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Entretien de Jean-Servais Bakyono avec Assétou Traoré, comédienne et costumière de film

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Tu t’es fait connaître en tant que comédienne sur le petit écran dans des sketches, avant d’être distribuée dans de nombreux films où tu as confirmé ton talent de costumière à la fois de théâtre et de films. Comment as-tu réussi à négocier ce délicat passage ?
Je suis, en effet, comédienne. Quand j’ai décidé d’arrêter l’école, je me suis lancée dans ce métier. J’ai constaté quelques années plus tard qu’il n’est pas facile d’être comédienne en Afrique. Si tu ne fais que ça, c’est un peu compliqué. Donc, puisque j’avais assez de temps libre, j’ai commencé des cours de couture. J’ai obtenu un diplôme de styliste-modéliste. Mais parallèlement à mes cours, je faisais mon métier de comédienne. Je cousais à la maison sans m’occuper réellement de costumes de cinéma. Il est arrivé un moment où des amis m’ont proposé de me lancer dans la confection des costumes de cinéma. Les tout premiers que j’ai conçus étaient pour la pièce, Ramsès II le nègre, créée par le dramaturge Abdoul Karitn Thiam. C’est mon amie, la comédienne Naky Sy Savane qui m’y a encouragée. Après elle, d’autres amis sont venus me demander de m’impliquer davantage dans la création de costumes pour les films publicitaires. Je travaille d’ailleurs, en ce moment, beaucoup sur ce genre de films. C’est à partir de ce moment que j’ai pris de l’assurance et que j’ai commencé à créer des costumes pour les films. Le premier long métrage, Afrique mon Afrique du réalisateur burkinabé Idrissa Ouédraogo était un grand coup. Après cela, j’ai travaillé sur La jumelle, un film de l’Ivoirien Diaby Lanciné. Ensuite sur Les trois bracelets de son compatriote Yéo Kozoloa. J’ai également travaillé sur celui de Yanouch, un réalisateur polonais. Et Adanggaman du cinéaste ivoirien Roger Gnoan Mbala est le dernier long métrage dans lequel je me suis investie en tant que créateur de costumes et de parures.
Quels sont les films publicitaires dont tu as créé les costumes ?
J’ai conçu le calendrier Maggi’99 et également presque tous les costumes des films Maggi.
Les autres sont ceux de la Lonab (loterie nationale du Burkina Faso) et certains films de Michel Butrille – Conseil en communication de Côte d’Ivoire. J’en ai tellement fait que je ne peux pas les citer tous.
Presque tous les films de Michel Butrille ont remporté des prix au Festival mondial du film publicitaire de Montréal. Cette consécration est aussi la tienne. Est-ce qu’elle t’a ouvert des portes ?
Je ne peux pas dire que cette consécration m’a ouvert des portes, parce que les gens en Afrique n’ont pas compris que ce métier est composé de plusieurs facteurs. Beaucoup de gens qui tournent des films préfèrent aller prendre des parents au lieu de recruter des professionnels qui puissent donner leurs idées. Jusqu’à présent, je ne peux pas dire que ce travail que j’ai effectué avec Michel Butrille m’a ouvert des portes. Personne ne m’a appelée pour travailler.
Comment procèdes-tu pour concevoir les costumes des films publicitaires qui te sont proposés ?
Les costumes sont en général ceux de notre époque, donc ils ne sont pas difficiles à concevoir. Cela n’est pas souvent facile, parce qu’il faut surtout mettre l’accent sur les couleurs. J’ai, par exemple, conçu un costume pour une publicité Royco et les clients insistaient pour avoir un beau pagne. À la fin, je me suis demandé si c’était leur produit ou le pagne qu’ils voulaient vendre. Au lieu de chercher un pagne qui puisse faire ressortir leur produit, ils voulaient que la femme soit très belle et le pagne très beau. Alors que la couleur qu’ils voulaient ne va pas forcément avec le produit. Bon, Dieu merci ! malgré tous ces petits problèmes, on finit toujours par trouver une solution.
À partir de quelles références as-tu réalisé les costumes de la pièce Ramsès le nègre, qui ont été salués à l’unanimité ?
Je me suis basée sur des livres où il y avait des tenues pharaoniques. Et j’ai tout fait pour ne pas les imiter. L’auteur et metteur en scène de la pièce Abdoul Karirn Thiam et moi, nous avons beaucoup discuté. Il m’a laissé le champ libre. J’ai donc confectionné des tenues qu’on n’avait pas l’habitude de voir.
Tu affirmes avoir, en toute liberté, travaillé pour les costumes de théâtre, as-tu eu les coudées franches lorsqu’il s’est agi de signer ceux des films ?
Dans les différents films dont la conception des costumes m’a été confiée, tout dépendait du réalisateur. Il y en a qui m’investissent de leur confiance après avoir discuté avec moi. Par contre d’autres, surtout nos réalisateurs, s’impliquent dans mon travail. Je les comprends, parce que pendant qu’ils écrivent leurs scenarii, ils ont déjà une idée des costumes. Donc, je travaille vraiment en collaboration avec eux.
Avec le cinéaste polonais Yanouch, tu étais confrontée à différentes époques. Comment t’y es-tu prise pour coller à la vérité historique de son histoire ?
Je me suis comportée comme s’il y avait trois scénarii. J’ai étudié chaque époque et j’ai, en conséquence, adapté les costumes.
As-tu réussi à disposer facilement des différentes matières, notamment le coton, matière végétale noble par excellence, pour confectionner tes costumes ?
Cela a été facile puisque tout est une question de temps. Avec Yanouch, nous avons utilisé du coton et du raphia que nous avons teints avec de l’argile de différentes couleurs.
Quelles sont les matières que tu as privilégiées pour Adanggaman de Roger Gnoan Mbala ?
J’ai surtout utilisé les toiles de jute. Il a fallu que je l’impose au réalisateur, parce qu’à cette époque les choses étaient brutes. Pour les tenues du roi, j’en ai réalisé une ou deux dans le tapa. C’est surtout dans ces matières – la toile de jute et le tapa – que j’ai travaillé. Nous avons effectué toute la teinture nous-mêmes. J’ai maîtrisé la technique du bogolan à l’issue d’un stage de batik et de teinture. J’ai appris à la faire pour éviter de courir toujours après des gens pour avoir mes tissus.
Quelles sont les lignes vestimentaires que tu as mises en évidence ?
Il n’y avait pas de lignes vestimentaires particulières à cette époque ; les gens s’habillaient amplement. Beaucoup d’acteurs n’étaient pas habillés, pour ceux qui l’étaient, j’ai cousu des tenues amples.
Quels sont les types de parures que tu as choisies pour les femmes qui, à cette époque, en raffolaient ?
Nous n’avons pas utilisé beaucoup de bijoux dans ce film, parce que nous voulions faire la chose le plus simplement possible. J’ai utilisé quelques bijoux faits en tôle patinée. Dans le film, c’est seulement la mariée qui a été parée de bijoux que j’ai exécutés dans cette matière.
Quels sont les costumes qui permettent de distinguer, dans Adanggaman, le roi ?
Le roi était habillé dans les tenues conçues dans le tapa, l’écorce de bois. C’est d’ailleurs le seul qui en portait. Il avait une couronne et une canne ainsi que plusieurs autres accessoires. La couronne que je lui ai faite était taillée dans du bois.
Devrons-nous en déduire, sous cet angle, qu’à cette époque les rois en Afrique ne portaient pas de l’or, de l’argent ou de l’ivoire ?
Ils en portaient mais on n’a pas forcément besoin de restituer textuellement ce qui se passait à cette époque. Sinon, l’or, l’ivoire, etc., sont faciles à avoir, mais pour moi il y a autre chose. Dans mes créations, je n’aime pas adapter ce qui existe déjà, parce qu’à ce moment-là, il n’y a plus de recherches.
Tu as accumulé une grande expérience dans le domaine de la création des costumes de films. Quels sont les canons esthétiques que tu convoques lorsque tu abordes un personnage royal ou un personnage du monde rural ?
Un paysan du Sud et un autre du Nord ne doivent pas être habillés de la même manière. Chaque région a sa particularité. Je travaille en fonction de l’époque, de l’environnement, etc. Les rois ne s’habillent pas de la même manière, parce qu’il peut arriver que certains royaumes ne soient pas riches.
Quels sont les sujets de films où tu te sens le plus à l’aise ?
Je n’ai pas de préférence au niveau de sujets. Je veux travailler avec des réalisateurs qui me laissent la liberté de créer ce que je sens.
Depuis bientôt huit ans, tu participes aux spectacles du groupe abidjanais les Guignols où tu es une des chevilles ouvrières. Qu’est-ce qui justifie le choix de votre groupe à initier ce genre de spectacle ?
Quand je démarrais ma carrière avec Les Guignols, je ne pratiquais pas encore la comédie. Et je n’étais pas costumière de films. Un jour, un ami m’a dit de me rendre chez Daniel Cuxac, parce qu’il cherchait des comédiens pour former le groupe Les Guignols, baptisé ainsi par lui- même. Nous sommes venus en tant qu’acteurs. On ne nous connaissait pas, ici, en Côte d’Ivoire, mais à l’extérieur, aux États-Unis d’Amérique et en Europe nous étions des stars. Ce qui m’étonne beaucoup, mais pas le réalisateur qui s’est dit, au départ, que ce sont les mêmes choses qui se passent en Côte d’Ivoire où il existe déjà des émissions télévisuelles comme Quifait ça ? et Faut pas fâcher. Donc, il a surtout fait la promotion en Europe. Ce qui fait que nous sommes peu connus en Côte d’Ivoire.
Quels sont les différents thèmes que Les Guignols ont jusque-là traité ?
Notre tout premier film était basé sur l’excision, le mariage forcé et la polygamie. Ce sont les principaux sujets que nous avons abordés en même temps.
Envisages-tu, sous peu, de t’essayer à l’écriture de pièces de théâtre ou de scénarii de documentaires ?
Pour le moment, je n’écris pas de scénario mais je ne fais que des synopsis. J’aimerais aussi écrire des livres, des romans ou des nouvelles, parce que j’ai beaucoup lu. Le temps ne m’a pas encore permis de m’y consacrer. J’aimerais un jour ou l’autre être publiée.
Quel est le titre de ton livre de chevet ?
C’est la Bible ! Je suis issue d’une famille musulmane de père et de mère. Mais, depuis huit ans, je suis chrétienne et très ancrée là-dedans. Depuis que je suis devenue chrétienne, je lis de moins en moins, parce qu’il y a tellement de choses dans la Bible que je n’ai même pas le temps d’aller chercher ailleurs. Puis, il y a beaucoup de choses à découvrir qui peuvent m’amener à changer mon caractère, mon attitude vis-à-vis des autres, pour être agréable aux autres. Depuis que j’ai découvert tout cela, mon livre de chevet, c’est la Bible.
As-tu des projets immédiats en dehors des sollicitations des cinéastes et des dramaturges et du temps que tu consacres aux Guignols ?
Bien sûr ! J’ai le temps de préparer autre chose, parce que tout est une question d’organisation. J’ai des assistants qui m’aident dans la confection des costumes. Je compte ouvrir un grand atelier de fabrication de tissus où j’engagerai des gens pour faire le bogolan, le batik, etc.
Qu’en est-il des accessoires, de la création de bijoux, puisque tu arbores en permanence des bijoux aux lignes originales ?
Je réalise des bijoux que je vends. En général je les porte et quand des gens sont intéressés, ils passent commande. Je conçois des bijoux en céramique, en bronze, etc. Je travaille aussi avec d’autres bijoutiers.
Des cinéastes te font-ils appel pour leurs projets ?
En ce moment, il y a un seul, dont je préfère taire le non, qui m’a fait appel. Les longs métrages ne sont pas faciles contrairement aux films publicitaires. Cependant, certains hommes de théâtre m’appellent pour me proposer des rôles. Malheureusement, je ne peux pas les accepter, parce que je n’ai pas le temps. Même dans Les Guignols il arrive que je m’absente deux ou trois mois pour un tournage de film. De plus, je prévois prochainement d’ouvrir mon atelier comme je l’ai tantôt dit. Je créerai aussi une ligne de vêtements. Pour le moment, mes projets sont plus axés dans ce domaine.

///Article N° : 3124


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