PRIM’ART : Quand primitif rime avec mémoire

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Au sein de ce collectif de créateurs camerounais, la notion de primitif -supposée les rassembler,- ne s’accorde pas toujours, partagée entre ethnique, préhistorique et négritude.

L’année 1993 voit naître dans la capitale du Cameroun, un collectif d’une dizaine de plasticiens baptisé Prim’art, dont la plupart des membres sont inscrits à la faculté des arts plastiques de l’Université de Yaoundé. Prim’art étant entendu comme arts primitifs. « Globalement, cette notion signifiait pour nous utiliser le minimum de choses et de matériaux à portée de main pour travailler en imitant le primitif » explique Luisépée, un des membres du Prim’art. « A travers nos recherches et différentes lectures, nous avions trouvé que les primitifs, ces hommes de la préhistoire, utilisaient la terre, la fiente d’oiseau, le sang animal, les os calcinés, différentes graisses pour peindre sur des supports aussi insolites que les parois de grottes. Ce qui n’a pas empêché les points de vue de ces artistes de traverser le temps », poursuit-il. Une aubaine pour ces étudiants un peu fauchés, qui avaient du mal à trouver l’argent nécessaire à l’achat de la peinture, de la gouache et même des toiles de qualité. « désormais, avec 75 FCFA, nous pouvions avoir notre propre toile, un sac de jute ou par exemple le reste d’emballage du riz, que nous récupérions et utilisions dans un sens artistique ». Des matériaux qu’il suffisait désormais d’allier à une technique : la composition de la peinture, utilisation adéquate du liant, du pigment et des matériaux, que ces jeunes peintres n’ont aucun mal à acquérir de Pascal Kenfack, leur maître à penser.
Cependant, Goddy Leye, le membre le plus influent du Prim’art, réfute cette définition ethnique de l’art primitif et évoque « la méfiance nourrie par l’utilisation qu’ont fait les ethnologues de la notion de primitif, (arts primitifs) » et préfère parler d’une « relation de ré-appropriation. Primitif ici signifiant premier, primordial, fondamental, mais pas dans le sens historique » croit-il important de préciser.
Goddy Leye situe donc la notion de primitif avant tout et bien au-delà de l’utilisation de quelques matériaux : « je suis toujours choqué lorsque je vois par exemple sur des toiles des cauris sensées représenter la culture africaine. Je crois qu’il faut dépasser cette africanité de pacotille. Tous les matériaux peuvent servir à exprimer la MEMOIRE. Le seul matériau que je ne peux pas et ne veux pas dépasser est ma subjectivité, mon rapport singulier au monde. Le primitif, entendu PRIMORDIAL, ESSENTIEL, FONDAMENTAL, ne se trouve pas dans un quelconque passé ni dans quelque matériau d’époque, il se trouve au fin fond de MOI. Mon travail d’artiste consiste a aller l’y chercher au quotidien ». Peintre, sculpteur et aussi vidéaste, Leye ne concède aucune autre relation à la notion de primitif que la Négritude dont il se réclame. « j’ai été comme mes collègues de PRIM’ART, philosophiquement, esthétiquement et même idéologiquement moulé par la Négritude, représentée en ce qui concerne le Cameroun par deux tendances :
– celle du Révérend Pere Engelberg Mveng qui prône un retour aux « sources » de l’art nègre dont il a par ailleurs détermine les canons universels. Il s’agit pour l’artiste d’origine africaine, de créer à partir d’un répertoire de signes symboles et idées inspirées des arts pré coloniaux. Cela aboutit en pratique a une réorganisation pure et simple du matériel visuel hérité.
– celle de Pascal Kenfack qui pense pouvoir enraciner la vision plastique de l’Afrique dans les croyances ancestrales. Cette vision est nourrie d’anthropologie et aussi de la croyance en l’existence d’une culture authentique africaine qu’il faudrait revaloriser » explique Goddy Leye.
Faisant ainsi clairement apparaître la notion de mémoire, préoccupation commune et chère aux membres du collectif. Une démarche à laquelle Luisépée trouve à nouveau un raccourci menant directement aux hommes de la préhistoire. « Puisqu’on a pu lire le temps et leur époque à partir de leur travail, nous avons, comme les primitifs, voulu parler de notre mémoire » assène-t-il.
Quoi qu’il en soit, cette évocation de la mémoire, rendue la plupart du temps par la peinture, varie d’un artiste à l’autre. Chez Luisépée, elle est ancestrale et directement liée à une tradition séculaire des peuples de la côte du littoral dont il est originaire : « en interrogeant ma tradition, l’élément le plus fédérateur était le culte du Ngondo, qui peut être considéré comme la synthèse de la culture sawa. Le premier élément qui m’a intéressé dans ce culte était l’immersion du vase sacré, très important parce qu’il nous relie à nos ancêtres : le prête initié descend dans l’eau avec un panier et revient de cette plongée avec le même panier rempli d’autres symboles, un message des ancêtres qu’il revient aux autres initiés d’interpréter et de transmettre à la communauté »
Idrissou Njoya lui, s’intéresse au  »Shü-mom », écriture inventée vers 1896 par le Sultan Njoya, roi du peuple Bamun (à l’Ouest du Cameroun) dont il est originaire. L’alphabet de cette langue serait riche de centaines de signes que l’on retrouve dans la peinture de Idrissou Njoya.
Emile Youmbi en travaillant sur l’album photo, évoque une mémoire beaucoup plus récente et circonscrite à la famille.
Quant à Goddy Leye, « d’abord concentré sur les signes et symboles anciens d’origine africaine (Dogons Bambara, Bamun, Vai…) choisi pour leur valeurs esthétiques et non sémantiques, [mon]travail s’est étendu progressivement vers la recherche de la mémoire dans les lieux, événements , documents… et se matérialise sur des supports variés: peinture/dessin, installation, vidéo, performance… ».
Qu’il se rapporte à la préhistoire ou qu’il se réclame de la négritude, l’art primitif offre à Prim’art un outil précieux : le travail de mémoire, élément essentiel et fédérateur, qui pourrait bien se révéler comme la seule possibilité pour les générations d’aujourd’hui, de comprendre et mieux connaître les époques qui les ont précédées. Alors même que l’oralité a fourni aux autres, le prétexte de raconter à leur guise l’histoire du Cameroun et de l’Afrique.

///Article N° : 2378

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