Le second volume des uvres complètes de Rabearivelo tient au moins autant du miracle et de l’aventure que du travail de la critique littéraire. C’est qu’il aura fallu attendre soixante-dix ans après le suicide du poète malgache et l’année de la publication du premier volume (2010) pour que soit redécouverte dans sa famille une malle contenant quantité de documents oubliés par tous. Une équipe d’une dizaine de chercheurs, français et malgaches, coordonnée par Serge Meitinger et Claire Riffard, a travaillé au dépouillement, au classement et à l’analyse de ces milliers de feuillets, carnets, cahiers, manuscrits, tapuscrits désormais déposés dans un lieu protégé à l’Institut français d’Antananarivo. Ce volume monumental (1789 pages ; 2,2 kg) est donc un océan sur lequel maintes traversées peuvent être envisagées. Alors que le premier volume présentait le journal intime de Rabearivelo (Les Calepins bleus), celui-ci présente successivement l’uvre poétique, les romans, le théâtre, les articles parus dans les innombrables revues auxquelles il collaborait, les compte-rendus de livres, les articles plus théoriques sur la littérature, les traductions, enfin les essais historiques demeurés inédits et insoupçonnés. Seule la très abondante (disons » frénétique « ) correspondance, par nature dispersée, échappe désormais à cette énumération. C’est dire que le lecteur habitué à classer Rabearivelo parmi les poètes demeure étourdi devant les signes de cette prodigieuse activité. Chaque partie, placée sous la responsabilité d’un chercheur, est organisée selon la même méthode avec une introduction qui replace l’uvre dans son contexte, la bibliographie des notes, le dossier génétique qui décrit l’état des documents. Les textes eux-mêmes sont annotés, les variantes mises en bas de pages, les textes en malgache traduits en français. En fin de volume figurent des récapitulatifs indispensables : un inventaire précis et complet des publications de Rabearivelo (en particulier ses articles éparpillés dans divers pays dans des revues le plus souvent disparues), une bibliographie secondaire (mais ne citant que des travaux en français) et un immense dictionnaire des noms de lieux et de personnes cités par ce lecteur avide de tout et citant tout le monde. Autant dire que cet ouvrage va permettre d’ouvrir des chantiers pendant des années car chacun découvre un Rabearivelo inédit, l’uvre protéiforme d’un petit homme socialement marginalisé mais géant intellectuellement, mort à 35 ans ayant voulu embrasser tous les domaines, entrer en contact avec tous les acteurs de son temps, tout comprendre, tout juger, tout dévorer. Cette matière immense l’a englouti. Ce volume et les mille pages qui seront présentées sur un support numérique le ressuscitent.
Rabearivelo (Jean-Joseph), uvres complètes, Tome II : Le poète – Le narrateur – Le dramaturge – Le critique – Le passeur de langues – L’historien, Paris, CNRS/ITEM/AUF, coll. Planète Libre, 2012, 1800 p.///Article N° : 10868