« Katanga, la guerre du cuivre » (1 h 30) passera ce vendredi 25 juin 2010 sur Arte. Il s’agit de la version raccourcie du film de deux heures « Katanga Business » qui sera diffusé en intégrale à 3 h du matin le 30 juin sur la même chaîne. C’est l’occasion de revenir sur le dvd et le livre qui accompagnent ce film important, mais aussi sur les péripéties que sa liberté de ton ont engendrées.
Pendant le tournage, Thierry Michel avait obtenu toutes les autorisations légales nécessaires, tant ministérielles que départementales. Le film témoigne des difficultés rencontrées sur le terrain mais elles sont habituelles. C’est une fois le film terminé que les ennuis ont commencé.
Ils ont débuté par l’arrestation du réalisateur belge le 20 juillet 2009 à Kisangani, venu pour présenter « Katanga Business ». La projection fut interrompue et interdite. Thierry Michel avait alors réagi par un message (cf. [murmure 5080]) où il indiquait que le film avait déjà été projeté gratuitement en RDC plus de 20 fois dans 7 villes, 4 provinces, suscitant des débats passionnants et passionnés sur l’histoire et le destin de la RDC. A Kisangani, dernière étape du périple, la projection a eu lieu le soir en présence de personnalités politiques de la province tandis que la projection publique devait avoir lieu le lendemain à l’université. Deux heures avant, elle était interdite, officiellement pour ne pas déranger les étudiants et parce que cette matière ne fait pas partie du cursus universitaire. Mais il s’avéra rapidement que la vraie raison était qu’il s’agissait d’un film politique et que les « services spéciaux » ne l’avaient pas apprécié, le film donnant une image trop positive de Moïse Katumbi, le gouverneur du Katanga, rival possible de Joseph Kabila pour les élections présidentielles de 2011.
Arrêté par un membre de l’ANR (Agence Nationale de Renseignement) à son hôtel et emmené à la Direction provinciale de la Sûreté, Thierry Michel fut relâché après un entretien courtois. Une projection alternative fut alors organisée au Centre Culturel Ngoma pour tous ceux qui ne pouvaient voir le film à l’université du fait de l’interdiction : des parlementaires, des membres de la société civile, d’ONG, et de simples spectateurs. La projection commence à 19h30 mais à 20h le maire de Kisangani oblige l’Espace Culturel Goma à interrompre la projection en cours et à évacuer le Centre. Il menace l’association de représailles futures s’ils font encore d’autres manifestations de ce type. Il confirme que dorénavant toute projection du film est interdite à Kisangani
Puis ce furent les menaces de mort reçues par le Congolais Guy Kabeya Muya, assistant sur le film. Une pétition internationale enjoignant les autorités à le protéger (cf. [murmure 5136]) donnait la mesure non seulement du danger mais aussi de la solidarité possible. Elle fut efficace puisque le ministre de l’Information Lambert Mende Omalanga a reçu l’intéressé, fait une déclaration officielle et diligenté une enquête (cf. [murmure 5148]).
Le film est sorti en salles en France le 15 avril 2009. Une projection du film est prévue le 27 mai, lors d’une « soirée de gala cinématographique » de la semaine africaine organisée à l’Unesco. Mais voilà que dans un courriel qui nous a été communiqué par le réalisateur, son organisateur, Inoussa Ousseini, ambassadeur, délégué permanent du Niger auprès de l’Unesco, prévient Thierry Michel que Pr. Manda Kizabi, délégué permanent adjoint de la R.D.C., s’oppose à la présentation du film pour « raison d’Etat ». Le réalisateur lui écrit le 4 mai pour demander pourquoi ce serait le cas alors que les autorités de Kinshasa n’avaient pas apprécié le blocage de Kisangani « car cela a donné une image du passé du pays ».
Il précise en outre qu’il doit recevoir lors d’une soirée de gala le 26 juin à Kinshasa, à l’occasion de l’anniversaire de l’indépendance la distinction « Prix Présence Congo » remis entre autre par la fondation Présence Congo et le Club Diplomatique de Kinshasa en présence du secrétaire général du Cinquantenaire Denis Kalume. (1)
A la suite de quoi, Pr. Manda Kizabi répond à Thierry Michel le même jour « qu’il n’a jamais été question de la part de la Délégation permanente de la RDC auprès de l’UNESCO de faire déprogrammer votre film. Comme vous l’avez dit, il s’est agit d’un malentendu ou plutôt d’un vice de procédure dans le choix et la programmation de ce film. L’Ambassadeur du Niger qui a reconnu ce fait lors de la séance de concertation qui vient d’avoir lieu ce matin, pourra vous le confirmer. »
Le film a donc bien été programmé et le débat fut riche et vivant. (2) Outre l’ombre portée par le gouverneur Moïse Katumbi (au centre de l’affiche) sur la présidence, il semblerait que les autorités chinoises aient peu apprécié le film et aient fait pression sur la délégation congolaise. Dans son fil narratif prenant quelques figures emblématiques des forces en présence, que l’affiche reprend comme un western, le film se concentre en effet aussi sur Mr Min, le patron chinois du contrat du siècle en RDC…
Dérangeant, Katanga Business l’est à plus d’un titre (cf. notre critique à ce propos [n°8446]). Parabole sur la mondialisation, il met remarquablement en lumière la saga de la guerre économique à l’uvre dans les méandres de l’économie katangaise. Il faut voir la version longue. Elle existe en double dvd collector, comportant d’intéressants bonus. Le making of du film est assez surréaliste, comme toujours quand on connaît les blocages administratifs que rencontre tout tournage en RDC. On y voit les creuseurs artisanaux, qui ne valent pas grand-chose face aux forces en présence et Moïse Katumbi distribuer de l’argent à ceux qu’il rencontre. On y voit des Chinois refuser de se laisser filmer, notamment lorsqu’ils s’installent sur les concessions es creuseurs artisanaux. Et Thierry Michel, qui ne lâche pas, de faire intervenir l’ambassadeur de Chine ! Entre coopération économique et recolonisation, l’écart est faible
Quant aux atteintes à l’environnement, elles sont illustrées par des déchets radioactifs jetés en bord de ruisseau, mais la diffusion des images dans les médias met les autorités en difficulté.
La province est aujourd’hui en pleine renaissance, la production repartant en tous sens. Une interview de 20 min. du réalisateur en situe les enjeux tandis qu’un film de 30 min intitulé « Fétiche et minerais » documente le rapport des sociétés minières et des autorités congolaises avec les pouvoirs traditionnels tout en posant les questions d’identité collective et de cosmologie dans le creusage des minerais. La question du développement (écoles, routes, hôpital, pauvreté, etc) est directement posée lors de la cérémonie d’intronisation du nouveau chef coutumier, avec la revendication de profiter de la richesse du minerai.
Le livre publié à l’occasion de la sortie du film est un bel album de 192 pages largement illustrées préfacé par l’historien Elikia M’Bokolo qui précise que les évolutions actuelles du Katanga ne signifient pas que l’Histoire coloniale se répète. C’est un monde de demain qui est là en gestation dans ce « tsunami économico-industrialo-financier ». Une nouvelle frontière pour le Katanga mais aussi pour l’Afrique et le monde de demain.
D’une facture très soignée, l’album coécrit par Colette Braeckman, Isidore Ndaywell è Nziem, Jean-Louis Moreau et René Brion, et illustré par des photographies de Thierry Michel, met en perspective avec une grand clarté les réalités actuelles avec l’histoire du Katanga, avant, pendant et après la colonisation. Le scandale écologique d’une exploitation multipliant les négligences en la matière fait également l’objet d’un terrifiant chapitre, qui mentionne la présence d’associations écologiques locales actives.
Le moins qu’on puisse dire est que Thierry Michel, qui vient de réchapper d’un cancer mais continue quand même à 100 à l’heure, ne fait pas les choses à moitié !
1. L’invitation précise que ce prix lui est attribué « pour l’ensemble de ses ouvrages (filmés) hautement pédagogiques sur l’histoire et la sociologie de la République Démocratique du Congo. Ne pouvant pas rester indifférent devant l’utilité avérée de l’oeuvre, notre comité fort de sa mission, désire vous honorer en vous décernant le prix Présence Congo et vous présenter en modèle pour tous les opérateurs culturels des deux Congo. »
D’autre prix seront également remis à cette occasion dont un prix de la musique au groupe African jazz pour la chanson « Indépendance cha cha » de Joseph Kabasele, dit Grand Kalle, ainsi qu’au Secrétaire Général des Nations Unie Dag Hammarskjold à titre posthume. Il avait été vraisemblablement assassiné lors d’un accident d’avion en 1961 alors qu’il dirigeait les opérations des Nations Unies au Congo.
Les films de la Passerelle et l’asbl Dialogue comptent profiter de cette occasion pour offrir aux autorités congolaises un coffret de DVD de séquences filmées inédites sur l’histoire, la géographie, les traditions et mythologies, l’économie, l’industrie et l’artisanat, etc… Ces séquences montées sont extraites des rushes inédit des 550 heures documentaires tournées depuis une quinzaine d’année au Congo/Zaïre lors de la réalisation des films Chronique de 48 heures d’émeutes (1991), Les Derniers colons (1993), Mobutu, roi du Zaïre (1997), Congo River (2003) et Katanga Business (2008). Ce coffret de 5 DVD aura une durée de plus de 10h. Il sera offert à diverses institutions dont le Parlement, le Sénat, Les Archives Nationales, etc. Il s’agit d’une donation car les droits sont offerts par Thierry Michel comme auteur et les films de la Passerelle comme producteur (droits non commerciaux à usage universitaire, scientifique, ou d’enseignement) afin de préserver la mémoire du pays.
2. Il est visible sur le site de dailymotion sur http://www.dailymotion.com/video/xdili6_katanga-business-a-lyunesco-l-inter_news///Article N° : 9555