Dans Un roman étranger (Présence Africaine), son premier roman, l’auteur marocain Khalid Lyamlahy explore, en parallèle, les tourments de la création littéraire et les angoisses soulevées par l’expiration prochaine d’un titre de séjour. Deux problèmes apparemment sans rapport, qui s’enchevêtrent peu à peu dans la vie de son personnage, étudiant dans une ville européenne indéterminée.
Au départ, il y a une prise de conscience impromptue, en fumant une dernière cigarette avant d’entrer au cinéma. Le titre de séjour du narrateur expire dans un mois. Un mois pour procéder à des démarches administratives angoissantes, réunir des pièces improbables, accomplir une « formalité » dont le poids ne va pas tarder à parasiter toutes les autres ambitions du personnage.
Or, celles-ci sont nombreuses. Quand il ne se débat pas avec les demandes de la préfecture, il tente d’écrire un roman. Une mise en abîme qui permet à Khalid Lyamlahy des développements sur la création et ses misères, renforcés par un parallèle avec le personnage de l’ami du protagoniste, Lucien, peintre à ses heures perdues. Mais ces deux préoccupations – le titre de séjour et le roman – sont bientôt mises en concurrence avec une troisième, toute aussi obsédante : Sophie, l’inatteignable camarade d’amphi aux yeux verts.
On anticipe alors un récit sur les difficultés d’être un étudiant étranger dans une capitale européenne ; on devine une réflexion sur l’identité, éventuellement traversée par des questions d’actualité. Or, Un Roman étranger n’est pas exactement cela. La réflexion sur l’identité, ici, est plus existentielle que politique. Les files d’attente dans les préfectures sont certes évoquées, mais leur description n’est pas le propos central du livre, celui-ci étant plus proche du récit initiatique que de la satire sociale. Aucune ville n’est d’ailleurs mentionnée dans l’ouvrage – même si le métro anxiogène, les étudiantes logées dans des chambres de bonnes au septième étage et les administrations fermées avant 17h évoquent fortement Paris.
En ne situant son récit nulle part et en s’abstenant de donner à son personnage une origine, Khalid Lyamlahy laisse à son lecteur une vaste marge d’imagination et d’identification. On s’y reconnaît d’autant mieux que les thématiques évoquées, qu’elles soient atemporelles (l’amour, l’amitié, la littérature) ou plus contemporaines (la solitude des grandes villes, les administrations déshumanisées), sont toutes universelles, faisant d’Un roman étranger un roman familier.
Si le choix de ne pas attribuer de nationalité au personnage est intéressant, on regrette en revanche de ne pas mieux connaître son passé, son enfance, son entourage. Il y a quelque chose d’assez cinématographique dans l’idée de Khalid Lyamlahy de se limiter à une stricte tranche de vie, sans chercher à évoquer sa genèse. Les rares éléments de contextes présents dans le livre sont en effet des descriptions très visuelles : la chambre du narrateur et celle de Lucien, la démarche de Sophie, le bureau de l’employé de préfecture… Certaines scènes sont, en outre, rapportées avec une telle minutie qu’elles évoquent des ralentis : le sucre versé dans le chocolat chaud, l’enveloppe qui tombe dans la boîte aux lettres…
Il y a, dans cette application d’orfèvre à peindre ces tableaux anodins, une poésie qui laisse penser que l’absence de contexte est décidément une démarche assumée, pour se concentrer, peut-être, sur l’essentiel. Plus que du roman, l’ouvrage s’approche alors du conte. Un conte qui rend au quotidien sa force poétique.