Pays réel, pays rêvé : les écrivains antillais et leurs Antilles

Entretien de Boniface Mongo-Mboussa avec Romuald Fonkoua

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Après sa avoir une monumentale thèse de 900 pages sur les Antilles (1990), les articles et conférences de Romuald B. Fonkoua, actuellement maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise, font de lui l’un des spécialistes de la littérature antillaise. Il publiera prochainement un essai sur Édouard Glissant (Présence Africaine) et un ouvrage collectif sur les voyages chez Karthala.

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser à la littérature antillaise ?
Là-dessus, j’ai trois réponses. La première, provocatrice est la suivante : je me suis intéressé à la littérature antillaise parce que je suis issu d’une famille de rois, de princes africains, comme on dit, ou de chefs de village. Je laisse au lecteur le choix. En fait, je soupçonne mes ancêtres d’avoir pratiqué l’esclavage. Donc je paie ma dette. La seconde réponse, qui est peut-être la moins ludique, est que je me suis très tôt posé la question de savoir pourquoi les Africains étaient obligés de ne travailler que sur la littérature africaine. Et très tôt, je me suis tourné vers la littérature antillaise, parce que cela me permettait de faire autre chose, c’est-à-dire de m’intéresser à quelque chose qui est externe à l’Afrique. La troisième raison est que je me suis aperçu en travaillant sur la littérature africaine que les critiques de l’époque proposaient des thèmes qui, au fond, me touchaient très peu : les questions de la tradition, la modernité, la langue, etc.
Vous avez intitulez votre thèse : les écrivains antillais et leurs Antilles. N’est-ce pas un titre assez frustrant ? Quelle a été votre démarche.
Le titre originel était : Pays réel, pays rêvé : les écrivains antillais et leurs Antilles. J’avais trouvé que c’était long, que cela faisait un peu trop glissantien. Comme je ne voulais pas marquer une admiration sans bornes pour son écriture et poser les problèmes que soulève sa pensée, j’ai apocopé. Mais la problématique consistait, peut-être par provocation, à poser la question du rapport des écrivains antillais à leurs pays. Quel rapport les écrivains antillais entretiennent-ils à leur espace natal ? Comparons avec les écrivains africains : les rapports de ces écrivains à leur espace sont simples. La littérature traduit presque toujours une sorte de nationalisme : on aime son pays, comme le montre la poésie ; ou bien elle traduit une exacerbation du nationalisme qui peut conduire à la frustration et à l’exil : on aime tellement son pays qu’on n’admet que personne ne puisse l’aimer plus que nous, ou encore on l’aime tant et si bien qu’on est obligé pour l’exprimer de s’exiler (là-dessus, je pense à un écrivain comme Mongo Beti). Or, aux Antilles françaises francophones, les rapports à la terre natale ne peuvent être exprimés en ces termes-là.
Pourquoi ?
Parce qu’en reconstituant l’histoire, on s’est aperçu que les écrivains antillais entretenaient avec leur espace natal des rapports très complexes, sans doute liés au poids d’une notion qui n’a pas toujours été pris en compte dans les analyses littéraires : l’assimilation. A chaque fois que l’on prononce le mot assimilation, s’y agrègent tout de suite les notions esclavage, colonisation, domination, indépendance ou bien les rapports centre / périphérie.
Le caractère négatif de l’assimilation n’a pas permis d’entreprendre une analyse sociologique de cette notion ni de prendre véritablement la mesure du phénomène dans le domaine littéraire. Car aux Antilles françaises, l’assimilation n’est pas seulement un phénomène d’ordre politique : elle relève aussi du domaine culturel et s’établit au moyen de nombreuses institutions sociales. Sans doute convient-il d’étudier ces dernières pour mieux situer l’influence de l’assimilation sur la littérature. De toutes les institutions sociales antillaises, l’école est le lieu où peuvent être observées au mieux les influences de l’assimilation sur l’évolution sociale et la littérature. A la différence de l’Afrique noire par exemple où l’école fut coloniale et d’une certaine façon africanisée, l’école aux Antilles est française.
Cela représentait donc un avantage par rapport au savoir diffusé en Afrique.
Je ne dis pas que c’est un avantage. Je ne dis même pas que c’est un désavantage. Je fais un simple constat. Ce constat conduit tantôt à penser que les écrivains antillais, alors qu’ils sont nourris de littérature française, reproduisent des textes littéraires typiquement français – ce qui montre bien le décalage qui peut exister entre ces écrivains et leurs propres pays -, tantôt à penser que la littérature qui sera forgée par le biais de l’école conduit à une sorte de refus de domination. De ce point de vue, Césaire représente un cas exemplaire. A partir de cette réflexion autour de l’école, il convenait de rappeler que la problématique du rapport à la société antillaise des écrivains des Antilles se situe non pas dans un contexte extérieur à la société française, mais plutôt interne à celle-ci. Parce que ces écrivains font un parcours scolaire strictement français et qu’en même temps ils appartiennent à une sphère géoculturelle extérieure, ils occupent une position dedans/dehors qui les distingue des écrivains africains d’une part, et européens d’autre part. Que ceux-ci soient d’ailleurs voyageurs écrivains ou écrivains voyageurs. Il ne s’agissait pas de poser le problème en termes d’avantages ou de désavantages mais de dégager de ces aspects institutionnels de l’assimilation les différentes modalités du rapport des écrivains à leur terre dans la littérature.
Quelles sont-elles ?
Il y a une première modalité que je n’ai pas véritablement étudiée, parce que cela avait été fait ailleurs. C’est celle du rapport du dominant au dominé. Dominés par la société européenne à travers l’institution scolaire, un certain nombre d’écrivains antillais se proposent de rendre compte de leur domination. Il y a ensuite une modalité proprement « territorialiste » qui court de Césaire aux écrivains de la créolité en passant par Glissant. Certes, je n’ai pas étudié Césaire en entier, parce que cela avait déjà été fait, ni les écrivains de la créolité, parce qu’à l’époque où je rédigeais ma thèse ils n’avaient pas encore publié les textes que nous connaissons d’eux aujourd’hui. Celui qui, à mes yeux, représentait cette modalité était Édouard Glissant. La dernière modalité est peut-être plus saine, parce que plus détachée de la terre – bien que détachée n’en est pas moins une prise en compte à la fois de l’histoire de la terre, de sa géographie, de sa culture, des relations des hommes à leurs us et coutumes et peut-être d’une certaine façon de ce qui fait les Antilles françaises – c’est Daniel Maximin.

///Article N° : 393

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