Selim Zerdani : « J’ai un savoir-faire, alors je m’en sers ! « 

Entretien de Christophe Cassiau-Haurie avec Selim Zerdani

Alger, octobre 2009
Print Friendly, PDF & Email

Le manga a la cote en Algérie. Diverses publications sont récemment venues démontrer que le jeune public est réceptif à ce genre graphique et qu’il y a un marché à capter. Plusieurs créateurs se sont engouffrés dans la brèche. On peut citer Laabstore, magazine pour la jeunesse qui s’est spécialisé dans ce domaine avec une réelle réussite en terme de ventes. C’est également le cas de Selim Zerdani, dit Hex, jeune auteur et architecte de 30 ans qui a créé en 2008, Kaza Éditions. Son stand a rencontré un succès prometteur au Festival International de la bande dessinée d’Alger et Selim a reçu le premier prix du meilleur Fanzine pour Fourretout. Rencontre avec l’un des espoirs de la BD algérienne.

Vous avez choisi la voie du manga, est-ce le résultat d’une influence particulière du fait de vos lectures ?

Absolument pas ! En fait, je suis très franco-belge dans mes références de jeunesse. J’ai beaucoup lu Roba, Franquin, Goscini, Uderzo, Morris… Il y avait également la bande dessinée algérienne, en particulier Slim et le personnage de Bouzid, et Richa qui a aussi marqué notre enfance. Mais le métier de dessinateur ne m’a jamais effleuré. Quand on est enfant et que l’on dessine, on n’est jamais pris au sérieux. Les artistes qui ont percé n’étaient pas considérés comme des modèles. Contrairement au Japon, où les gosses, dès leur jeune âge, rêvent de devenir comme le maître Miyazaki. Je m’inspire de tous les styles, c’est d’ailleurs la qualité principale d’un autodidacte. Je ne suis pas prisonnier d’un courant quelconque, et j’observe beaucoup. De fait, mon style dans le manga est plutôt inspiré de l’ancienne école, je dessine par exemple en  » one piece « , sans trop de détail au niveau des yeux.

Pensez-vous que la mauvaise image des dessinateurs dans la société algérienne a évolué ?

Oui, tout de même ! Il y a une prise de conscience en ce sens. Il va y avoir une filière  » bandes dessinées  » à l’école des Beaux-arts d’Alger, c’est le signe d’un début de révolution. Et puis, l’ampleur prise par le Festival International de BD d’Alger, qui est vraiment en train de prendre son envol, après deux éditions stimule cette évolution. A ceci se rajoute le joli succès de librairie du magazine de bandes dessinées Laabstore… Tout cela donne de l’espoir.

Qu’en est-il de vous, de votre carrière ?

Je ne fais que de la BD ! Dessiner et éditer ! J’ai lancé ma maison d’édition en 2008, sous le nom de Kaza éditions. J’ai toujours voulu devenir mon propre éditeur. Auparavant, en 2003-2004, j’étais caricaturiste sur Canal Algérie. Je suis quelqu’un qui dessine assez vite, cela aide pour ce type de métier. Après mon service militaire, j’ai travaillé durant 18 mois dans la réalisation de dessins animés, avec une société qui s’appelle Numidia Art.

Quelles étaient vos ambitions en choisissant la voie de l’édition ?

Mon ambition première était de produire des BD à bon marché car elles sont hors de prix en Algérie. Elles sont toutes importées ! Mais c’est difficile, car il y a eu un grand vide durant 25 ans, ce qui fait qu’une certaine culture du 9ème art s’est perdue. L’objectif est de contrôler toute la chaîne du livre : depuis l’administration, l’impression, le dessin, le scénario jusqu’à la distribution. Tout cela est épuisant, mais c’est nécessaire. Il y a, je le répète, une éducation à refaire. Beaucoup de gens ne connaissent pas grand-chose à la BD et encore moins aux mangas, y compris chez les libraires. Certains confondent les mangas noir et blanc avec des cahiers de coloriage ! Tout cela implique un effort d’explication permanent. C’est parfois décourageant, mais heureusement que ma femme me soutient.

Un an après la création de votre maison d’édition, quel est votre bilan en terme de production ?

En dehors des titres de Sudoku, qui permettent de faire des ventes plus importantes, nous avons édité six titres. Une histoire, Le voyage de la mouette (Rihlet en’ nawress) a fait l’objet de trois tomes, qui viennent d’être regroupés en un seul volume. Il s’agit d’un manga, en langue arabe que j’avais écrit à l’origine en français. Il raconte l’histoire de la nièce d’un dey (1) enlevée par des pirates et sauvée par des corsaires sur le navire le plus rapide au monde nommé La mouette. Nous avons également lancé une revue, Fourtout, en édition expérimentale petit format. Il s’agit d’une revue de 16 pages, avec des gags à une planche, en style franco-belge, avec des articles, le jeu des sept erreurs, copié un peu sur l’esprit de Pif gadget. La grande version de Fourtout, qui n’est pas encore sur le marché, est un volume imprimé à 10 exemplaires seulement, afin, d’une part, de chercher des sponsors et d’autre part pour participer au concours international de la meilleure revue de bande dessinée, organisé par le Festival International de BD d’Alger (2).

Vous avez également visé un public beaucoup plus jeune…

Oui, il s’agit de Jasmine et le petit mouton, une histoire qui commence en conte et qui devient bande dessinée. Il s’agit d’une tentative d’initiation du public jeune à la bande dessinée. Il n’y a que deux à trois vignettes au maximum par page, le texte est dans un français simple, d’un caractère gras facile à lire, facile à comprendre. Le style graphique est inspiré des films d’animations américains comme Blanche neige ou des séries du genre de Candy.

Pourquoi avoir choisi l’arabe classique pour Le voyage de la mouette ?

En Algérie, comme dans beaucoup d’autres pays, il existe un décalage entre arabe classique et arabe dialectal. J’aurais pu faire mes livres en arabe dialectal, mais l’arabe classique est beaucoup plus beau. Beaucoup de gens ne savent pas parler correctement cette langue, cela paraît donc légitime d’orienter les lecteurs vers de la bonne lecture. J’avais écrit le premier volume de La mouette en français, langue dans laquelle j’ai fait mes études puis un traducteur spécialisé a traduit le texte. Cela m’a obligé à inverser les cases et le sens de l’histoire. Les volumes 2 et 3 ont été directement produits en arabe.
Le rythme de production est tout de même assez rapide, même pour un manga, trois épisodes en moins d’un an pour un seul artiste…
En fait, au départ, il était prévu que j’en fasse un épisode par mois (32 pages). Ceci n’est pas étrange ni volumineux pour les mangakas japonais. Le problème a été la bonne distribution des articles, les gens n’ont pas la culture de la BD, donc n’achètent pas, et dans ce sens, il était absurde, commercialement parlant, de produire quelque chose pour le diffuser juste par plaisir.
Le voyage de la mouette était à la base un projet de dessin animé dont 26 épisodes sont déjà sous forme de story-boards. De fait, Le découpage du tome 1 n’est pas très format BD. Tout est sous forme rectangulaire en format télé. Le tome 2 est déjà plus dynamique, plus souple.

Comment se passe la diffusion de vos publications?

Je tire entre 500 et 1000 exemplaires par ouvrage. Au début, les ventes marchaient mal surtout dans les librairies. Au bout de deux mois, j’en avais vendu 1 ou 2 exemplaires sur les 20 qui étaient placés. Maintenant, ça va mieux, j’arrive peu à peu à écouler mes stocks. J’essaie de m’adapter au marché. Beaucoup de gens me disent qu’il faudrait quand même imposer et diffuser du manga comme on l’aime, en noir et blanc, sur du papier journal, etc. Mais le problème reste commercial car les ventes ne suivent pas. J’ai un principe que j’applique. J’aime le steak, mais lorsque je vais à la pêche, je mets un appât à poissons, non pas un steak, ce n’est pas que j’aime l’appât, mais le poisson, lui, l’aime. C’est en ce sens que je m’adapte au marché, je fais de la BD, les gens aiment la couleur ? Ok ! Je leur fais de la couleur, mais je reste dans la BD. De la même façon, le public demande des contes, les enfants s’identifient à ceux-ci, et, il y en a beaucoup dans la production locale, alors, je fais Jasmine. Je crois que c’est de cette façon que l’on pourra réellement sensibiliser les gens à la BD. Commercialement, l’édition reste difficile. Même si l’éditeur ne prend presque rien, les prix sont élevés, 60 à 70 dinars, pour mes livres. L’impression coûte très cher et un tirage à 1000 exemplaires, c’est insuffisant pour négocier les prix. Les autres éditeurs ont souvent leur propre imprimerie et peuvent vendre à 30 dinars. Mais, ceci n’est pas une raison pour y renoncer, j’ai un savoir-faire, alors je m’en sers !

(1) Le dey d’Alger est le titre des régents d’Alger sous la domination de l’Empire Ottoman, entre 1671 à1830.
(2) Le Fourtout grand format a gagné le premier prix international de la meilleure revue de BD, ex-æquo avec une revue libanaise.
Depuis octobre 2009 :
Selim Zerdani a publié trois œuvres : Walid au concours méga-baston (une bande dessinée pour les enfants dans la même série que Jasmine et le petit mouton), L’éveil de la contrée d‘Azeroth, Es-tu un petit futé ? N°2.///Article N° : 10180

  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  

Laisser un commentaire