Nigeria : le raz-de-marée de la home video

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Avec 650 films sortis légalement en 2000, le Nigeria, pays de 120 millions d’habitants, est aussi le géant de l’Afrique pour la production de films : la totalité de ces fictions sont tournées en vidéo. Les Nigérians achètent et surtout louent ces histoires proches de leurs préoccupations (famille, sorcellerie, corruption, soif de pouvoir, reconstitutions historiques, sida…). En dépit de sa faible qualité technique, cette production devient une référence sur le continent et s’exporte déjà à travers le monde, notamment par le biais d’Internet.

Comme aiment à le faire remarquer les réalisateurs nigérians, leur pays est l’un des rares au monde, avec les Etats-Unis et l’Inde, à ne consommer que des images produites sur leur sol. Malgré le fait qu’il soit encore relativement méconnu, le cinéma nigérian est l’un des plus prolifiques au monde. Les chiffres du marché de la home video donnent le vertige. Ces trois dernières années, selon la Nigerian Censor Board, la commission chargée de viser ces productions avant qu’elles ne déferlent dans les magnétoscopes de ce pays aux 256 ethnies, 1080 productions vidéo ont ainsi été commercialisées. Produite pour deux millions de nairas (20 000 euros), les fictions sont vendues entre 250 et 300 nairas (2,5 à 3 euros). Un film qui marche peut s’écouler jusqu’à 150 000 copies – sans compter le piratage – et la moindre de ces productions principalement parlées en pidgin (anglais créolisé), en ibo (Sud-Est), yoruba (Sud-Ouest), haoussa (Nord), ou tout simplement sous-titrées en anglais, peut espérer se vendre à 50 000 exemplaires grâce à l’affichage sauvage (street marketing), aux échanges commerciaux avec les chaînes télé et à radio-trottoir, le bouche-à-oreille.
Cette industrie, pourtant encore informelle, aurait ainsi généré pour l’année 2000 un chiffre d’affaires de 64 millions d’euros. Entre trois et quatre mille personnes travaillent aujourd’hui dans l’industrie de la vidéo au Nigeria. La majorité des artisans de la home vidéo se trouve dans la mégapole de Lagos. C’est en effet dans la capitale économique que sont tournés, montés et dupliqués la plupart des films qui seront ensuite vendus principalement aux 15 000 vidéo-clubs du Nigeria.
Kano, avec Lagos et Onitsha, est l’un des trois pôles du cinéma nigérian et les films vidéos tournés en langue haoussa s’exportent dans toute l’Afrique de l’Ouest, et en particulier au Niger où des commerçants se sont spécialisés dans la projection mobile de vidéos. 194 films haoussas ont ainsi été enregistrées en 2000. On dénombre plus de 260 sociétés de production dans le pays. Leur domaine de compétence est variable : productions institutionnelles, clips, spots publicitaires et surtout films de fiction. La plupart des sociétés de production n’emploient souvent que quelques salariés, des intermittents étant recrutés pour les tournages. On dénombre près d’une cinquantaine de distributeurs qui organisent la sortie des films et effectuent leur duplication. Ils adhèrent à la Nigerian Film and Video Marketers Association (NFVMA). Le Nigeria, qui manque toujours de visibilité à l’extérieur, est en train de rattraper également son retard sur les parrains du Sud : Bollywood à Bombay et la production cinématographique d’Hong-Kong. A Lagos City, on tourne dans l’anarchie la plus totale, en des temps record, et dans des conditions techniques extrêmement précaires, mais avec une énergie vitale et un syncrétisme visionnaire qui pourraient bien un jour perturber le business des studios hollywoodiens.
Dans ce raz-de-marée d’images de qualité très inégale, on assiste actuellement à l’émergence d’une nouvelle vague de réalisateurs, tels Amakwa Igwe et Taco Benson, Tunde Kelani et Zeb Ejiro, de plus en plus soucieux de la qualité de leur écriture cinématographique. La vitalité de la home video reflète ainsi l’incroyable énergie de cette économie informelle qu’est le cinéma nigérian : une nouvelle industrie qui fait figure d’exemple dans le marasme de la production d’images sur le continent africain, Afrique du Sud mise à part. Alors qu’on constate régulièrement l’indigence du cinéma africain et son manque d’ambition économique, certains réalisateurs nigérians, comme Tunde Kelani, sous-titrent et doublent déjà leurs films en français afin de conquérir le marché de l’Afrique de l’Ouest.
Les films africains francophones, souvent mal subventionnés, sont toujours peu diffusés sur les médias occidentaux et inexistants pour le public africain (déliquescence des salles de cinéma, absence des télévisions nationales). Ne faudrait-il pas repenser de nouvelles structures mieux adaptées (co-productions, moyens de diffusion, distribution, formation de techniciens, etc…) ? Il serait temps aussi que nombre de cinéastes africains se réveillent, réfléchissent à la réalité du marché économique de l’image, cessent de compter uniquement sur des subventions et de rêver au tapis rouge du Festival de Cannes.

///Article N° : 2076

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