nappy, they’re not happy« . Et Alain Mabanckou se remémore avec nostalgie la coupe afro de sa jeunesse, noyé dans un audacieux décor : des boucles crépues capturées par Hélène Jayet et reproduites à TRÈS GRANDE échelle, au point de remplir l’écran tout entier. Depuis 2013, Hélène Jayet transporte son studio nomade à travers la France et l’Europe. J’ai donc profité de son passage au Marché Noir, boutique vintage parisienne du styliste franco-togolais Amah Ayivi, pour me faire tirer le portrait.
Dignité intemporelle
J’avais cependant sous-estimé la complexité du dispositif. la série Colored Only n’est pas une collection d’images documentaires sur « le cheveu afro ». Dans ce studio, les modèles sont poussés à la performance, à la pose royale et souveraine : « Lève le menton« , ne cesse de répéter Hélène Jayet. Le regard tourné vers la gauche – le sens du passé – les modèles sont photographiés de profil et de trois quarts. Je repense à ces médailles gravées qu’on voit dans les musées, preuves de la permanence d’une certaine histoire les portraits d’Hélène Jayet sont un peu comme ces médailles. Ils fixent un désir de notabilité et d’historicité. Et un regard qui va au-delà de la ligne d’horizon. La parure et l’armure la névrose capillaire, certains trouvent ça très drôle. d’autres n’y voient que le symptôme d’une inquiétante paranoïa. Ce jour-là, au Marché noir, une communauté se rencontre parce que le cheveu crépu ou frisé n’est pas un cheveu neutre. Sinon pourquoi parler de « cheveu lisse » ? « – La langoureuse Asie et la brûlante Afrique / Tout un monde lointain, absent, presque défunt / Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !« . C’est tiré du poème La Chevelure où Charles Baudelaire parle des cheveux de Jeanne Duval, plus connue comme « La Vénus Noire de Baudelaire ». Le cheveu frisé ou crépu n’est jamais neutre. pPendant qu’elle nous photographie, Hélène Jayet collecte patiemment nos histoires et nos secrets non neutres. Le supplément d’âme qu’il y a dans ses portraits vient peut-être de là. Si vous vous posez la question : j’ai vu mes portraits, mes cheveux y sont superbes. Mais mon cou tordu me rend triste, et me rappelle combien j’ai pris l’habitude de baisser la tête.
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