David Kato, militant ougandais pour les droits des homosexuels, a été battu à mort à coups de marteau en plein jour, chez lui, en Ouganda. Il a succombé à ses blessures sur le chemin de l’hôpital. Sa notoriété a suscité des hommages à travers le monde de la part d’amis, de dirigeants, de militants, d’artistes, d’organisations pour les droits de l’homme. Il avait consacré sa vie à défendre la dignité humaine face à l’inhumanité que l’homme réserve à l’homme.
David Kato a démissionné de son poste d’enseignant pour rejoindre SMUG (Sexual Minorities Uganda), une ONG basée à Kampala qui défend la communauté gay, lesbienne, bisexuelle et transgenre d’Ouganda. Il opéra d’abord comme agent de liaison et fut le véritable fondateur du militantisme gay en Ouganda, inaugurant une politique de visibilité, d’ouverture, de franc-parler et de provocation dans la lutte contre les préjugés et la discrimination.
Suite à son coming out familial, il partit pour l’Afrique du Sud, où il fut témoin du démantèlement des vestiges de l’apartheid et des lois de répression de l’homosexualité par le travail des militants. Il prit conscience de la force de conviction d’individus regroupés dans une cause commune pour le bien de tous. La lutte engagée contre l’apartheid donna naissance à la démocratie multiraciale de l’Afrique du Sud ; la justice sociale fondée sur l’activisme politique vit grossir le mouvement LGBTQA d’Afrique du Sud. David Kato en prit bonne note et retourna dans son pays natal, en 1998. Il portait désormais une cause. Il avait appris à s’engager. Il était armé d’un projet qu’il n’avait plus qu’à mettre à exécution. L’année de son retour, il passa une semaine en garde à vue pour « militantisme ». Une fois relâché, il se plongea corps et âme dans le mouvement ougandais clandestin LGBTQA.
En 2009, le pasteur américain évangélique Scott Lively organisa une conférence anti-gay à Kampala. Quelques jours plus tard, un projet de loi contre l’homosexualité fut présenté au Parlement ougandais. On y proposait la peine de mort pour les homosexuels les plus visibles et ouverts, tels que Kato. Le projet de loi fut largement décrié par les organisations pour les droits de l’homme et les gouvernements à travers le monde ; sa ratification fut mise en attente, gardée au chaud pour plus tard. Mais les réactions homophobes, l’intolérance et la haine furent attisées et désormais justifiées par des arguments religieux.
Pour preuve : peu de temps après la conférence anti-gay de 2009, la photo de David Kato fit la une du journal à scandale ougandais Rolling Stone, avec pour titre en majuscules : 100 photos d’homos ougandais dévoilées. Au-dessus de la photo de David figurait une injonction : « Il faut les pendre ». La peine de mort, selon l’article, purgerait l’Ouganda de gays comme Kato, alors pourquoi ne pas le tuer ? Sa photo était exposée à la une, au vu et au su de tous, son nom figurait parmi la centaine d’autres cibles. Kato gagna son procès pour violation de vie privée, mais fut ensuite la cible de nombreuses menaces de violence et de mort. Les allégations de la police d’un cambriolage qui aurait mal tourné, et non d’une attaque contre un militant pour la liberté d’expression et d’orientation sexuelle, n’en sont que plus suspectes.
Je ne serai pas le premier à avancer que l’influence récente des évangélistes américains en Ouganda a joué un rôle dans la mort de David Kato. Leurs tactiques d’intimidations ont réveillé un sentiment qui n’a pas sa place en Ouganda. Après tout, il y a toujours eu des gays en Ouganda, depuis la nuit des temps. Mais les évangélistes américains ont manipulé la foi des Ougandais et usurpé la Bible avec leurs sermons haineux, stigmatisant les homosexuels comme boucs émissaires. Bien des collègues de Kato estiment que la libération du pays passe par l’interdiction de toute intervention étrangère en Ouganda.
D’autres disent que l’Afrique tolère l’homosexualité comme elle tolère les relations hors mariage et la polygamie : on tolère le désir, on le comprend, on l’accepte même ; mais vivre son homosexualité au grand jour, abandonner le devoir de se marier avec une personne du sexe opposé et s’engager pour la vie avec quelqu’un du même sexe, voilà ce que la morale africaine condamne. Pourquoi ? Parce que le désir est humain mais le mode de vie est étranger, « occidental » et donc « non-africain », c’est-à-dire « inhumain » pour un vrai Africain. Pourquoi ? Parce que la mortalité infantile est tellement élevée en Afrique qu’il faut que des enfants naissent. Une famille traditionnelle africaine n’adopte pas d’enfant étranger à la structure familiale. On peut élever l’enfant d’un cousin ou d’une sur décédés, mais on ne recueillera pas un enfant des rues pour l’adopter ; c’est rarissime, et même interdit par le Coran. Le mode de vie homosexuel sans la possibilité d’adopter menace la structure familiale, ce qui menace la tribu, ce qui menace la population, ce qui menace le pays. À l’inverse, le désir homosexuel, lorsqu’on est marié avec des enfants, ne menace personne. Ce hiatus entre l’acceptation du désir homosexuel et la condamnation d’un mode de vie intolérable est au cur du débat africain. C’est le mode de vie qui est gay, pas le désir, pensent bien des Africains, on peut donc tolérer le désir homosexuel du moment qu’il ne mène pas à une vie de couple homosexuel.
Décédé à 46 ans, David Kato restera une puissante source d’inspiration pour tous, et surtout pour les populations queer d’Afrique qui ne se conforment pas aux genres assignés, sur le continent et à travers le monde. Il nous rappelle notre mission première ici sur terre : apprendre à se connaître les uns les autres, à nous connaître nous-même, de manière plus profonde, plus complexe. Nous ne sommes pas tous pareils, même si c’est ce que nous demande le monde professionnel et qu’on appelle cela être « normal ». Il n’y a rien de normal à être « normal ». Nous sommes tous différents, ayant chacun notre propre rapport au monde : c’est ce qui fait notre diversité et notre richesse. Personne, aucune sexualité, aucune expression du genre, aucune forme de créativité n’est plus importante qu’une autre. Et le meurtre ne purgera jamais le monde de ses différences. Un David Kato de moins en Ouganda ne rendra pas l’Ouganda moins gay, de même qu’il ne l’était pas plus quand Kato était vivant. Une femme de plus n’augmente pas le sexisme, un Noir de plus n’augmente pas le racisme. Si certains le croient, c’est parce que notre volonté de modeler le monde à notre goût tend à nier sa structure profonde : le monde est complexe, diversifié, imprévisible, multiple, sans tradition, sauvage, il nous arrive sans répétition générale, sans papier cadeau, parce qu’il est humain.
David Kato n’est pas mort. Il s’élève jusqu’au Créateur, celui qui l’a fait naître gay, radieux, combattant, éternel amant. Son glaive restera dans l’arène, aiguisé pour combattre, vivant parmi les cendres encore fumantes qui constituent ses ruines. Ainsi il survit, éternel guerrier.
Si l’inhumanité dont fait preuve l’humain envers lui-même doit nous faire réfléchir, alors réfléchissons. Restons quelque temps immobiles, respirons profondément, allumons un cierge en son nom, pour cet homme qui a donné son énergie, son intellect et son corps à une cause spirituelle, radicale par nature : l’amour. Mais cet hommage solitaire n’aura pas l’impact d’un rassemblement en l’honneur de la contribution monumentale de David Kato à l’humanité en tant qu’Africain queer : venez nous rejoindre le jeudi 3 février 2011 sur la place Dag-Hammarskojld, au coin de la 1re avenue et de la 48e rue, à 16 heures. Moi, Africain queer non conforme aux genres assignés, serai là pour vous accueillir.
Ce texte a été écrit par Nick Mwaluko le 27 janvier 2011, le lendemain du meurtre de David Kato. Il a été publié, entre autre, dans le Huffington Post et ITCH Zimbabwe.Traduit de l’anglais par Anne Crémieux.///Article N° : 11994