African woman (Lusafrica, 2014), le troisième album de Sia Tolno, est un hymne à la femme africaine sur fond d’Afrobeat. Africultures a rencontrée cette valeur montante de la chanson guinéenne. Portrait.
Sia Tolno ponctue ses phrases d’un rire sonore qui cache bien des fêlures liées à son vécu de réfugiée de guerre. » Je suis quelqu’un de très joyeux. Il y a un côté de moi qui a envie de vivre! » affirme cette jeune Guinéenne de 36 ans, qui agrémente ses phrases d’anglicismes hérités de son long séjour à Freetown, en Sierra Leone. « Je refuse que les gens autour de moi puissent subir ma tristesse. Quand je suis toute seule, je commence à écrire et je fonds parfois en larmes. Mes réalités refont surface « .
Ces réalités, Sia les exprime à travers son nouvel album très personnel : African woman. Comme son nom l’indique, c’est une ode à une femme africaine à l’image de Sia : dynamique et décomplexée! « Je chante le pouvoir de la femme africaine. Ellen Surleaf Johnson est une femme très forte qui a longtemps milité avant de devenir présidente du Liberia. On sait comment elle en est arrivé là. C’est un exemple pour les femmes africaines« .
Autre modèle pour Sia : la chanteuse et boule d’énergie béninoise Angélique Kidjo. « Ce sont des femmes que je respecte pour leur engagement pour le continent « . Ce respect, Sia le témoigne aussi à » Mama Africa « , Miriam Makeba. » Pour moi, Miriam Makeba est à moitié guinéenne« , s’enorgueillit Sia. » Elle a vécu à Dalaba en Guinée. Je n’étais pas en Guinée à son époque. J’étais en Sierra Leone. Mais j’ai fréquenté sa boîte de nuit à Conakry! »
» Waka waka woman «
Sur le même thème, Sia Tolno dénonce le sort trop souvent fait aux femmes en Afrique dont l’excision dans son morceau » Keleleh « . « Le monde évolue. Évoluons avec. Le passé c’est le passé. Au lieu de pratiquer cette mutilation, pourquoi ne pas garder le côté festif de nos traditions ? Éduquons nos filles, apprenons leur à être dignes.
Dans la chanson » Waka waka woman « je dis que seule la femme peut réconcilier deux ennemis. Avec un autre homme au milieu, c’est probable que vous vous cassiez la gueule! Les femmes ont une approche beaucoup plus subtile. Elles doivent continuer à se réveiller pour aider au développement de l’Afrique« .
Avec le titre » Manu « , c’est aux machos que Sia s’en prend : » Un homme met son épouse dans l’embarras en sortant avec toutes les filles du quartier. Elles la voient comme une menace parce que c’est elle qui est dans la maison de son mari. Le gars finit par partir en la laissant seule avec les enfants. La femme continue à pleurer: » Il faut revenir! Pense à notre mariage, à nos enfants! « « .
Dans une autre chanson » Rebel Leader « , elle aborde ses années de réfugiée, victime des chefs de guerre qui ont ensanglanté pour le diamant sa région entre la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone: » J’écris à Charles Taylor pour lui demander à quoi il pensait quand il a fait ça? Aujourd’hui, il est en prison. Mais on a perdu des gens, des biens, nos enfants, nos papas, nos mamans. On a été molesté. Si ce type entend un jour mon album, il faut qu’il sache qu’il m’a fait du mal ainsi qu’à beaucoup d’autres personnes « .
L’un des titres le plus émouvant de l’album est celui dédié à Fodé Tounkara et Yaguine Koïta, deux enfants guinéens morts dans un train d’atterrissage de la Sabena en 1999 : « Je rends hommage à ces deux jeunes. A cause des politiques africaines, des jeunes épuisés, maltraités veulent partir en Europe. Il y a beaucoup de morts dans ce voyage! Je suis encore à la recherche de mon jeune frère Pascal, que j’avais emmené en Gambie à l’époque où je faisais du commerce d’huile rouge. Mon père m’a appris qu’il s’est embarqué dans une pirogue pour l’Espagne. Cela fait quatre ans que je suis sans nouvelles! Je ne sais pas si je le reverrais vivant… »
Retrouver le son du Shrine de Lagos
Côté couleur musicale, Sia Tolno confirme une direction Afrobeat entamée dans son album précédent My life (2012). « Mon arrangeur sur cet album, François Bréant, m’avait incité à métisser de l’Afrobeat avec les instruments traditionnels guinéens. Cette fois-ci, je me suis dit: »Pourquoi ne pas faire un album 100% Afrobeat? » Je voulais qu’on se sente comme dans la salle de Fela, le Shrine, à Lagos au Nigéria « .
Résultat : le son, syncopé, percussif, presque guerrier de l’Afrobeat, bordé d’une nappe de cuivres qui claquent à l’oreille, se marie bien au vibrato de la chanteuse, une des rares connues (avec Sandra Izsadore, ancienne compagne de Fela, NDLR) à prétendre à une place sur la scène internationale. Pour restituer l’univers de Fela, quoi de mieux que de travailler avec son ancien batteur Tony Allen, basé à Paris ? Aussitôt dit, aussi tôt fait,via le label de Sia, Lusafrica: » Je savais que Tony allait amener quelque chose de chouette. C’est pour ça que le disque groove autant! C’est un magicien« .
Des » Road music » à Africastar
Avant d’en arriver là, Sia a eu des difficultés pour imposer son choix de carrière dans sa famille Kissi, une ethnie de la Guinée forestière. « Mes parents ne comprenaient pas que je veuille chanter. Ils n’avaient pas le même mode de vie. Je devenais bizarre à leurs yeux« . Ses premières armes, elle les fait chichement, dans la rue, sur la route, via ce qu’on appelle en Sierra Leone les » Road music « . Plus tard, dans les cabarets de Conakry, elle gagne sa vie en reprenant du Édith Piaf et du Whitney Houston. « Si je suis encore en vie, c’est grâce à la musique. Avec le stress et tout ce que j’ai vécu, j’aurais pu basculer« . En 2009, elle devient lauréate du télé-crochet Africastar, à Libreville au Gabon. Repérée par Pierre Akendengue et par José Da Silva, le patron de Lusafrica, elle décroche ensuite le prix découverte RFI. Une étoile est née!
Aujourd’hui basée à Paris, la chanteuse écume les scènes, sans oublier son pays natal et son actualité douloureuse: » J’étais en Europe quand j’ai vu cette épidémie d’Ebola en Guinée forestière. J’appelais tout le temps la famille pour avoir des nouvelles. Cette région a connu tant de souffrances avec les conflits ethniques et politiques… On n’avait pas besoin de ça. Beaucoup de gens sont morts parce qu’on ne connaissait pas Ebola. Quand quelqu’un est malade, toute la famille est là. Les parents font des kilomètres pour venir voir le malade, sans savoir que c’est contagieux. Sans les campagnes de sensibilisation tout le pays aurait pu mourir! « .
Autre sujet de préoccupation pour Sia, les élections guinéennes de l’année prochaine: « La guerre ethnique n’a pas lieu d’être. J’ai eu peur en 2010 à cause des tensions entre Peul Soussous et Malinkés. C’est très dangereux. Toutes les guerres en Afrique de l’Ouest viennent de ça. Quand j’étais en Sierra Leone, les gens demandaient quelle langue tu parlais. Si tu n’arrivais pas à dire un mot dans leur langue, ils te coupaient les bras. Nous sommes tous africains, issus d’un pays post-colonial et nous formons une famille! J’espère que maintenant ça ira« .
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