« On ne pourra plus écrire l’Histoire de l’Afrique comme avant »

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L’Institut du monde arabe (IMA) fête ses 30 ans cet automne. établissement culturel né sous l’impulsion des dirigeants politiques français et de la Ligue arabe(1), il entend toujours tisser des liens entre l’Europe et le monde arabe. Rencontre avec son Président depuis 2013, Jack Lang, ancien ministre socialiste de la Culture et de l’éducation.

Afriscope. Si vous deviez choisir cinq temps forts de l’histoire de l’IMA, quels seraient-ils ?
Jack Lang. L’âge d’or des sciences arabes (2005-2006) était une exposition absolument remarquable, merveilleusement scénographiée sur ce que le monde arabe a apporté aux mathématiques, aux sciences et à la connaissance. Je pense aussi à l’exposition sur Oum Kalsoum (2008), grande voix arabe, diva absolue.
Et parmi celles que nous avons organisées, je retiendrais l’exposition Hajj, le pèlerinage à la Mecque, en 2014. Celle sur le Maroc contemporain aussi. Une exposition audacieuse et réussie, où nous avons dédié la totalité de l’immeuble de l’IMA à l’art contemporain d’un pays. Ce n’était pas gagné d’avance. Jardins d’Orient (2016) fut aussi un moment heureux.

Vous avez initié un dialogue avec l’Afrique subsaharienne, avec entre autres, cette année, l’exposition Trésors de l’islam en Afrique et la carte blanche à l’écrivain Alain Mabanckou. Sous quelle impulsion et vers quelle(s) Afrique (s) ?
Toutes les Afriques. Le monde arabe et les cultures, ou les spiritualités, qu’il recèle ou abrite ne doivent pas être enfermées dans les frontières des seuls pays arabes. Elles sont présentes dans le monde entier. J’ai souhaité qu’on ouvre les portes vers d’autres continents et civilisations. L’Afrique en particulier. L’exposition Trésors de l’islam en Afrique [N.D.L.R. : d’avril à juillet 2017] a été une belle démonstration de cette interaction entre l’islam et les traditions culturelles africaines. Ça allait de l’Ethiopie au Sénégal, de Zanzibar au Mali, de l’égypte au Cameroun. Ce fut pour beaucoup de visiteurs une découverte et une remise en cause de l’histoire coloniale traditionnelle. Montrer la présence d’écritures, d’espaces de sciences, d’arts, et aussi la création d’états aux 15 16e siècles ou d’Empires. Cela va à rebours de la vision coloniale qui donnait à penser que l’Afrique était un immense « vide ». L’histoire de l’Afrique est infiniment riche et variée. Et je pense qu’on ne pourra plus écrire l’histoire de l’Afrique comme avant. En septembre, nous poursuivons ce travail avec un grand rendez-vous économique sur les relations Afrique- Méditerranée-France(2). Ma volonté est d’ouvrir très largement les portes aux autres civilisations.

Vous avez qualifié l’IMA de sorte de « soft power »(3). Vous êtes nommé par le président de la République française et participez à certains déplacements diplomatiques. Quel est finalement le rôle de l’IMA ? Un « think tank culturel » ?
« Soft power », c’est exagéré. L’Institut du monde arabe est un lieu de rencontres. Qu’elles soient économiques, sociétales, culturelles. Nous ne sommes pas un gouvernent ni l’ONU du monde arabe. Disons que le lien culturel peut contribuer à faciliter des liens diplomatiques ou humains avec tel ou tel pays. Le soutien au projet du musée palestinien(4) en est un exemple. L’exposition sur le Maroc contemporain est, elle, apparue – ce n’était pas une
volonté – au moment où existait un refroidissement des relations diplomatiques entre la France et le Maroc. D’une certaine manière, cette présence marocaine forte à l’IMA a contribué à apaiser les choses.

Comment articulez-vous le triple objectif que vous semblez vous être fixé : économie, culture et diplomatie ?
L’Institut du monde arabe, de part son nom, invite toutes les disciplines : les sciences, les technologies, les arts, l’économie, etc. Naturellement au premier chef ce sont les activités liées à la culture. D’ailleurs, en ce domaine, nous avons encore des manques. Etrangement il y avait très peu de poésie à l’IMA. Alors que s’il y a une langue très poétique, c’est bien la langue arabe. Nous avons alors initié une Nuit de la poésie pour commémorer les évènements du 13 novembre 2015. Elle a duré de 19h à 7h du matin. Cela a été un extraordinaire succès, alternant chants et poèmes, en français et en arabe. Nous la rééditons cette année, en novembre. Et elle aura lieu, cette fois, aussi dans plusieurs villes du monde arabe(5).

Dans vos communications, vous réitérez souvent que l’IMA participe à « renouveler le regard sur le monde arabe et ses cultures à rebours des clichés ».
Il s’agit de faire reculer l’ignorance, les préjugés, les clichés sur le monde arabe, sur les pays du Sud en général. Dans cette période où les extrémismes de tout poil, islamiste ou néofasciste, s’attaquent à la culture sous toutes ses formes, il est important que l’IMA soit l’une des institutions de civilités, de respects et qu’elle ouvre ses portes aux cultures sous toutes leurs formes.

Concernant le fonctionnement, quelles sont les relations avec les pays de la Ligue arabe aujourd’hui ?
Ce fut compliqué sans doute par le passé, mais aujourd’hui c’est relativement simple. Les pays de la Ligue arabe sont représentés au sein du conseil d’administration ou du Haut Conseil. Aux côtés de personnalités indépendantes et des représentants des autorités françaises. Mais il n’y a plus aucun financement au fonctionnement des pays arabes. Cette décision a été prise il y a une quinzaine d’années. Et ce, parce que les cotisations des pays arabes arrivaient tardivement ou parfois pas. Et cela créait une dépendance et des déficits. Désormais, les pays arabes versent leurs arriérés à un fond de dotation qui existe toujours. Aujourd’hui, nous fonctionnons avec la subvention du gouvernement français, l’ensemble des recettes de mécénat et celles des droits d’entrées. Il arrive cependant, ponctuellement, que je frappe à la porte de tel pays, soit l’état ou les entreprises, pour financer tel ou tel évènement. Comme je le fais avec les entreprises françaises. Par exemple, pour l’exposition Chrétiens d’Orient nous avons reçu des soutiens de différents donateurs. Pour la restauration des moucharabiehs, l’Arabie Saoudite et le Qatar nous ont donné de l’argent. C’est ponctuel, exceptionnel. Ces pays n’interviennent pas dans le fonctionnement même de l’IMA. Ce qui assure une certaine indépendance.

Pourquoi avoir choisi le rappeur Oxmo Puccino et l’écrivain Tahar Ben Jelloun pour vos cartes blanches de cet automne ?
L’un et l’autre incarnent une vision humaniste et métisse de la culture et de la civilisation. Cela rejoint ma propre vision. L’IMA doit être aussi ce lieu de mixité humaine, sociale et culturelle.

D.R.

A l’aune de ses 30 ans, quels sont les défis de l’IMA ?
Que les cultures arabes soient beaucoup plus présentes dans les centres d’art, dans les universités, dans les écoles. En ce sens, nous nous battons pour la langue arabe. Nous recevons des milliers d’élèves. Nous allons d’ailleurs obtenir que l’IMA puisse délivrer une certification unique au monde pour attester des compétences acquises, à l’image du TOEFL anglais. Et en même temps, il est indispensable que l’enseignement en France assure mieux l’apprentissage de la langue arabe. C’est la 5e langue parlée dans le monde, une langue de civilisation, une langue forte et belle. La France est liée à l’Orient et au monde arabe et la langue arabe doit avoir un statut privilégié.

Les 30 ans de l’IMA : le 29 septembre
L’Institut du monde arabe fête son anniversaire avec une création lumières et sets de DJ le 29 septembre à partir de 20h. Ouverture avec le concert « Mélodies du Darfour » avec le musicien soudanais Omer Ihssas. Et ce, à l’occasion de l’ouverture, le 26 septembre, de l’exposition Un autre Soudan.
Entrée libre,1 rue des Fossés Saint-Bernard, Paris 5e
01 40 51 38 38 / imarabe.org

1. Organisation régionale à statut d’observateur auprès de l’Organisation des Nations unies . Elle compte 22 états membres .
2. Forum Afrique - Monde arabe - France . « Construire un avenir économique commun ». Le 19 septembre 2017.
3. In « L’Institut du monde arabe devient une véritable plateforme business ». Interview de Jac k Lang . Latribune .fr le 21/03/2017.
4. L’IMA a monté , en 2017, l’exposition Pour un musée en Palestine avec une cinquantaine d’oeuvres issues de la collection du futur Musée d’art moderne et contemporain en Palestine .
5. Du 11 au 12 novembre à Paris , Abu Dhabi , Beyrouth

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